10 ANS APRES, IL FAUT ‘’BRISER LE SILENCE DE LOUBLI ET DIRE NON À LA PRESCRIPTION JUDICIAIRE’’

 

Bientôt, cela fera 10 ans, le Secrétaire Général du Parti pour les libertés et le développement (PLD) et porte-parole de la coalition de l’opposition tchadienne (CPDC), Ibni Oumar Mahamat Saleh a été arrêté le 3 février 2008 à son domicile par des militaires tchadiens, après une attaque rebelle qui était parvenue ce jour-là jusqu’au cœur de N’Djamena. Le régime du président tchadien Idriss Deby avait ensuite, avec le soutien de la France, repris le contrôle de la situation.

 

  1. Contexte

A la suite d’une mobilisation internationale, et notamment de l’intervention du président français Nicolas Sarkozy, une commission d’enquête tchadienne a été mise sur pied. Elle avait conclu en septembre 2008 que l’opposant était « désormais décédé » et mettait en cause des militaires tchadiens dans la disparition, mais sans éclaircir les conditions de celle-ci.

Cependant, de nombreuses personnes et institutions restent plus que mobilisées pour demander la vérité et la justice. Depuis dix ans, le régime d’Idriss Déby refuse tout acte effectif d’enquête, et même de reconnaître sa mort. L’enquête ouverte au Parquet d’Instance de N’Djamena a été classée sans suite par le Doyen des Juges d’Instruction. En juillet 2013, la justice tchadienne, concluant à un non-lieu au terme des investigations de la commission d’enquête gouvernementale au sujet de la disparition de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, a reconnu « que c’était bel et bien des militaires de la Garde présidentielle qui avaient enlevé l’homme politique, mais qu’il s’est avéré impossible de les identifier». Et depuis bientôt dix ans, Ibni reste officiellement «disparu».

Aujourd’hui, la mobilisation de la communauté scientifique mondiale, des élus, des institutions, des démocrates tchadiens pour continuer de demander la vérité et la justice au sujet d’Ibni et soutenir sa famille dans cette démarche demeure intacte malgré les multiples tentatives pour faire arrêter la longue quête de la vérité, l’exigence de justice et la lutte contre l’impunité au Tchad.

10 ans après, il faut œuvrer pour une exception dans la prescription ?

 

La prescription est en effet un principe fondamental du droit français. Elle organise le «droit à l’oubli»: dix ans pour un crime, trois ans pour un délit, un an pour une contravention. Au-delà de ce délai, une action en justice n’est plus recevable et l’auteur de l’infraction ne peut plus être poursuivi. Mais ces délais connaissent des exceptions. Les crimes contre l’humanité sont ainsi imprescriptibles. Les disparitions contraintes sont aussi des cas à part. Car comment juger du sort de personnes qui ne sont «ni mortes ni vivantes»?

 

La «disparition» est un crime continu: il se déroule dans la durée et le délai de prescription «ne commence à courir qu’à compter de la cessation du crime, c’est-à-dire, à partir du jour où celui-ci a pris fin», c’est-à-dire le jour où la victime (ou son corps) est retrouvée, note une jurisprudence française de 1957. On est «disparu» tant qu’on n’a pas retrouvé de corps; le crime continue donc à se perpétrer.

 

«La prescription, cette prime à l’impunité explique pourquoi la disparition est utilisée intensivement par les régimes violateurs car elle leur permet d’organiser juridiquement l’oubli», note l’ancien magistrat français Louis Joinet. La qualification de crimes «continus» a permis aux pays démocratiques de mener «la lutte contre le temps qui passe», dit encore Louis Joinet. Ce «droit à la justice» pour les familles des victimes a été consacré par la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

 

 

Cas Ibni Oumar, le symbole de toutes les disparitions forcées et des crimes d’Etat

Il faut relever que la pratique déshumanisante de la disparition forcée  et des crimes de sang non élucidés perdure au Tchad, un pays qui a pourtant ratifié plusieurs traités ou conventions internationales contre les disparitions forcées et sur les droits de l’homme. Depuis l’avènement de ce régime en 1990, plusieurs cas sont à déplorer entre autres : Colonel Ibrahim Elias, Bisso Mamadou, Me Joseph Béhidi, Bichara Digui, Abbas Koty, Youssouf Togoïmi, Abakara Idriss Haggar, Annour Idriss Haggar, Hamid Abderaman Haggar, Yaya Labradi, Mbailaou Mianbé, Laokein Bardé Frisson, Brahim Selguet, Mahamat Gueti, Abakar Gawi, Mahamat Boukhari, Goukouni Guet, Alhadj Issa Gourane, Colonel Adam Ahmat Guité, Colonel Adam Acyl, Adil Ousman, Djiddo Mahamt Idriss, Abdoulaye 44, Colonel Ahmad Haroun, Bakhit Mahamat Haggar, Yakhoub Aldariss, Mahamat Fadil, Wouleda Nouri, Becher Moussa Houno, Kaffine Chadallah, Hassan Daoud, le jeune Abachou dans l’affaire Zouhoura. La liste n’est pas exhaustive et la funeste logique c’est de les étouffer en corrompant les parents des victimes ou en empêchant l’aboutissement de toute procédure judiciaire. L’ignorance des parents des victimes de pouvoir initier une procédure judiciaire entrainerait inéluctablement la prescription judiciaire si rien n’est fait.

 

Avec les massacres de la Garde Républicaine, les exécutions extra-judiciaires, les exécutions d’opposants, les villages brûlés, les prisonniers torturés et exécutés : le bilan du règne de Déby sera très difficile à réaliser. Un inventaire des crimes est presque impossible à dresser car les organisations de droits humains n’ont la possibilité d’enquêter que très partiellement au Tchad.

 

Les crimes et enlèvements commis par les proches du régime peuvent s’ajouter aux crimes d’Etat perpétrés par les institutions publiques. En effet, ces crimes, qui sont souvent traités sous l’angle de faits divers, relèvent pourtant bien d’une violence institutionnalisée, puisque les auteurs bénéficient d’une protection des autorités et de l’impunité. La logique déplorable au Tchad est celle de s’empresser à financer les crimes à travers le paiement de la dia qui symbolise le prix du sang. Ce qui accentue la banalisation du crime auprès des proches du régime, tel est le cas de l’assassinat crapuleux de plus d’une dizaines de prisonniers en convoiement vers une prison dite sécurisée…

Plus le temps passe, plus la demande de la vérité et de la justice doivent suivre…

 

Faut-il accepter de laisser des crimes, impunis, parce que le temps passe?

L’écrivain Julio Cortàzar, dans Refus de l’oubli dit: « Il faut maintenir dans un présent obstiné, avec tout son sang et son ignominie, ce que déjà on cherche à faire entrer dans le pays commode de l’oubli. Il faut continuer à considérer comme vivants ceux qui, peut-être, ne le sont plus, mais nous avons l’obligation de les réclamer, un par un.»

 

Commémorer les 10 ans pour réitérer les messages : ‘’Non à l’oubli et contre la prescription judiciaire’’

Pourquoi le Professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh est l’icône de cette lutte perpétuelle contre l’oubli et l’impunité au Tchad?

D’abord, ce personnage fait partie des intellectuels et hommes politiques tchadiens qui ont oeuvré sans relâche pour un Tchad débarrassé des considérations ethniques, religieuses et régionalistes. Son assassinat a contribué à briser le rêve de bon nombre de tchadiens pour une alternance pacifique au Tchad. Cet esprit Ibni (Ibnisme) vise à consolider la résistance citoyenne à tous les niveaux, à l’intérieur comme à l’extérieur, contre les crimes de sang et les disparitions forcées. Il s’agit à ce titre d’une menace contre la démocratie. En effet, IBNI Oumar Mahamat Saleh, était un socialiste, président d’un parti politique, le Parti pour les Libertés et le Développement et porte-parole de la coalition des partis de l’opposition civile démocratique au régime de Deby. Il avait à plusieurs reprises exprimé son opposition à la violence comme mode de prise ou d’exercice du pouvoir. Il privilégiait la lutte démocratique et ne saurait faire autrement, lui qui est connu de l’international socialiste.

Ensuite, c’est une affaire de droit de l’Homme, puisque les preuves sont faites que le Professeur IBNI était chez lui ce 3 février 2008 au moment de son enlèvement par la garde présidentielle. Depuis lors on n’a plus retrouvé des signes de son existence.

 

 

Enfin, le cas IBNI est une atteinte au Savoir. IBNI Oumar Mahamat Saleh est un universitaire reconnu sur le plan international. La communauté universitaire, en particulier celle du Tchad qui a tant besoin de cadres de son niveau, a accusé ainsi une grave perte. C’est ce qui justifie, en toute logique, toute la lutte que mène par ailleurs le centre international de mathématique pure et appliqué (CIMPA).

 

Cette disparition est bien donc un symbolique de ce qui se passe au Tchad en matière de Droits humains, de liberté politique et d’impunité. Les cas récents des tueries du convoi des prisonniers en transfèrement ainsi que l’arrestation et la détention arbitraire de l’ancien Maire de la Ville de Moundou, ancien candidat à la Présidence de la République, Laoukein Kourayo Médard témoignent de l’exaspération de la situation qui ne saurait perdurer sans une réaction adéquate de la part de la population et des leaders d’opinion.

  1. Objectif général de la commémoration sous le thème «BRISER LE SILENCE DE LOUBLI ET DIRE NON À LA PRESCRIPTION JUDICIAIRE».

L’objectif de cette campagne nationale et internationale contre les crimes d’Etat et les disparitions forcées est de chercher la manifestation de la vérité sur les crimes et disparitions forcées au Tchad et en particulier celle de Pr Ibni Oumar Mahamat Saleh.

  1. Objectifs spécifiques

Il s’agit plus spécifiquement de:

  • Sensibiliser et mobiliser l’opinion nationale et internationale pour la réactivation des procédures judiciaires nationale et internationale afin que justice soit rendue à l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh ainsi qu’à sa famille et au peuple tchadien ;
  • Intensifier les campagnes nationales et internationales contre l’oubli des crimes graves de sang, des assassinats d’Etat et les disparitions forcées sans distinction commises sous le régime d’Idriss Déby Itno afin que justice soit rendue aux victimes et à leurs familles;
  • Accroître la vigilance de l’opinion nationale et internationale contre une possibilité de commuer sournoisement les crimes d’Etat connus en crime de droit commun afin de les classer pour prescription judiciaire, après 10 ans ;
  • Renforcer la place des organisations de la société civile tchadienne auprès des victimes des disparitions forcées et crimes d’Etat face aux pressions de toute sorte exercées sur les familles;
  • instituer formellement le 3 février comme une journée des martyrs de la démocratie au Tchad.
  1. Résultats attendus

Au niveau national et international :

  • Les enquêtes sont rouvertes et des juridictions spéciales ou de droit commun sont mises en place pour mener à bout un procès afin de faire la lumière sur l’affaire Ibni Oumar Mahamat Saleh, intellectuel et opposant politique disparu le 3 février 2008  ainsi que sur les crimes et disparitions d’opposants politiques et défenseurs des droits humains;
  • L’opinion est alertée et mobilisée contre l’oubli des graves crimes de sang et des disparitions forcées au Tchad, sous le régime Idriss Déby ;
  • Des mécanismes de saisine immédiate des juridictions nationales pour tout crime d’Etat non élucidé afin de prévenir les risques des prescriptions judiciaires sont mis en œuvre.
  1. Activités à mener

Trois pool d’activités seront constituées et exécutées sur la période de février à août 2018:

  1. Au Tchad, sous la conduite du Parti pour les Libertés et le Développement, des partis politiques de l’opposition et des structures de la société civile et des organisations de défense des droits humains;
  2. En Europe, sous la conduite du milieu scientifique, des organisations internationales de défense des droits humains et de la démocratie et de démocrates;
  3. En Afrique, menée par les mouvements citoyens oeuvrant pour l’alternance politique et le renforcement de la démocratie en Afrique.

A tous ces niveaux, plusieurs évènements symboliques seront organisés, notamment:

  • Une caravane nationale contre l’impunité, les disparitions et les crimes politiques qui sillonnera l’étendue du territoire national sur une période appropriée de février à août 2018;
  • Des tables-rondes et conférences au Tchad et à l’étranger sur diverses thématiques, notamment sur les instruments juridiques internes et internationaux en matière de disparitions et crimes politique, la protection des défenseurs des droits de l’homme; etc.;
  • l’érection d’un mémorial pour Ibni Oumar Mahamat Saleh et les victimes des disparitions forcées au Tchad;
  • l’institution par l’ensemble des partis politiques et défenseurs des droits humains du 3 février comme date commémorative des martyrs de la démocratie;
  • Disposer symboliquement dans l’enceinte du siège national du parti PLD une lampe pétrole allumée jusqu’au jour où justice sera rendue….
  • Lancement de pétitions pour exiger qu’une juridiction spéciale soit mise en place pour rouvrir les dossiers classés sans suite au Tchad ;
  • Faire un programme d’intensification des actions de plaidoyers à l’international sur la période de février à août 2018 pour qu’une enquête internationale soit ouverte pour d’éventuelle transmission du dossier à la CPI ;
  • L’édition d’un Livre Noir qui fera état de nombreux cas d’assassinats politiques et disparitions forcées sous Idriss Deby Itno le jour de la commémoration de la dispari8tion d’Ibni Oumar.
  1. Stratégies de mise en œuvre et chronogramme des activités

Comité International de Pilotage

Etant donné le caractère international de cet événement, il est prévu un Comité International de Pilotage composé de personnalités et d’organisations issues de divers horizons qui s’occupera de :

  • la coordination de l’ensemble des activités prévues à tous les niveaux;
  • La mobilisation de toutes les victimes des crimes et disparitions sous Idriss Deby ;
  • La mobilisation internationale contre les crimes et abus de droits humains au Tchad ;
  • La mobilisation financière.

Une équipe technique développera et mettra en oeuvre toutes les actions communes nécessaires en vue d’assurer la synergie et l’éclat des événements (plate-forme, collecte des fonds par Internet, etc.). Des sous-commissions spécialisées pourront être mises sur pied, qui élaboreront des projets et mobiliseront les financements nécessaires.

Programme des activités

Un programme global des activités sera établi par le Comité international de pilotage sur la période de février à août 2018. Ce programme prendra en compte toutes les dimensions à donner à l’évènement et couvrira toutes les activités déjà initiées ou à initier au niveau national et international.

 

Brahim Ibni Oumar Mahamat Saleh

 

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