Le président tchadien brigue un sixième mandat le 11 avril. Des étendues désertiques de l’Ennedi, où il a grandi, à celles de la frontière libyenne, où il s’est forgé une image de guerrier intrépide, il a traversé bien des tempêtes de sable. Son portrait, en six actes.

ACTE I – L’élève.

Idriss Déby Itno saurait-il encore déchiffrer le morse ? En 1977, quand il suivait les enseignements de l’école de pilotage Amaury-de-La-Grange d’Hazebrouck, dans le nord de la France, le jeune officier tchadien n’y éprouvait aucune difficulté. À 25 ans, l’enfant de Berdoba (Nord-Est) se révélait même plus à l’aise que ses condisciples à cet exercice. À l’occasion, il aidait son camarade Benaindo Tatola, qui deviendra plus tard son chef d’état-major, à se dépêtrer des examens de codage imposés par la hiérarchie de l’école. « Pour lui, il n’était pas question qu’un Tchadien échoue », racontait le général Tatola, aujourd’hui décédé.

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Ancien élève de l’école coranique de Tiné et de l’école française de Fada, Idriss Déby n’a jamais été du genre à jouer solo. À Abéché, le Bideyat [peuple faisant partie des Zaghawas] intègre le lycée franco-arabe, où il devient le « maître de l’internat », relais entre les centaines de pensionnaires et l’administration. Plus tard, à l’école des officiers de N’Djamena, qu’il rejoint en 1975 après un baccalauréat scientifique obtenu à Bongor, il fait aussi figure de chef de groupe.

C’était un athlète complet, toujours premier au parcours du combattant.

Où débute la légende de ce fils de berger ? Selon les témoignages de l’époque, l’élève, que tous décrivent comme calme et discret, motive ses camarades de promotion durant les exercices physiques. L’un d’entre eux traîne-t-il les pieds lors d’une marche de plusieurs dizaines de kilomètres ? Il le pousse à se surpasser. Un autre est-il près de s’effondrer avant la fin de l’entraînement ? Il le soulage d’une partie de sa charge. « C’était un athlète complet, toujours premier au parcours du combattant », résumera Benaindo Tatola.

Lorsqu’il rejoint Hazebrouck, cette ville des Flandres où tant d’armées se sont affrontées, Idriss Déby « a déjà montré des qualités de meneur », se souvient un contemporain. « Il était le chef officieux de la communauté des Tchadiens, qui gravitait autour de lui. »

La politique est toutefois encore bien loin des préoccupations du futur président. Il observe avec attention, bien sûr, les tempêtes qui agitent le Tchad depuis la chute de François Tombalbaye. Félix Malloum occupe le devant de la scène, Goukouni Weddeye et Hissène Habré lui donnant la réplique. L’élève Déby (qui n’ajoutera Itno à son patronyme qu’en 2006) n’est pas encore entré dans l’arène.

ACTE II. Le cow-boy.

« Une tornade blanche. » En 1983, le général Jean Poli, qui commande la force française Manta au Tchad, ne tarit pas d’éloges au sujet du jeune officier qui commande les Forces armées nationales tchadiennes (FANT) de Hissène Habré. Quatre ans plus tôt, de retour d’Hazebrouck, Idriss Déby a en effet rejoint le chef goran entré en rébellion contre le président Malloum, qui sera renversé en 1979 avec l’appui de Goukouni Weddeye. Mais la (relative) accalmie n’a pas duré : en mars 1980, la fragile alliance entre Weddeye et Habré a volé en éclats.

Sous la chaleur écrasante du théâtre de guerre, le « Comchef » impressionne et séduit.

Habré essuie d’abord revers sur revers, tandis que Weddeye bénéficie à plein du soutien de l’armée libyenne, qui aligne 10 000 hommes dans le pays, dont 5 000 à N’Djamena, équipés de chars d’assaut, de blindés, de lance-roquettes… Le 15 décembre 1980, vaincu, Habré s’enfuit au Cameroun. Repli temporaire. Avec le soutien des États-Unis et de la France, qui voient d’un très mauvais œil la montée en puissance de Mouammar Kadhafi, le rebelle parvient à remobiliser ses troupes. Le vent tourne. Au début de novembre 1981, les forces libyennes quittent N’Djamena. Habré repart à l’offensive, avec Idriss Déby en commandant en chef des Forces armées du Nord (FAN).

Guéreda tombe le 3 novembre, Abéché le 19, Biltine le 23… Faya-Largeau est prise en janvier 1982. L’aviation libyenne est impuissante. Dans ces contrées où il a vu le jour, Déby, en treillis et carte à la main, a préparé ses troupes à des attaques éclairs, les « rezzous TGV », qui surprennent leurs victimes dès l’aube. « Des colonnes de Toyota qui transpercent le dispositif ennemi à 80 km à l’heure », décrit un ancien rebelle. « Une vraie boule de feu », s’enthousiasme à l’époque un gradé français, qui surnomme Déby « le cow-boy ». Assis sur des caisses de provisions ou penché sur le capot d’une jeep, sous la chaleur écrasante du théâtre tchadien, le « Comchef » impressionne et séduit.

Le 7 juin 1982, les rebelles entrent dans la capitale, Hissène Habré et Idriss Déby côte à côte. Le premier prend le pouvoir. Le second devient chef des armées adjoint. Deux ans plus tard, c’est sous son autorité qu’est menée la répression dans le Sud, connue sous le nom de « Septembre noir », visant à soumettre les comités d’autodéfense (les Codos).

Le duo ne fait pas long feu. En 1985, Habré envoie son cadet à Paris afin qu’il intègre la 23e promotion de l’École de guerre. Une récompense ? Déby vit en réalité sa première mise à l’écart, qu’il affirmera plus tard avoir provoquée. Habré, paranoïaque, se replie sur lui-même et sur sa communauté Gorane. De retour en 1986 à N’Djamena, Idriss Déby est nommé « simple » conseiller du président. L’heure est à la méfiance.

ACTE III. Le putschiste.

En 1985, alors qu’il suivait la formation de l’École de guerre, à Paris, Idriss Déby pensait-il déjà au pouvoir pour lui-même ? Non, affirment des témoins de l’époque. Avec Adoum Guelemine Gabgalia (un autre futur chef d’état-major), qui l’avait accompagné en France, il parlait peu de politique. Lorsqu’il abordait le sujet, c’était en plaisantant, au détour d’un repas dont il accommodait souvent la viande, en bon fils d’éleveur qu’il était resté.

Son poste de conseiller à la présidence n’était qu’un placard »

Cachait-il ses ambitions ? De retour au pays, il est en tout cas pris dans les jeux de pouvoirs. Conseiller à la Défense, ministère que Habré s’est attribué, il est au côté du président lorsque celui-ci, soutenu financièrement par l’administration de Ronald Reagan, mate la rébellion des Hadjaraï en 1987, ou quand, en 1988, le chef de l’État accepte d’entamer des pourparlers avec les Libyens. « Même si Déby a eu à faire quelques missions, son poste de conseiller n’était qu’un placard », soutient aujourd’hui l’un de ses anciens compagnons.

La rupture est officielle en 1989. Le 2 avril, persuadé d’avoir décelé des signes de trahison, Habré accuse son cadet, ainsi que le cousin de ce dernier, Hassan Djamous, commandant en chef des armées, et Ibrahim Itno, le ministre de l’Intérieur, de fomenter un putsch. Le 11, Djamous s’enfuit, avant d’être arrêté puis tué dans des circonstances troubles. Ibrahim Itno connaît le même sort. Déby, blessé, parvient à s’enfuir. Après des combats dans les montagnes d’Hadjer Marfaïne, il part pour Sirba, puis pour Al-Genaïna, dans le Darfour soudanais, où il se réfugie chez le chef de la prison centrale.

Déguisé en prisonnier, selon le récit qu’en fera plus tard Goukouni Weddeye, il prend le chemin de Nyala, de Karnoi, puis de Khartoum, avec l’aide du chef Zaghawa Abbas Koty, et rencontre Sadeq al-Mahdi, le Premier ministre soudanais, avant de s’envoler pour Tobrouk, en Libye, où l’attend Mouammar Kadhafi.

Déby le sait : la conjoncture lui est favorable. La Libye a une revanche à prendre sur Hissène Habré et la France n’a pas oublié que ce dernier a fait exécuter, en 1975, le commandant Galopin, venu négocier la libération de l’otage Françoise Claustre dans le Tibesti. En juin 1990, au sommet de La Baule, Habré s’oppose en outre ouvertement au discours de François Mitterrand sur la démocratisation.

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En Libye, Idriss Déby prend contact avec Adoum Togoï, un compagnon de Goukouni Weddeye. L’alliance avec Togoï ne dure pas, mais Déby, qui a fondé peu avant le Mouvement patriotique du salut (MPS), voit son influence se renforcer. Sous l’impulsion de Paris et de Tripoli, il parvient à gagner la confiance du président togolais, Gnassingbé Eyadema, pourtant proche de Habré. En mai 1990, les deux hommes se rencontrent à Lomé, en présence d’Ibrahim al-Bichari, le ministre libyen des Affaires étrangères.

Déby s’envole ensuite pour le Burkina Faso à bord d’un avion affrété par la présidence togolaise. À Ouagadougou, où il passe une semaine, il est accueilli par le général Gilbert Diendéré, puis obtient une audience auprès du chef de l’État, Blaise Compaoré. Avec le soutien d’Eyadema et de Compaoré, il noue des liens avec des cadres français de la Direction de la surveillance du territoire (DST), lors d’une réunion secrète.

Si Idriss veut le pouvoir, qu’il le prenne », lance Hissein Habré avant de quitter le pays.

De retour dans son sanctuaire du Darfour, il sait que ses troupes ne manqueront désormais ni d’armes ni de véhicules et que la France le laissera agir. Le 10 novembre 1990, Déby décide de partir à l’assaut, tandis que Habré appelle, en vain, le président Mitterrand à son secours. Le chef de l’État tchadien joue le tout pour le tout. Il monte au front et, le 25, se retrouve face aux rebelles dans une plaine proche de Tiné, le berceau de Déby.

Les rebelles prennent le dessus. Habré ordonne une retraite, direction Oum-Chalouba, à 200 km à l’Ouest. Déby le poursuit, mais échoue à rattraper son rival, dont l’un des véhicules est pourtant tombé en panne. Quand Déby parvient enfin à Oum-Chalouba, le 26 novembre, Habré vient de décoller pour N’Djamena.

Quatre jours plus tard, le chef de l’État tient un dernier conseil des ministres. « Si Idriss veut le pouvoir, qu’il le prenne », lance-t-il, avant de fuir. Le 2 décembre, Idriss Déby, salué par l’ambassadeur de France François Gendreau et rejoint par Gilbert Diendéré, entre dans la capitale.

ACTE IV. Le président

« Comment allons-nous diriger le Tchad ? C’est la chose la plus difficile qu’il nous reste à faire. » Lorsque Idriss Déby prend possession de N’Djamena, en décembre 1990, sa feuille de route est claire. « Il fallait rendre le pays gouvernable », résume l’un de ses proches.

Nommé à la présidence du Conseil d’État, le vainqueur promet l’organisation d’une conférence nationale ayant pour but d’élaborer une nouvelle Constitution. Elle s’ouvre en janvier 1993. En avril, Fidèle Abdelkerim Moungar est élu Premier ministre de la Transition, tandis que Déby assume la charge de chef de l’État.

Sa défiance croît. Et si Moungar devenait un rival ?

 En coulisses, ce dernier craint toutefois que les nouvelles institutions ne soient trop instables ou, en d’autres termes, que son pouvoir puisse être mis à mal par celui du chef du gouvernement. Hissène Habré n’avait-il pas été le ministre de la Défense de Goukouni Weddeye avant de le renverser ?

En juin 1993, à l’occasion d’une visite en France, Déby découvre la popularité de son bras droit auprès des Français. Les mois suivants, sa défiance croît. Moungar peut-il être un rival ? « L’hypothèse est devenue petit à petit plus crédible. Alors, le président a choisi d’agir », se souvient un contemporain. En aiguillant ses partisans au Conseil supérieur de transition, Déby suscite le dépôt d’une motion de censure contre le Premier ministre, qui est remplacé, le 6 novembre, par Delwa Kassiré Coumakoye.

Idriss Déby, qui avait fait arrêter le 22 octobre le rebelle zaghawa Abbas Koty (tué dans l’opération) affirme son pouvoir. Moungar tente de se présenter à la présidentielle de 1996, mais, son dossier de candidature étant jugé non conforme, il est disqualifié. Élu au second tour face à Wadal Abdelkader Kamougué, le président entame son premier véritable quinquennat.

Déby le militaire est devenu stratège politique.

 En 2001, il est réélu au premier tour, devant Ngarléjy Yorongar, pour son deuxième mandat – « le dernier », se disent alors certains. Mais l’intéressé les prend à revers. Au courant de l’année 2003, il demande discrètement à ses stratèges du MPS de travailler à une réforme de la Constitution. Son objectif : supprimer la limite de deux mandats, qui l’empêcherait de se représenter en 2006. La réforme est mise à l’ordre du jour de l’Assemblée à la mi-2004.

Le tournant est décisif, mais la partie s’annonce serrée : l’opposition tente de faire échec au projet, les désertions se multiplient dans l’armée, notamment chez les officiers Zaghawas, et plusieurs rébellions fleurissent depuis le Soudan d’Omar el-Béchir (avec qui le chef de l’État tchadien n’est pas encore réconcilié). L’une d’elles est fomentée par les propres neveux d’Idriss Déby, Timan et Tom Erdimi, mais ce sont les hommes de Mahamat Nour Abdelkerim, un ancien compagnon, qui inquiètent le plus le président.

En mai 2005, les troupes d’Abdelkerim sont sur le point de prendre N’Djamena. Contraint de dissoudre sa garde présidentielle et de la reformer sous le nom de « Direction générale de service de sécurité des institutions de l’État », Idriss Déby est acculé. Pourtant, avec le soutien de la France, il renverse la situation in extremis. Une victoire décisive : le 6 juin, la nouvelle Constitution est adoptée par référendum.

Onze mois plus tard, bien qu’une nouvelle offensive rebelle ait été lancée sur N’Djamena en avril 2006, il est réélu au premier tour. « C’est à cette époque que Déby le militaire est devenu stratège politique », commente un politologue tchadien. « Entre 1996 et 2006, il a changé de dimension. Il a appris peu à peu à manier les différents leviers de l’État et a fini par tous les contrôler », confirme un ancien diplomate de la sous-région.

ACTE V. Le boss du Sahel

Ce 30 janvier 2008, les rapports qui parviennent au palais présidentiel de N’Djamena, sont alarmants. Ceux de l’aviation française, qui fournit ses renseignements à Idriss Déby Itno, aussi. Oum Hadjer vient de tomber. Or, la ville est l’un des verrous du sud tchadien. Certes, les colonnes du rebelle Mahamat Nouri sont encore à plus de 500 km. Mais ses 300 véhicules avancent vite. Après avoir contourné Abéché, ils foncent sur N’Djamena.

Sarkozy hésite à envoyer l’aviation française à la rescousse de son allié tchadien. Puis renonce.

Idriss Déby Itno annule à la dernière minute sa participation au sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba. Il sait qu’il va devoir se battre. « Il y a en ville un marché qui s’appelle Hissène-a-fui. Je ne veux pas qu’un jour on aille faire ses courses au marché Idriss-a-fui », déclare-t-il à ses proches. Après avoir examiné les cartes d’état-major et les rapports des renseignements français, il décide d’aller à la rencontre de l’ennemi à Massaguet, à moins de 80 km au nord-est de N’Djamena.

À Paris, Nicolas Sarkozy hésite. Faut-il utiliser l’aviation française pour venir en aide à l’allié tchadien ? Son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, y est favorable. Son état-major, moins. Sarkozy estime que l’opération pourrait être mal perçue par les alliés européens de la France. L’aviation ne bougera pas.

Le matin du 1er février, Idriss Déby Itno prend la tête d’une colonne de 250 véhicules. Ses troupes détruisent un premier détachement rebelle. Mais une deuxième unité fait son apparition. Le chef d’état-major, Daoud Soumaïne, est tué, et Déby Itno ne parvient pas à s’extraire de la nasse. « Les rebelles avaient réussi à infiltrer notre système radio. Quelqu’un au sein de nos troupes leur avait indiqué la fréquence sur laquelle le président communiquait avec ses troupes », explique un proche du chef de l’État.

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La trahison est à deux doigts d’être fatale. Le président parvient malgré tout à se replier et à rejoindre N’Djamena, où il s’emploie à organiser sa défense. Le 2 février à l’aube, les rebelles entrent dans la ville. Ils atteignent l’avenue Charles-de-Gaulle et aperçoivent, à 800 mètres, le palais présidentiel. Entre eux et le « Graal », un blindé T55 de l’armée régulière détruit pick-up sur pick-up.

À Paris, Sarkozy, qui s’apprête à épouser Carla Bruni dans la matinée, propose à son homologue de l’exfiltrer. Déby refuse sèchement. Il a confiance en ses blindés. La France ne reste pas inactive : ses troupes sécurisent l’aéroport, tandis que des éléments du Commandement des opérations spéciales sont aperçus dans les combats. Le 3 février en début d’après-midi, les rebelles décrochent.

Déby détestait ce qu’il appelait les “leçons de démocratie” de François Hollande »

« Déby est resté en première ligne, en treillis, jusqu’au bout », se souvient un ancien subordonné. « L’année 2008 est un moment clé : celui où le chef de l’État tchadien a réussi à construire une relation solide avec Nicolas Sarkozy, comme il le fera par la suite avec François Hollande, alors que ces deux présidents étaient censés mettre fin à la Françafrique », analyse un ex-diplomate.

« En 2007, il a accepté de remettre à la France les responsables de L’Arche de Zoé, pourtant condamnés au Tchad pour tentative d’enlèvement. Cela a fait de Sarkozy son obligé, en quelque sorte », rappelle un ancien du Quai d’Orsay. Même chose avec Hollande, poursuit cette source : « En 2012, leurs relations étaient exécrables. Déby détestait ce qu’il appelait “les leçons de démocratie de Hollande”. Puis, il a saisi sa chance lors de l’intervention au Mali, conscient que son armée était la seule à pouvoir soutenir Paris sur le terrain. »

Le président décide de dépêcher des troupes au Mali avec son fils, le général Mahamat Idriss Déby Itno, comme commandant en second. « Il a parfaitement joué le coup auprès des Français, qui savaient que de nombreux problèmes, dans le Sahel, découlaient de leur intervention en Libye contre Kadhafi », ajoute un diplomate de la région.

Proche des réseaux militaires et des milieux du renseignement parisiens, Idriss Déby Itno se rapproche du général Benoît Puga, chef d’état-major particulier de Hollande, et, surtout, de Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense. Redevable, Paris installe, en 2014, le commandement de l’opération Barkhane à N’Djamena. La Françafrique a survécu. Six ans après avoir failli perdre le pouvoir, l’ancien « cow-boy du désert » s’est rappelé au bon souvenir des gradés français : il est devenu le « boss du Sahel ».

Actes VI. L’indestructible ?

Ce 13 mars 2021, le stade Idriss-Mahamat-Ouya de N’Djamena s’est tout entier paré des couleurs bleu, blanc et jaune du MPS, le parti qu’Idriss Déby Itno a fondé voici trois décennies. Candidat à un sixième mandat, celui-ci lance le meeting inaugural d’une campagne qui doit le mener au premier tour de la présidentielle, le 11 avril. Masque sur le visage, drapeau à la main, le chef de l’État, élevé à la dignité de maréchal en 2020, apparaît détendu. Pourquoi ne le serait-il pas ? Une fois encore, et peut-être même davantage que lors des précédents scrutins, il est archi-favori.

Plusieurs poids lourds de l’opposition ont annoncé qu’ils se retiraient du processus à la suite de l’assaut meurtrier lancé contre le domicile de l’un des prétendants, l’ex-ministre Yaya Dillo Djerou, désormais en fuite et recherché par la justice tchadienne.

Ses opposants l’accusent de préparer une « mascarade électorale » et appellent au boycott. 

« Je ne suis pas et ne serai pas candidat. Ceux qui pensent que je vais boycotter les élections en restant chez moi se trompent. Le boycott sera actif. Pas seulement pour empêcher la tenue des élections, mais pour barrer la route à Déby », a annoncé l’opposant Saleh Kebzabo, qui espère s’allier dans ce « front du refus » à Ngarléjy Yorongar, Théophile Bongoro et Succès Masra.

Le chef de l’État n’en a cure. « En 2011 déjà, Yorongar et Kebzabo avaient appelé au boycott. Cela n’a pas empêché le scrutin d’avoir lieu », glisse un proche de la présidence dans un sourire. Accusé par Kebzabo de favoriser une « militarisation du climat politique » et de préparer une « mascarade » électorale, Idriss Déby Itno n’a plus que six adversaires « actifs » : le chef de file de l’opposition, Romadoumngar Félix Nialbé (que beaucoup accusent d’être proche de la mouvance présidentielle) ; le professeur Brice Mbaimon Guedmbaye ; l’ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké ; l’ex-ministre Lydie Beassemda ;l’ingénieur Théophile Yombombé et l’entrepreneur Alladoum Balthazar. « Des poids plume et une élection jouée d’avance, qui émeut très peu à l’étranger », résume un politologue tchadien.

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 « Idriss Déby Itno sait que la France ne montera pas au créneau. Sa position est suffisamment forte pour qu’il ne s’inquiète pas d’un boycott », tranche un diplomate ouest-africain. « Il use de la même stratégie avec Emmanuel Macron qu’avec Hollande, analyse un membre du Quai d’Orsay. Avec le soutien de Le Drian [désormais aux Affaires étrangères] et des militaires, il pousse les Français au pragmatisme pour avoir les coudées franches. »

LE POSTE DE VICE-PRÉSIDENT, POUR LE MOMENT INOCCUPÉ, EST-IL DESTINÉ À L’UN DE SES FILS ?

Est-il pour autant éternel ? En 2018, il a provoqué un changement de Constitution, réinstaurant une limitation des mandats présidentiels (à deux, de six ans chacun). Candidat en 2021 à un premier sextennat, pense-t-il déjà à l’être de nouveau en 2027, comme la loi l’y autorise ? En novembre 2020, après un forum national en partie déserté par l’opposition, il avait fait adopter une loi portant création d’un poste de vice-président.

Depuis, aucune personnalité n’a été nommée. Idriss Déby Itno choisira-t-il l’un de ses fils, placés au fil des années au cœur du pouvoir ? C’est la crainte de ses détracteurs. Ses collaborateurs, eux, crient au procès d’intention. « Il se donne le temps », botte en touche un proche de la présidence. « Il y a la pression de son clan, de ses fils, de la Première dame… Mais d’autres solutions peuvent émerger », précise un diplomate. Un ex-frère d’armes conclut : « Il a deux obsessions, liées dans son esprit : la stabilité du pays et la sécurité de sa famille. La vice-présidence est une carte qu’il veut conserver pour assurer cet avenir ».

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique.com

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