Impayés de factures des commerçants, arriérés de salaires des médecins, enseignants, greffiers, magistrats, frais de transport des fonctionnaires l’État tchadien toujours lourdement criblé de dettes. 

Voici la longue liste de ses créanciers :

Les factures impayées des commerçants (la fameuse dette intérieure)

L’État tchadien doit beaucoup aux commerçants. Dans un communiqué publié en juillet dernier, ceux-ci, réunis au sein du SCFT (Syndicat des commerçants fournisseurs tchadiens et du SYNACOT (Syndicat national des commerçants tchadiens), avaient déclaré exiger la faramineuse somme de 110 milliards de nos francs. Après qu’ils ont interpelé le chef de l’État en demandant son implication personnelle, celui-ci a ordonné qu’ils soient payés. Effectivement, des efforts sont faits dans ce sens puisqu’il y a eu un commencement de paiement. Quelque 60 milliards leur sont d’ores et déjà versés. Cependant, beaucoup de commerçants dénoncent, sans le dire à haute voix (pour l’instant), le clientélisme dans le traitement de leurs factures, impayées depuis plus de quatre années. Aux dires d’un homme d’affaires (anonymat) qui s’est confié à la rédaction du journal La Voix, des factures seraient favorisées au détriment d’autres, dont les siennes. Tout en insistant sur l’anonymat, il révèle que plusieurs milliards auraient servi à payer des factures fictives. Il cite à titre d’exemple, une entreprise dénommée TARFE, qui aurait bénéficié d’un paiement de 1 milliard via une banque de la place (…) en contrepartie des présumés travaux qu’elle n’aurait jamais réalisés. Alors que, pour lui, les entreprises qui ont réellement fait des travaux à la suite des marchés dument attribués sont toujours dans l’attente et voient leurs activités freiner de quatre fers. Il faut aussi dire qu’il y aurait des cas de surfacturation et de marchandage qui, non seulement entravent le paiement de la dette intérieure, mais font saigner le Trésor public.

Les fonctionnaires et les frais de transport. 

Depuis le 11 janvier 2021, les fonctionnaires sont en grève. Ils réclament l’application des termes de l’accord du 9 janvier 2020, signé par le gouvernement et leurs syndicats. Il s’agit notamment du dégel des effets financiers des avancements, reclassements et titularisations et du paiement des frais de transport de trois ans (2017 à 2019). Pour le gouvernement, le dégel de ces avantages est déjà acté. Il en est de même des indemnités, qui ont entièrement été rétrocédées avec le paiement de salaires du mois de janvier 2021 (elles avaient été ponctionnées de 50 % fin 2016). Autrement dit, il ne reste plus que le paiement des frais de transport.

Que dit alors l’accord du 9 janvier 2020 à ce sujet ? Le point 1.4 dudit accord dit que « les économies qui pourront être réalisées suite aux travaux d’assainissement du fichier de la solde et de l’audit des diplômes seront affectées au paiement partiel des frais de transport. Le reliquat sera réglé par le gouvernement de façon graduelle ». La Voix avait qualifié, dès le début, ce point précis de cet accord de léonin. Parce que l’engagement du gouvernement est implicite, soumis à des aléas et n’est enfermé dans aucun délai. Donc, une telle clause devrait logiquement lui profiter puisque, nous le disions récemment dans l’une de nos précédentes éditions, il peut ne rien faire pour faire aboutir l’assainissement du fichier de la solde et l’audit des diplômes. Il fallait donc être dupe pour croire que les gens qui avaient intégré la Fonction publique grâce à leur militantisme politique et par affinité pouvaient en être radiés aussi facilement.

Sur le coup, la réponse du ministre des Finances, adressée le 1er février 2021, aux syndicats, est d’ailleurs claire : la grève actuelle n’a pas de sens. Tahir Nguilin explique : « (…) nous avons fait les vérifications nécessaires. Les gens qui étaient suspendus, pour l’essentiel, ils ont pu justifier. Ils ont été rétablis. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas eu d’économies. En 2016, ce ne sont pas tous les fonctionnaires qui ont reçu leurs frais. Comme tous les fonctionnaires n’ont pas reçu leurs frais en 2016, il y a une petite partie, à peu près 9 milliards, et on a estimé qu’il y a des économies sur lesquelles on pourra les payer. Il n’y a pas eu d’économies. Nous avons saisi le Maréchal et il a tranché : même s’il n’y a pas d’économies, payez. Nous avons appliqué au-delà de ce qui a été signé. Et le protocole dit que s’il y a d’autres points, on va négocier. Et personne ne peut aller en grève sans avoir signé un pacte social. C’est signé dedans ». Conclusion : si les fonctionnaires ne servent pas fortement l’État, cette grève risque de durer et d’être vaine. Au grand dam des malades et des élèves. 

Les enseignants contractuels continuent de broyer du noir.

Nous l’écrivions dans notre édition n°533 du 11 au 17 novembre 2020. En 2019, pour rehausser le niveau des élèves dans les filières scientifiques, le gouvernement a dû recruter 1 436 enseignants scientifiques qu’il a soumis à des contrats. Mais le montant des énumérations, fixé selon le diplôme, est très dérisoire. Un titulaire de CAP-CEG (équivalent de bac+2) est payé à 100 000 par mois, un enseignant licencié, 125 000 et un détenteur d’une maitrise 150 000. Alors éprouvés par le chômage, ils ont vite regagné leurs lieux d’affectation. Malgré tout, près de deux ans après, le gouvernement n’a pas tenu tout sa part d’engagement. A ce jour, certains attendent le paiement de sept mois d’arriérés de salaires qui ne semble pas toujours être entrepris.

Les médecins ont tout fait, mais l’État reste sourd…

Les médecins recrutés fin 2019 ne savent plus à quel saint se vouer. Malgré la précarité dans laquelle ils travaillent, l’État refuse de leur verser leurs salaires des mois d’octobre et novembre 2019 et de janvier et février 2020. Ils se sont appuyés sur l’Ordre national des médecins du Tchad (ONMT) pour qu’il plaide leur cause, ils ont écrit aux autorités du ministère des Finances et fait une sortie médiatique. Mais le gouvernement est resté, pour le moment, impassible face à leurs réclamations alors que leurs salaires devraient être pris en compte dans le budget des années 2019 et 2020.

Le cas des infirmiers recrutés pour faire face à la pandémie de Covid-19

En mars 2020, pour faire face à la pandémie du Covid-19, le gouvernement a décidé de renforcer l’effectif du personnel soignant en recrutant plus d’un millier de soignants (infirmiers, agents techniques de santé, techniciens supérieurs de santé). Affectés aussitôt dans les districts sanitaires de l’ensemble du pays, l’euphorie de l’intégration à la Fonction publique a vite cédé place à la galère. Plusieurs mois, jusqu’à cinq, sont passés sans qu’ils n’aient leurs premiers salaires. S’ils ont commencé à les percevoir plus tard, les arriérés, eux, restent toujours impayés.

Le cas des magistrats et greffiers

Parmi les fonctionnaires qui attendent le paiement de plusieurs mois d’arriérés de salaires, se trouvent des greffiers et magistrats intégrés eux aussi en octobre 2019. Comme les médecins, ils se seraient en vain appuyés sur leur corporation. Mais l’État étant maître de la situation, ils doivent s’armer de patience et continuer à attendre.

Les énarques auraient usé des relations…

Heureux qui comme les énarques. On peut dire. Car selon une source proche du trésor, dans le gros lot des fonctionnaires à qui l’État est redevable de plusieurs mois d’arriérés de salaires, les lauréats de l’École nationale d’administration (ENA), recrutés en 2019, seraient les seuls à avoir été désintéressés. Comment cela a-t-il pu être possible ? Comme l’a récemment révélé le journal N’Djamena Bi hebdo, ils auraient monnayé pour se faire payer. 

Source : statistique

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