Les résultats de la présidentielle du 6 mai à peine célébrés, ou digérés, la classe politique tchadienne se prépare aux élections législatives et sénatoriales qui doivent se tenir en décembre.

D’ici à la fin de l’année, le Tchad tournera définitivement la page de la transition. Avec les élections législatives qui se tiendront le 29 décembre, les 8 millions d’électeurs que compte le pays composeront leur représentation parlementaire, laquelle prendra la suite du Conseil national de transition (CNT), dernier organe hérité de la période transitoire ouverte après la mort d’Idriss Déby Itno. Un dernier test électoral pour Mahamat Idriss Déby Itno, dit Midi, qui a pris la suite de son maréchal de père, à l’occasion d’une succession contestée. Pour le chef de l’État, il s’agira de confirmer la victoire – également contestée  remportée avec 61 % des suffrages exprimés lors de la présidentielle du 6 mai, qui a fait du président de la transition un chef d’État élu.

Marquée par le retour d’opposants en exil, la nomination d’adversaires politiques à des postes clés, la tenue d’un dialogue national et la signature d’accords de paix avec plusieurs groupes rebelles, la transition a signé une période d’ouverture. Les élections de fin d’année pourraient désormais redessiner, en partie au moins, le paysage politique tchadien avec, en particulier, l’installation, pour la première fois depuis l’indépendance du pays, d’un Sénat – une institution prévue par la Constitution adoptée en décembre 2023.

Pas de changements radicaux à attendre

Les scrutins permettront également de redéfinir les contours de l’opposition au tout-puissant Mouvement patriotique du salut (MPS), formation créée par Déby Itno père, qui a porté la candidature de Déby Itno fils lors de la présidentielle. « Il ne faudrait pas s’attendre à des changements radicaux, nuance le sociologue tchadien Ladiba Gondeu. La transition a surtout marqué le statu quo, avec les mêmes ministres, les mêmes lois, le même système de gouvernance. »

Dans ce contexte, plusieurs poids lourds de la politique tchadienne sont particulièrement attendus. À l’instar du patron de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR), Saleh Kebzabo, opposant historique à Déby Itno père, avant de devenir Premier ministre sous la transition, puis d’occuper le fauteuil de médiateur de la République. La stratégie d’Albert Pahimi Padacké, ancien Premier ministre lui aussi, arrivé troisième à la présidentielle, ne sera pas moins scrutée. Accusés par la frange la plus radicale de l’opposition d’être passé du côté des « gens de la cour » de Midi, ces caciques présenteront-ils systématiquement des candidats face au MPS ou négocieront-ils des circonscriptions ? « Il pourra y avoir des alliances au cas par cas. On discutera d’ententes, mais pas au niveau national. À ce stade, rien n’est encore fait », répond Saleh Kebzabo.

Quelle coalition pour Mahamat Idriss Déby Itno et le MPS ?

La pérennité de la Coalition pour un Tchad uni, qui, forte du soutien de quelque 200 formations a fait élire « Kaka » – surnom donné au chef de l’État –, semble pourtant loin d’être assurée. Pas tant parce que certains ont espéré en vain un retour d’ascenseur, mais parce qu’« il s’agit d’un scrutin d’une autre nature qui ne nécessite pas de coalition de l’ampleur de celle que l’on a pu voir se créer lors de la présidentielle », laisse entendre l’actuel médiateur de la République. Si Issa Doubragne, secrétaire national et porte-parole du MPS, assure qu’il faut « aboutir à une répartition représentative de la coalition, dans sa diversité », d’autres proches du chef de l’État conjuguent déjà cette alliance au passé. « Il me semble que les coalitions ont leur limite. Nous ne voudrions pas arriver à une situation telle qu’on en connaît en RDC », confie un proche de Mahamat Idriss Déby Itno. Une allusion à l’Union sacrée de la nation mise sur pied par Félix Tshisekedi, qui réunit une telle diversité de formations et de caciques de la politique congolaise, qu’elle en est devenue ingouvernable.

Une désunion qui pourrait profiter aux cadres de l’opposition – parmi lesquels Succès Masra, qui n’en finit plus de revendiquer sa victoire à la présidentielle ? « Si les élections sont organisées de manière transparentes, nous gagnons. Comme nous avons gagné la présidentielle, sous la coalition Justice et Égalité qui est la première force politique du pays », clame l’intéressé, qui admet n’être pas fermé pour autant à une collaboration avec le camp présidentiel dans le cadre d’un gouvernement d’ouverture, « pour défendre les intérêts supérieurs des Tchadiens ». Pour les législatives en tout cas, le patron des Transformateurs entend aller au duel, sans nécessairement ratisser plus large que la coalition qui l’a soutenue la présidentielle. « Succès Masra aurait eu tout intérêt à fédérer une coalition d’opposition plus forte autour de lui, mais il s’est attiré beaucoup d’inimitiés lorsqu’il est devenu Premier ministre de la transition », décrypte Ladiba Gondeu. Appel à voter « oui » au référendum constitutionnel, soutien au processus électoral – qu’il rejette aujourd’hui –, non opposition à la loi d’amnistie qui a suivi la sanglante répression des manifestations du 20 octobre 2022 : une partie de l’opinion n’a pas pardonné à l’ancien exilé politique certains actes posés lorsqu’il était à la tête du gouvernement.

Crainte d’un « braquage électoral »

Certains membres de l’opposition non plus. Parmi eux, le Groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP) ou encore la plateforme d’actions citoyennes Wakit Tamma. Face à ce qu’ils considèrent être un cadre des élections « taillé sur mesure pour Mahamat Idriss Déby Itno », comme le déplore Soumaïne Adoum, pote-parole de Wakit Tamma, ces mouvements appelleront au boycott – comme ils l’ont déjà fait pour la présidentielle – si le processus électoral n’est pas réformé.

« Lors de l’élection présidentielle, nous avons assisté à un braquage électoral militaire et il n’y a pour l’instant aucune raison de penser que les législatives se passeront différemment », fustige Max Kemkoye, coordinateur du GCAP, dont le candidat n’avait pas pu concourir à la présidentielle. « Mahamat Idriss Déby Itno s’est assuré d’avoir le contrôle sur tout. Il a gagné la présidentielle car il a pu compter sur un parti qui a l’expérience des fraudes d’ampleur, sur un système judiciaire partial et sur des organes en charge de la gestion des élections composés de membres influents du MPS », critique Soumaïne Adoum.

Pour autant, les opposants se disent ouverts au dialogue et appellent à de larges concertations afin d’amender le cadre légal des élections. « Avant d’arriver aux législatives, il y a des corrections à apporter, notamment concernant les organes chargés d’organiser et de gérer ces élections, qui ont démontré leur partialité. Nous devons analyser ce qui n’a pas marché et obtenir les garanties que cela n’arrive plus, sans quoi les Tchadiens n’iront plus voter, conscients que leur vote est volé », abonde Succès Masra. « Le processus électoral est toujours perfectible, mais nous disposons déjà du CNCP [Cadre national de concertation des partis politiques], où se discutent les points de désaccord afin de trouver des compromis. Nul besoin d’ouvrir un nouveau cadre de discussion quand nous en avons déjà un », évacue Issa Doubragne. Du code électoral à la composition de l’Agence nationale de gestion des élections [Ange] et du Conseil constitutionnel, dont la présidence a été confiée à l’ancien porte-parole du MPS, Jean-Bernard Padaré, les pierres d’achoppement sont pourtant nombreuses.

Découpage contesté

La contestation est encore montée d’un cran avec l’adoption du découpage administratif. « Concernant le découpage électoral, il est évident qu’il est loin de faire l’unanimité, parce qu’il est profondément injuste. Il n’est d’ailleurs pas exclu, et c’est mon souhait, que le chef de l’État abroge cette loi pour une relecture plus consensuelle », concède Saleh Kebzabo.

Selon ses contempteurs, le découpage fait la part belle au Nord et au Centre, historiquement acquis au camp présidentiel. « Ces régions cumuleront 113 députés quand le Sud, plus peuplé et où l’on a massivement voté contre le président, n’en comptera qu’une cinquantaine. Cela signifie que dans la prochaine Assemblée, les oppositions du Sud ne seront pas entendues et les lois passeront sans discussions », affirme Ladiba Gondeu.

Si elle fait les affaires du camp présidentiel, très implanté dans le Nord et plus contesté dans le Sud où se situent les fiefs de plusieurs opposants, comme Succès Masra ou Albert Pahimi Padacké, la répartition électorale fait courir le risque d’accentuer les clivages communautaires et le repli identitaire, estiment ses détracteurs. Pour ces derniers, la méthode sur laquelle s’appuie la répartition pose problème, en ce sens que le découpage a été élaboré en s’appuyant sur le fichier électoral, et non pas sur le recensement général – lequel n’a pas été mis à jour depuis plus de quinze ans.

Résultats ? « Des circonscriptions de 3 000 et de 30 000 habitants se retrouvent avec le même nombre de députés, c’est profondément choquant », s’insurge un poids lourd de la vie politique tchadienne. Un déséquilibre qui s’explique en partie par le nombre important d’électeurs du Sud ayant refusé de s’inscrire sur les registres électoraux ou de retirer leurs cartes d’électeurs, ce qui a abouti à un fichier biaisé.

« Logiquement, il aurait fallu fixer le nombre de députés sur le nombre d’habitants, pas sur le nombre d’électeurs inscrits », résume Gassim Chérif, ancien du groupe rebelle Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR). Le 4e vice-président du CNT, déplore la « tentation du MPS d’aller trop vite à ces législatives, au risque que les groupes représentant les femmes, la société civile, les politico-militaires et bien d’autres n’aient pas le temps de se préparer, ce qui nuira à la représentativité de l’Assemblée ».

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique

 

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