Le ministère des hydrocarbures tchadien, qui souhaite toujours contraindre ExxonMobil à payer une prime de départ significative, a produit un rapport très critique sur la gestion des puits que la major américaine a cédés en décembre 2022 à Savannah Energy.

L’Etat tchadien ne compte pas s’arrêter là. Après avoir annoncé par décret, le 23 mars, la nationalisation au profit de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) des actifs d’ExxonMobil et notamment ses parts détenues sur les champs de Doba (40 %, pourtant acquises par Savannah Energy en décembre 2022), les autorités reviennent à la charge pour obtenir le versement d’un bonus de départ qu’elles réclament depuis de longs mois.

Un document intitulé « Rapport de mission d’identification des puits abandonnés par EEPCI [Esso Exploration & Production Chad Inc] » devrait les aider à nourrir leur argumentaire. Réalisé par le ministère des hydrocarbures et finalisé début mars, il s’intéresse à l’état des puits mis en production, puis abandonnés par ExxonMobil depuis 2003, date du début de la production à Doba.

Le Bémadjiel vs Exxon

Selon le rapport, consulté par Africa Intelligence, une partie des 1 049 puits forés par la major ont été vandalisés. Chef du service forage du ministère, Mahamat Allafouza Toke Treya précise que « ces actes de vandalisme sont accentués par le démantèlement des câbles électriques des puits » et qu’ils « nécessitent une solution d’urgence pour sauver le site pétrolier de Komé ». Il indique : « Il est fortement souhaitable que la plus haute hiérarchie prenne des dispositions nécessaires et adéquates pour que des situations pareilles ne se récidivent pas [sic] dans l’avenir. Force est de constater que certains puits abandonnés datant de plus de dix ans ne sont pas obstrués […] aujourd’hui. »

Les conclusions de ce rapport ne manqueront pas d’être utilisées par le ministre du pétrole Djerassem Le Bémadjiel contre ExxonMobil, jugé responsable d’avoir laissé la région de Doba dans cet état. Cette stratégie permet de continuer à mettre la pression sur la major américaine, dont les derniers cadres ont quitté le territoire tchadien le 9 décembre (AI du 16/12/22), soit le jour de l’annonce de la cession à Savannah Energy. La junte dirigée par Mahamat Idriss Déby souhaite contraindre ExxonMobil à payer une prime de départ significative. La firme avait bien accepté de signer un chèque de 25 millions de dollars, mais le pouvoir demandait 166 millions. Faute d’accord, ExxonMobil n’a toujours pas effectué le moindre virement.

L’arbitrage continue, Perenco à l’affût

Cet épisode pourrait compliquer davantage les relations de Savannah Energy avec les autorités tchadiennes, déjà loin d’être au beau fixe. L’option Perenco, qui a les faveurs de l’État, continue par ailleurs d’être évoquée. Le junior franco-britannique pourrait être l’un des candidats potentiels à la reprise d’une partie des champs de Doba. Le projet de loi justifiant la nationalisation des actifs d’ExxonMobil, transmis en mars à la commission des finances du Conseil national de transition, précise que « Savannah n’a pas les capacités techniques et financières pour poursuivre efficacement la gestion du pipeline tchadien ». Il indique également que la transaction a été effectuée « unilatéralement, sans l’approbation du gouvernement », et qu’elle est donc invalide.

En parallèle, la procédure d’arbitrage lancée par Savannah Energy contre la SHT depuis décembre devant la Chambre de commerce internationale (CCI), suit son cours. La SHT avait fait suspendre la vente d’ExxonMobil à Savannah par des décisions de justice au Tchad – 14 décembre 2022, puis 25 janvier (AI du 03/02/23) – et fait expulser entretemps une dizaine de salariés de Savannah.

Une batterie d’avocats sollicités

Pour sa défense, Savannah Energy a fait confiance à la branche parisienne du cabinet américain Quin Emmanuel, dirigée par Thomas Voisin, qui a souvent été missionné par la major américaine quand elle opérait encore la concession de Doba.

Afin de parer au plus pressé, Savannah Energy a également eu recours à la procédure d’arbitrage d’urgence de la CCI, qui a statué le 7 janvier au sujet de la légalité de la décision du 14 décembre (AI du 10/01/23). L’arbitre Phillip Landolt, du cabinet genevois Landolt & Koch, avait alors dénié à la cour de N’Djamena toute compétence, sans pour autant débloquer la situation, les salariés de Savannah ne pouvant toujours pas mettre les pieds au Tchad. L’arbitrage classique poursuit son cours, mais aucune décision n’est attendue avant plusieurs mois.

Africa intelligence

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