« En Afrique, il faut à la fois moins de France et mieux de France », affirme l’ancien Premier ministre tchadien Albert Pahimi Padacké, qui publie aux éditions L’Harmattan L’Afrique empoisonnée. Nommé au lendemain de la mort brutale du président Idriss Déby, en avril 2021, Albert Pahimi Padacké avait réussi à tenir 18 mois à ce poste difficile. Cinq mois après son départ de la primature, il prend ses distances avec le régime tchadien de transition et affirme que, lors des manifestations du 20 octobre dernier, la réaction des forces de l’ordre a été disproportionnée. De passage à Paris, le président du parti RNDT–Le Réveil répond à RFI.

RFI : Albert Pahimi Padacké, au Tchad, 128 morts à l’issue de la répression sanglante des manifestations du 20 octobre, selon la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). Comment a-t-on pu en arriver là ?

Albert Pahimi Padacké : Il s’est trouvé que, le 20 octobre, des organisations ont projeté une marche. Dans cette marche, on a vu des jeunes armés de lance-pierres et parfois d’armes blanches, s’attaquant à des biens privés et publics parfois. En retour, on a vu une réaction des forces de l’ordre qui a amené un nombre important de morts et de blessés, ce qui, bien évidemment, n’épouse pas la proportionnalité requise en matière de maintien de l’ordre.

Voulez-vous dire que la réaction des forces de l’ordre n’a pas été appropriée ?

De mon point de vue, non. Et le nombre qui a été annoncé récemment par la CNDH…

La Commission nationale des droits de l’homme…

Par la Commission nationale des droits de l’homme, le nombre de 128 morts, c’est quand même un nombre énorme.

Suite à cet événement tragique, que faut-il faire ?

Dans un premier temps, il y a eu une commission internationale qui a été annoncée par le gouvernement. Nous attendons le résultat de la commission d’enquête internationale. Dans tous les cas, il faut que le gouvernement prenne les mesures idoines pour que les sanctions soient appliquées afin que cela ne se reproduise pas dans notre pays.

Mais a-t-on jamais vu des responsables des forces de l’ordre sanctionnés au Tchad ?

Mais les choses commencent toujours quelque part. Nous ne pouvons pas continuer avec l’impunité quand il s’agit de pertes en vies humaines.

Beaucoup d’Africains reprochent à Emmanuel Macron de ne pas être cohérent, c’est-à-dire de condamner les coups d’État militaires au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, et de valider le coup de force constitutionnel qui a eu lieu après la mort du président Idriss Déby en avril 2021. Est-ce que vous êtes d’accord avec cette opinion ? 

Non. Je ne suis pas d’accord avec cette opinion, parce que, s’il y a eu, il est vrai, un changement non constitutionnel au Tchad, il est aussi vrai qu’il n’y a pas eu un coup d’État. Un coup d’État suppose une planification, une action d’un groupe d’hommes et de femmes pour renverser un pouvoir en place. Le maréchal Idriss Déby est mort face à une rébellion armée et ce n’est pas son armée qui a fait le coup d’État, même si, par la suite, le président de l’Assemblée nationale, qui constitutionnellement était intérimaire, a renoncé à ce droit constitutionnel et que l’armée s’est assumée pour éviter la déstabilisation du pays. C’est un changement non constitutionnel, mais ce n’est pas un coup d’État.

La présence française en Afrique est fragilisée depuis deux ans par les décisions successives du Mali et du Burkina Faso de chasser les soldats français de leur territoire. Moyennant une présence moins visible, Emmanuel Macron souhaite que les militaires français puissent rester dans certains pays africains, dont le vôtre. Qu’en pensez-vous ?

D’abord, il faut que les Africains et les Occidentaux comprennent que nous avons un défi commun : la lutte contre le terrorisme. Ce qu’il faut faire, de mon point de vue, ce n’est pas d’avoir à chasser l’armée française de nos pays. Il faut avoir moins de France, mais mieux de France. Ce n’est pas seulement une relation militaire. Il faut que les relations entre la France et les Africains quittent les labyrinthes des compromis entre dirigeants. Il faut prendre en compte les aspirations des peuples et notamment de la jeunesse, qui ne souhaite plus avoir le même type de coopération où un chef d’État africain, en problème avec sa jeunesse, est chaque matin sur le perron de l’Élysée avec le président français, bras dessus bras dessous.

Une partie de la jeunesse africaine est séduite par la Russie. Est-ce qu’après la Centrafrique et le Mali, les soldats russes et les miliciens russes de Wagner peuvent s’installer demain au Burkina Faso ou dans votre pays, le  Tchad ?

L’indépendance de l’Afrique ne consistera pas à baisser le drapeau d’une ancienne puissance et à hisser à la place le drapeau d’une nouvelle puissance. Il faut hisser les drapeaux africains. Wagner, c’est une milice privée qu’il faut payer. Est-ce que l’Afrique a les moyens aujourd’hui de s’autoriser les frais d’un mercenariat ? Nous avons besoin d’avoir une coopération militaire sérieuse avec des États, et non de traiter avec des mercenaires.

Et de ce point de vue, vous, en tant qu’ancien Premier ministre tchadien, vous préférez ce partenariat avec quel pays du Nord ?

D’abord, il n’y a pas de chasse gardée. [Avec la France], nous partageons la langue. Aujourd’hui, nous sommes en train de parler en français, cela crée un atout. Et donc, comme dans tout vieux couple, il y a des malentendus avec la France. Il faut les adresser de façon très claire, s’asseoir et redéfinir des nouvelles règles de coopération pour aller de l’avant. Et je trouve que la France a un atout préférentiel, compte tenu de l’histoire, compte tenu de la culture, compte tenu de la langue. Mais il faut que maintenant la France revienne vers les populations africaines et ne se contente pas des amitiés entre individus au sommet des États. Moins de France, mieux de France.

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