24 septembre 2019 #TCHAD #France : La diplomatie secrète de la présidence Macron pour sauver Idriss Déby.
Le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian continue son lobbying en faveur du régime d’Idriss Déby, fidèle partenaire de la France, fragilisé par un environnement régional en transition. Des agents de la DGSE ont même mis en garde au Qatar son neveu et leader des forces rebelles, Timam Erdimi.
Le 27 août, le ministère tchadien de la justice, dirigé par l’ex-conseiller juridique et ancien directeur de cabinet du président Idriss Déby, Djimet Arabi, a annoncé que le leader de l’Union des forces de la résistance (UFR) Timan Erdimi était condamné à perpétuité par contumace pour avoir tenté de déposer son oncle Idriss Déby sept mois plus tôt. Début 2019, une colonne de pick-up de l’UFR était descendue du sud de la Libye – zone de refuge de la rébellion depuis 2012 – et avait, pendant plusieurs jours, parcouru des centaines de kilomètres en territoire tchadien sans que l’armée tchadienne ne s’interpose. Seuls les bombardements menés par l’armée française, les 5 et 6 février, avaient permis au régime tchadien d’éviter l’inévitable affrontement avec ses ennemis.
Depuis cet événement, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, meilleur soutien d’Idriss Déby en France, mène un lobbying tous azimuts pour priver la rébellion tchadienne de ses soutiens et l’empêcher de mener un nouveau raid sur un régime chancelant. Affaibli et cerné par des pays en transition (Algérie, Soudan et Libye), Déby ne peut plus compter que sur Paris. Malgré ses promesses de rupture en matière de politique africaine,
Emmanuel Macron suit exactement la voie de ses prédécesseurs et mobilise tout l’appareil d’Etat français pour sauver le soldat Déby.
Paris fait pression sur Doha
Selon nos sources, deux membres de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) sont venus au Qatar le 5 juillet pour rencontrer Timan Erdimi. La discussion s’est déroulée à l’hôtel Movenpick sur la corniche de Doha où loge, depuis neuf années déjà, le patron de l’UFR, hébergé par l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad al-Thani. Les échanges entre les trois hommes ont duré moins de trente minutes. Le message délivré par la DGSE à Erdimi était sans ambiguïté : en substance, les deux émissaires ont expliqué au chef rebelle tchadien que la France tient à Déby et qu’elle n’hésitera pas à tout faire pour lui permettre de conserver son pouvoir à la présidence du Tchad. En définitive, Paris serait prêt à bombarder à nouveau tout convoi partant de la Libye si l’UFR parvenait à reconstituer une équipée armée dans les prochains mois.
Alors que Timan Erdimi est au Qatar depuis près d’une décennie, après un accord de paix négocié entre Déby et l’ancien président soudanais Omar el-Béchir, c’est la première fois que des agents français s’entretiennent directement avec l’opposant tchadien. C’est dire l’urgence de la situation à N’Djamena. Si la DGSE a pris le risque d’une telle mise en garde, c’est qu’elle a toujours considéré le Tchad comme sa chasse gardée, et Idriss Déby comme son partenaire le plus fiable. C’est elle qui l’a mis au pouvoir en 1990 en remplacement de l’incontrôlable Hissène Habré. Elle ne souhaite sous aucun prétexte le sacrifier sur l’autel de la mauvaise gouvernance.
Echange de bons procédés
En 2008, lorsque les troupes d’Erdimi avaient, déjà, failli renverser Déby, la DGSE avait dépêché nombre de ses éléments pilotés par le conseiller militaire maison du président tchadien, Jean-Marc Gadoullet. Le Service action est tout particulièrement attaché au Tchad. En outre, la France reste très reconnaissante envers Déby d’avoir immédiatement envoyé des centaines de soldats lors de la guerre du Mali en 2011, alors même que les troupes hexagonales étaient bien seules pour arrêter la rapide descente des groupes islamistes vers Bamako.
Même s’ils sont parfaitement conscients des faiblesses démocratiques du Tchad – les élections législatives sont, par exemple, repoussées depuis 2015 -, le ministre français des affaires étrangères et celui des armées ferment les yeux, n’ayant aucune certitude qu’un nouveau président à N’Djamena serait aussi ouvert à épauler militairement Paris sur les terrains africains difficiles. La capitale tchadienne accueille déjà une partie des soldats français de l’opération Barkhane et offre une base arrière stratégique pour Paris dans sa lutte contre les mouvements djihadistes au Sahel. Une centaine de militaires français sont ainsi positionnés dans le nord du pays à Faya Largeau. Ils n’hésitent pas à soutenir logistiquement l’armée tchadienne lorsqu’elle mène des opérations dans le Tibesti.
Réticences du Qatar
Avant d’en arriver à caler la rencontre de juillet au Movenpick, l’ambassadeur de France au Qatar Franck Gellet a dû demander la permission aux autorités qataries afin que des agents français puissent avoir accès à Erdimi. Or, cette tentative de médiation n’est que le énième épisode du lobbying que mène la France au Qatar pour empêcher Erdimi de structurer son mouvement, implanté dans le Sud libyen depuis la chute de Mouammar Kadhafi.
Après le bombardement de début février, le ministre français des affaires étrangères français s’était rendu à Doha le 11 février afin de rencontrer son homologue Sheikh Mohammed bin Abdulrahman al-Thani. Comme nous l’avions révélé dans notre enquête en mars, Jean-Yves Le Drian avait profité de cette occasion pour demander, avec insistance, une surveillance plus étroite d’Erdimi par les autorités qataries. A la suite de ce tête-à-tête, puis de la rencontre du ministre français avec l’émir Tamim ben Hamad al-Thani, les Qataris avaient envoyé un agent du ministère des affaires étrangères rencontrer Erdimi et lui conseiller de rester discret pour ne pas susciter l’ire française.
Cependant, le Qatar semble toujours aussi peu disposé à faire partir Erdimi. Et ce, encore moins si c’est pour être livré au Tchad, comme le souhaite Idriss Déby. Le président tchadien l’avait explicitement demandé au conseiller sécurité de l’émir qatari, Mohamed al-Mesned, venu le voir à N’Djamena le 18 février. Si une grande partie des troupes loyales à Erdimi a été détruite par le bombardement français – son propre fils a même été fait prisonnier -, le général Déby craint que son pire ennemi puisse rapidement se réarmer. Et ce, d’autant plus que l’allié du pouvoir tchadien en Libye, Khalifa Haftar, concentre la quasi-totalité de ses forces sur le siège de Tripoli, en cours depuis cinq mois, contre les troupes du premier ministre Fayez Sarraj. Haftar n’a ainsi plus les moyens de combattre l’UFR d’Erdimi implantée au sud-est de la Libye.
Le « geste » de Paris
Le 17 juin 2019, c’est un autre ancien rebelle qui a été mis en examen par la justice française pour « crimes contre l’humanité » et incarcéré dans la foulée dans la prison de Fleury-Merogis : Mahamat Nouri. Ancien ambassadeur du Tchad en Arabie Saoudite, le général Nouri avait combattu aux côtés de Timane Erdimi en 2008 lors de l’offensive venue du Soudan. Cependant, des différends entre Nouri et le patron de l’UFR ont fragilisé leur alliance et les avaient empêchés de porter le coup fatal à Déby, alors que Paris et les éléments de la DGSE sur le terrain avaient commencé à envisager d’abandonner le président tchadien pour prendre langue avec les rebelles.
Les dissensions entre Erdimi et Nouri avaient finalement convaincu le Service action que les deux rebelles n’étaient pas des partenaires fiables. Et Paris avait accordé un soutien décisif à Déby. Tout comme Erdimi, Nouri s’était dans un premier temps exilé à Doha avant de rejoindre la capitale française. L’ayant condamné à mort par contumace, le régime tchadien de Déby exerçait depuis plusieurs mois une active pression sur Paris afin que la France stoppe les activités politiques du général Nouri, resté très populaire auprès de tribus toubous du Nord du Tchad. La mise en examen et l’incarcération du chef rebelle tchadien est venue opportunément répondre aux demandes pressantes du président tchadien.
Soudan : nouvelle menace à l’Est
Autre motif d’inquiétude pour Déby : la mise à l’écart d’Omar el-Béchir à la tête du Soudan en avril. Ce pays a subi une paralysie politique totale jusqu’à la signature en août d’un accord de partage du pouvoir entre militaires et civils sous l’égide de l’Union africaine et de son médiateur mauritanien, Mohamed El Hacen Lebatt. Maintenant que l’ex-président soudanais n’est plus aux affaires, la question est désormais de savoir ce que vaut l’accord tripartite signé en 2008 à Dakar entre Béchir, Déby et le Qatar, qui a abouti à l’exil d’Erdimi.
Dès la mise à l’écart de Béchir, Déby a rencontré, le 2 juin, l’homme fort du conseil militaire de la transition (Transitional Military Council), Abdel Fattah al-Burhan, en marge du sommet de l’Organisation de la coopération islamique à Djeddah, en Arabie saoudite (lire La Lettre du Continent du 12/06/19). Le président tchadien a alors essayé de poser les premiers jalons d’une future neutralité entre les deux pays, si longtemps rivaux.
La tribu de Déby, les Zaghawa, est principalement située à cheval entre le Soudan et le Tchad. Or, Erdimi est également zaghawa. Il pourrait ainsi tenter de raviver un foyer de rébellion soutenu par certaines factions du pouvoir actuel à Khartoum. Les Zaghawa sont très divisés au Tchad, et l’armée dont le commandement est dominé par cette tribu ne défend plus le chef de l’Etat. Pour preuve, elle n’a pas combattu l’UFR en février.
La crise du secteur pétrolier fragilise encore davantage le régime
Le président tchadien est d’ailleurs aussi menacé de l’intérieur. Alors qu’il a pu jouir d’une certaine aisance financière grâce à l’arrivée de milliards de dollars de revenus pétroliers à partir de 2003 – lui permettant une débauche d’achat d’armements pour garantir sa survie -, la production s’est peu à peu écroulée. Du pic de 2005 (173 000 b/j), le débit ne dépasserait pas aujourd’hui les 100 000 b/j. De ce fait, les fonctionnaires sont payés en retard et les grèves se multiplient dans les services publics.
L’instabilité aux postes ministériels et de conseillers est devenue chronique alors que le clan de la première dame, Hinda Déby Itno, a mis en coupe réglée une partie de l’économie dont le pétrole – brut et produits raffinés – reste le secteur le plus profitable. Une des proches d’Hinda, Valérie Commelin, est d’ailleurs la nouvelle directrice adjointe de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT), tandis que le directeur général est le fils du président, Seïd Idriss Déby (lire Africa Energy Intelligence du 12/03/19).