L’armée française a bombardé, dimanche 3 février, dans le nord du Tchad, un convoi armé composé de rebelles au régime en place. Au nom de la lutte antiterroriste, la France semble plus que jamais prise au piège d’un interventionnisme militaire visant à soutenir Idriss Déby, au pouvoir depuis 1990.

Onze ans après avoir aidé Idriss Déby à repousser une offensive rebelle parvenue jusqu’au cœur de la capitale N’Djamena, l’armée française est intervenue de façon bien plus ostensible dans le nord du Tchad pour aider son allié sahélien dans la guerre contre le terrorisme à faire face à des contestations armées de plus en plus pressantes.

Dimanche 3 février en fin d’après-midi, les Mirage 2000 de Barkhane ont frappé par deux fois « une colonne de 40 pickups d’un groupe armé en provenance de Libye, s’infiltrant profondément en territoire tchadien », a annoncé lundi l’état-major français des armées.

Le même jour, le porte-parole de l’armée tchadienne a informé qu’« une colonne de mercenaires et terroristes a tenté de faire incursion sur le territoire tchadien ». Celle-ci a été « repérée, neutralisée et mise hors d’état de nuire par nos forces aériennes appuyées sur l’opération Barkhane », indique le communiqué.

Un Mirage 2000. Des avions français ont bombardé, dimanche, un groupe armé rebelle dans le nord du Tchad. © Reuters

Cette intervention française a lieu au moment où, côté libyen, l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar est engagée depuis mi-janvier dans une offensive dans le sud du pays, un puzzle de groupes armés à base politique ou communautaire où les conflits s’emboîtent comme des poupées russes, des plus locaux aux plus régionaux. À Sebha d’abord, l’ANL a annoncé avoir tué plusieurs chefs d’Aqmi, organisation par ailleurs ciblée dans la région par des drones américains.

Elle s’est ensuite dirigée vers la frontière tchadienne longue de plus de 1 000 kilomètres, où se sont notamment installés des groupes armés issus de la rébellion contre Idriss Déby, au pouvoir depuis 1990. « Depuis 2015, des centaines de rebelles et migrants tchadiens, anciens et actuels, notamment de l’ethnie Dazagada [terme qui sert à désigner certains Toubous – ndlr], sont devenus mercenaires en Libye », expliquent les chercheurs Jérôme Tubiana et Marielle Debos dans un rapport publié en 2017 par le United States Institute of Peace.

Pour ceux d’entre eux toujours engagés dans une dynamique d’opposition au régime tchadien actuel et vivant de trafics divers, « le chaos en Libye n’en fait pas la meilleure base arrière d’où organiser une nouvelle rébellion », notent-ils. Menée « en coordination totale avec le pouvoir tchadien », cette offensive de l’ANL aurait donc poussé hors de ses bases l’un de ces groupes, l’Union des forces de la résistance (UFR).

Le Tchad est pour la France un allié de premier plan dans sa guerre contre les groupes terroristes au Sahel. N’Djamena héberge le commandement de Barkhane et celui de la force multinationale mixte contre Boko Haram, l’armée tchadienne a combattu en première ligne dans le nord du Mali en 2013 lors de l’opération Serval, et le contingent tchadien de la Minusma compte parmi les plus nombreux et les plus exposés au Mali.

Alors que le Burkina Faso est à son tour ébranlé par les groupes armés d’inspiration djihadiste, le Tchad demeure le pays le plus stable de la région, mais les Tchadiens en paient le prix fort. En décembre 2018, Emmanuel Macron avait rendu visite à Idriss Déby, à la tête d’un des quatre pays les plus pauvres du monde, où l’accès aux réseaux sociaux est bloqué depuis près d’un an et où les arrestations et restrictions de libertés se sont multipliées ces derniers mois sur fond de crise sociale.

En 2008, l’armée française avait apporté un soutien déterminant mais discret pour aider Idriss Déby à repousser l’offensive des rebelles dans la capitale. Cette fois, Barkhane a frappé une « progression hostile »mais ne répondant pas aux critères français du « terrorisme », et cela à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale.

Faut-il en déduire que les forces armées tchadiennes (FAN) ne sont pas aussi invincibles que leur réputation le laisse croire ? Les FAN ont été mises en difficulté dans le Tibesti ces derniers mois par un comité d’autodéfense local opposé aux conditions d’exploitation de l’or imposées par l’État. Les frappes françaises sont par ailleurs intervenues après des frappes de l’armée de l’air tchadienne et sur demande des autorités de N’Djamena, a expliqué le porte-parole de l’état-major français cité par l’AFP, laissant entendre que l’armée tchadienne était en difficulté.

 

Au-delà de l’état de l’armée tchadienne, le risque d’un Tchad déstabilisé est du point de vue français bien plus inquiétant qu’à la fin des années 2000. « Les forces armées tchadiennes sont engagées sur trois fronts. À l’ouest avec Boko Haram, au nord avec les rebelles de tous bords et au Mali au sein de la Minusma, commente une source au fait de la position française. Nous leur venons en aide car Barkhane ne tiendrait pas sans N’Djamena et la Minusma ne tiendrait pas sans les Tchadiens à Tessalit. La stabilité du Tchad est la clé de voûte de la stabilité régionale. »

Sept ans après le renversement de Mouammar Kadhafi, Idriss Déby voit grandir sous ses yeux une menace de déstabilisation régionale et personnelle qu’il avait prédite à l’époque à la coalition franco-britannnique. Au nom de la lutte antiterroriste, la France semble quant à elle plus que jamais prise au piège d’un interventionnisme militaire en faveur d’une stabilité politique sahélienne dont les mécanismes autoritaires nourrissent en permanence le désir d’y mettre fin.

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