En tentant de justifier la nécessité des frappes intervenues au Tchad, en février, la France risque encore d’apparaître comme le soutien d’un régime autocrate. Quel est le vrai rôle de la France au Tchad ? La question se pose de nouveau après la série de frappes menées du 3 au 6 février par les Mirage 2000 des forces aériennes françaises contre une colonne de rebelles tchadiens dans le nord du pays, à la demande du président Idriss Deby. Officiellement, cette opération s’inscrit dans le vaste cadre de la lutte contre le terrorisme djihadiste : le Tchad est pour la France un verrou stratégique, cerné de menaces et de foyers d’instabilité – Libye au nord, République centrafricaine et Cameroun au sud, Soudan à l’est, Niger et Nigeria à l’ouest, avec Boko Haram qui risque de créer des franchises dans toute l’Afrique de l’Ouest. Dans un tel contexte, le Tchad est un rouage essentiel contre les groupes djihadistes. Il est le partenaire militaire principal de la France dans la zone ; l’armée tchadienne, réputée solide, n’a jamais fait défaut aux forces françaises depuis qu’elles sont engagées contre le terrorisme islamiste dans la région. C’est d’ailleurs à N’Djamena qu’est basé le QG de l’opération « Barkhane », et c’est là que sont stationnés les chasseurs français.

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Faire échec à une tentative de « coup d’Etat »

L’intervention des Mirage 2000 français début février, cependant, servait un objectif plus précis, si l’on en croit la réponse du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à une question posée à l’Assemblée nationale le 12 février : il s’agissait de faire échec à une tentative de « coup d’Etat » contre le président tchadien. « Il y a eu une attaque d’un groupe rebelle venu du Sud libyen, qui est déstabilisé, pour prendre le pouvoir par les armes à N’Djamena, a déclaré M. Le Drian. Le président Déby nous a demandé par écrit une intervention pour éviter ce coup d’Etat venu du Sud libyen et pour protéger son propre pays. »

Ni le droit international, a pris soin de souligner le ministre, ni les procédures institutionnelles françaises n’ont été violés : les accords qui lient Paris et N’Djamena prévoient le soutien des forces françaises au chef de l’Etat tchadien s’il en fait la demande, et à Paris, les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale avaient été informés de l’opération. L’affaire contredit quelque peu, en revanche, l’engagement pris par le président Emmanuel Macron de ne plus permettre l’ingérence de la France, par l’intermédiaire de ses forces armées, dans la politique intérieure des pays africains.

M. Le Drian cultive l’ambiguïté lorsqu’il évoque « un groupe rebelle venu du Sud libyen » : la colonne d’une cinquantaine de pick-up, lourdement armés, bombardée par les chasseurs français venait bien du Sud libyen, mais elle était composée de rebelles tchadiens, pas de groupes djihadistes. Ces rebelles appartiennent aux rangs de l’Union des forces de la résistance (UFR), dont le leader vit en exil à Doha et dont de nombreux combattants sont partis pour la Libye après un accord de paix conclu en 2010.

Compte tenu de l’instabilité de la région et de la fragilité des pays environnants, la France a donc considéré que sa priorité était de voler, une fois de plus, au secours d’Idriss Déby, comme elle l’a déjà fait en 2008, pour assurer la solidité du verrou tchadien. Quitte à s’exposer à l’accusation de soutenir à bout de bras et de Mirage 2000 un autocrate au bilan désastreux en matière de gouvernance et de droits de l’homme. Ce dilemme est tristement classique. Il mériterait mieux, cependant, que les explications trop courtes du chef de la diplomatie française.

Le Monde

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