27 mars 2017 #TCHAD #France : « Le Tchad est plus fragile qu’on ne le pense » (Christian Seignobos – Lacroix)
Christian Seignobos, directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement (IRD, Paris), revient sur les risques pour la stabilité de ce vaste pays d’Afrique centrale. Un otage français, enlevé jeudi 23 mars dans l’est du Tchad, à 200 km au sud d’Abéché, se trouve au Soudan voisin, selon le ministre tchadien de la sécurité Ahmat Mahamat Bachir. Loin d’être un pays stable, le Tchad est confronté à plusieurs problèmes de sécurité à ses frontières.
La Croix : Comment comprenez-vous l’enlèvement de ce Français ? Christian Seignobos : Nous n’avons pas assez d’éléments pour pouvoir établir ce qui s’est passé. L’hypothèse de l’enlèvement crapuleux est la plus sérieuse. L’information selon laquelle il serait au Soudan peut renseigner sur la nature du groupe qui l’a enlevé. Sur le plan sécuritaire, le Tchad n’est-il pas un géant au pied d’argile ?
Christian Seignobos : « Le Tchad est plus fragile qu’on ne le pense. Son armée a la réputation d’être solide. Elle a montré son savoir-faire au Mali, par exemple. En réalité, c’est la composante zaghawa qui est la plus efficace, la mieux entraînée et la mieux armée. Le reste est composé d’éléments issus d’autres groupes du Tchad. Ces derniers sont peu entraînés, peu armés et peu disposés à mourir pour le président. Idriss Deby ne peut pas compter sur l’ensemble de ses troupes, ce qui limite sa marche de manœuvre et l’oblige à faire des choix ».
Quel choix, par exemple ?
Christian Seignobos : « Aujourd’hui, la plus grande menace pour N’Djamena vient de la présence de Boko Haram au lac Tchad. Des groupes locaux comme les Boudouma leur font bon accueil. Idriss Deby n’arrive pas à éliminer ce foyer : la zone est trop grande, la topographie trop changeante. Il est obligé d’engager des troupes non Zaghawa. La France souhaiterait qu’il envoie des forces à la frontière libyenne pour éviter l’intrusion de Daesh. Pris par le lac Tchad, Idriss Deby n’a pas les moyens de fermer la porte du nord ».
Quels sont les autres problèmes sécuritaires du Tchad ?
Christian Seignobos : « J’en vois deux. La première touche le centre du pays. La découverte d’un gisement aurifère dans la région du Batha a entraîné une ruée vers l’or. Entre 40 000 et 45 000 Soudanais sont arrivés dans cette zone. Les autorités redoutent que parmi ces Soudanais, il se cache des futurs terroristes. Par ailleurs, Déby n’a pas les moyens de partager les revenus du pétrole avec toutes les composantes de la société tchadienne. Parmi ces composantes, il y a les Peuls. Depuis un certain temps, ils réclament, à leur tour, leur part du gâteau, d’autant que leur activité pastorale est en difficulté. Et ils se sont armés, ces dernières années. Le président tchadien les a envoyés en Centrafrique. Les Peuls s’installent dans le centre du pays par la force. Cela crée de vives tensions en Centrafrique. Demain, s’ils doivent rentrer au Tchad, que va-t-il se passer ? »
Interview réalisée par Laurent Larcher- La Croix