Par Abakar Allafouza Brahim

La situation actuelle de la présence militaire française au Tchad me conduit à un de mes lointains souvenirs littéraires ; la notion de « Dilemme ou Drame cornélien ». Un cul-de-sac dans lequel le héros est prisonnier et duquel il tente de sortir sans heurt ni blessure morale. La seule voie qui s’offre à lui, l’élévation, car dans un cul-de-sac, de surcroît très étroit en termes de marge de manœuvre et sans possibilité de marche arrière, seule l’élévation permet de voir la lumière et l’horizon. Elle demande une volonté, surtout morale, parfois un sacrifice de soi-même, et une ténacité inébranlable face aux défis.

C’est un peu la configuration de la position actuelle des États français et tchadiens en matière de coopération militaire. D’une part, comment les autorités tchadiennes se positionnent-elles au regard des récentes évolutions des relations militaires françaises dans les États du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) ? Et d’autre part, à quoi la France dit-elle s’attendre, tant sa présence militaire est clairement fragilisée par cet état de fait ?

Certes, au Tchad, le ressentiment anti-français est moins perceptible. En effet, le pays est dominé, comme en Mauritanie, par un régime militaire depuis des décennies. Si ce sont les ethnies minoritaires et guerrières du Nord qui sont au pouvoir à N’Djamena, il y a toujours le risque qu’un autre groupe armé rival du Nord cherche à remplacer ceux qui détiennent le pouvoir. De son côté, la population sudiste n’a guère la possibilité de participer et de s’exprimer. Le Général Mahamat Deby, fils de l’ancien président Idriss Deby et actuel président du Tchad depuis avril 2021, doit d’abord assurer son autorité sur l’ensemble du pays depuis la mort de son père, tué lors d’affrontements avec un groupe rebelle. L’armée tchadienne a été la seule armée qui avait accompagné fortement « Serval » en 2013 et reste un allié solide de la France. Mais en devrait-il en être toujours ainsi ?

La géopolitique actuelle du Sahel commande à une juste analyse de la situation. En effet, le Tchad aurait-il encore intérêt à garder sa dynamique coopérative sur le plan militaire avec la France ?  Il faut admettre que plusieurs raisons plaident pour une révision, voire une rupture de cette coopération militaire. Mais cela ne va pas sans conséquences !

Primo, la présence militaire française au Sahel procède d’une approche globale, qui s’est inscrite dans la lutte contre le terrorisme y régnant et qui menace les intérêts de l’Hexagone. Il est inutile de taire le fait que les camouflets subis par la France dans au moins trois (3) États sahéliens, ne sont pas sans réelle influence sur sa capacité à être d’une assistance efficace à l’État tchadien qui n’a pas fini de stabiliser ses institutions et connaît toujours quelques incursions rebelles qui menacent sérieusement la scène politique tchadienne.

Secundo, le Tchad n’entend certainement pas rester en marge de ce que l’on pourrait qualifier d’un souffle nouveau d’indépendances des États sous influence militaire française, du moins, ceux du Sahel, qui dans les mêmes configurations politiques que le Tchad, ont réussi la bataille de l’affirmation d’un besoin d’autodétermination. Ou à défaut, se donner une possibilité de varier de façon souveraine ses coopérations militaires. Car à l’évidence, le Sahel africain est devenu ces cinq (5) dernières années, un nouvel espace de la convoitise militaire de certaines puissances occidentales ou orientales. Et le peu qu’on l’on puisse affirmer, c’est qu’il y a de réelles opportunités à saisir, et le Tchad aurait tout intérêt à y songer.

Tertio, et c’est là que le dilemme se corse, le Tchad, au lieu de suivre le vent nouveau qui souffle, décide de maintenir une coopération classique avec la France. Cela aura le plus grand risque de susciter des réactions vives de toute part, notamment de la société civile et la jeunesse africaine. Cependant, un tel choix peut avoir un lot de reconnaissances certaines de la part de la France, qui se verrait ainsi soulagée d’une pression qui commence à faire jaser la classe politique française. Il en résulterait donc une nouvelle configuration des relations tchado-françaises en matière militaire.

Qu’à cela ne tienne, il est clair que le Tchad aura une grande décision à prendre sur sa coopération militaire avec l’Hexagone. Et cela est nécessaire pour une clarification de la position tchadienne dans un Sahel en pleine renaissance.

Tchadanthropus-tribune

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