Arrivé au pouvoir il y a trente ans jour pour jour, Idriss Déby Itno a fait un pas vers la jeunesse en juillet en nommant quelques ministres âgés de moins de 30 ans. Ce remaniement annonce-t-il un vrai renouvellement ?

Lors du remaniement du 14 juillet dernier, le cinquième depuis l’entrée en vigueur de la Constitution, en 2018, le maréchal président Idriss Déby Itno (IDI), 68 ans, dont trente à la tête du pays, a nommé quelques ministres âgés de moins de 30 ans au sein du gouvernement, dont Amina Priscille Longoh, ministre de la Femme et de la Protection de la petite enfance, et Routouang Mohamed Christian Donga, au portefeuille de la Jeunesse et des Sports, l’un et l’autre âgés de 29 ans.

Ce dernier n’était pas encore né, en 1990, quand son père, haut gradé des forces armées nationales tchadiennes (Fant) se mettait à la disposition du colonel Idriss Déby, 39 ans, dont les forces venaient de s’emparer de N’Djamena et de chasser Hissène Habré du pouvoir. Trente ans plus tard, c’est lui, Mohamed Christian Donga, qui accueille le maréchal Idriss Déby Itno à Bongor, dans le sud-ouest du Tchad ce 5 novembre 2020, au début d’une tournée qui a tout d’une précampagne électorale.

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Au cours de cette visite de quelques jours dans les provinces du sud du pays ­ – plutôt hostile au pouvoir –, le chef de l’État va inaugurer tantôt la construction d’une route, tantôt un projet d’inclusion financière en faveur des jeunes et des femmes, deux catégories qui constituent la majorité de la population tchadienne et, donc, le plus important réservoir de voix, autant de citoyennes et de citoyens à séduire.

Précarité et analphabétisme

Entre 1990 et 2020, la population tchadienne a triplé, passant de 5,9 millions à 15,3 millions d’habitants, et s’est considérablement rajeunie. Selon l’Institut national des statistiques et des études économiques et démographiques (Inseed), l’âge moyen de la population tchadienne est de 19,7 ans et l’âge médian de 14,8 ans. Par ailleurs les femmes et les jeunes de moins de 15 ans sont majoritaires, avec une proportion de 50,6 %.

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Parallèlement à la croissance de la population, la pauvreté, l’analphabétisme et la déperdition scolaire se sont accentués, malgré la multiplication des établissements d’enseignement. « Les conditions de vie des personnes pauvres demeurent précaires et sont exacerbées par un faible accès aux services de base, tels que l’eau potable, l’assainissement et l’électricité », estime la Banque mondiale dans un rapport publié en septembre.

 

En réponse à cette situation, les pouvoirs publics ont lancé diverses actions, allant d’une plus grande intégration des jeunes à la fonction publique (20 000 ont été recrutés pour l’année 2020) à des dispositifs pour encourager et accompagner l’entrepreneuriat, mais leurs effets sont encore peu visibles sur les conditions de vie des 15-30 ans.

Reproduction sociale

Dans la capitale, tout le monde a en tête l’image marquante de ces jeunes diplômés obligés de devenir conducteurs de motos-taxis, de ces autres venant par cohortes des provinces, contraints d’exercer les petits métiers de domestiques, gardiens de nuit, vendeurs ambulants… Des clichés malheureusement réels, que gomme difficilement la présence de jeunes ministres au sein du gouvernement.

DÉBY A NOMMÉ LES ENFANTS DE SES COLLABORATEURS »

« Malgré le discours des autorités, il n’y a pas de politique claire en faveur de la jeunesse. La nomination de jeunes ministres n’est en vérité qu’une sorte de reproduction sociale. Déby a nommé les enfants de ses collaborateurs », estime le sociologue Abderamane Ali Goussoumian, qui travaille depuis des années sur les questions de gouvernance. « En matière d’entrepreneuriat, par exemple, il faut des actions plus ouvertes, au-delà des considérations partisanes », ajoute-t-il.

Difficultés d’entreprendre

Entre 2010 et 2012, près de 23 milliards de F CFA (plus de 35 millions d’euros) ont été distribués sous forme de microcrédits dans les 23 régions du pays pour booster l’entrepreneuriat, sans résultat tangible et, surtout, avec un taux de remboursement si faible qu’à l’annonce, en avril dernier, de la mise en place d’un fonds de soutien à l’entrepreneuriat doté de 30 milliards de F CFA, les banques désignées comme partenaires n’ont montré que fort peu d’empressement.

« Il nous faut une jeunesse qui ose et qui ait de l’audace », a l’habitude de marteler le chef de l’État dans ses discours. Mais pour oser il faut un environnement favorable et, surtout, un cadre légal qui le permette. Or, par exemple en matière de politique, pour être membre du bureau d’un parti, il faut avoir au moins 30 ans (selon l’ordonnance sur les partis). « Si l’on veut avoir demain des cadres formés et expérimentés, il faut qu’ils aient eu le temps de faire leurs armes. Aujourd’hui, le cadre légal ne permet pas aux jeunes de participer à la gestion de la chose publique », regrette Abderamane Ali Goussoumian.

TROP JEUNES POUR LA PRÉSIDENCE

Le mouvement Les Transformateurs, créé en 2018 par Succès Masra, 37 ans, ancien économiste de la Banque africaine de développement, n’a pas encore été reconnu en tant que parti politique. Pourtant, il revendique une modification de la Constitution afin de permettre à son leader de se présenter à la prochaine présidentielle – pour laquelle l’âge minimum requis pour être éligible vient d’être abaissé de 45 ans à 40 ans, à l’issue du deuxième Forum national inclusif, qui s’est tenu du 29 octobre au 1er novembre.
Cette question était au centre de la rencontre, organisée par la majorité et censée évaluer la Constitution de la IVe République, entrée en vigueur en mai 2018, afin de remédier à ses éventuelles imperfections.

Au cours des débats, la plupart des participants ont sollicité l’abaissement de l’âge d’éligibilité pour la présidentielle à 30 ou 35 ans, comme il était inscrit dans la précédente Constitution, abrogée en 2018.

Mais Mariam Mahamat Nour, la ministre secrétaire générale du gouvernement, qui présidait le forum a tranché : ce sera 40 ans au lieu de 45 ans, pas moins. Ce qui exclut donc de la course à la présidentielle d’avril 2021 le leader des Transformateurs, lequel dénonce une « clause anti-Masra » et déplore que, dans un pays où 80 % de la population a moins de 40 ans, c’est exclure en partie les représentants et les revendications de la jeunesse du jeu électoral.

À titre de comparaison, l’âge minimum requis pour être candidat aux fonctions électives de député ou de conseiller municipal est de 25 ans… Ce que certains détracteurs de l’actuel code électoral ne trouvent encore « pas assez jeune », estimant qu’il n’est pas juste que l’on puisse être électeur (18 ans) sans pouvoir être éligible.

Tchadanthropus-tribune avec jeune Afrique.com

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