L’administration publique tchadienne a le blues. Depuis un an, elle est traversée par une grave crise, faite de grèves à répétition. Depuis lundi, elle est à nouveau paralysée, suite à un nouveau mot d’ordre de grève de 72 heures, sans service minimum. La fracture est donc toujours béante entre le gouvernement et les syndicats autour de la question des salaires. Les représentants des travailleurs n’ont pas fait dans la dentelle en réclamant 115% de hausse.
Ont-ils mis la barre trop haut ? Toujours est-il que leurs revendications n’ont pas été satisfaites, d’où ce nouveau bras de fer. Les fonctionnaires africains, en général, sont les parents pauvres du monde du travail, en raison des ressources très limitées des Etats. Mais pour le cas du Tchad, la situation est autre. Le pays est entré depuis quelque temps dans le cercle très envié des producteurs de pétrole et a donc vu ses revenus se multiplier. Tout le monde aspire donc à profiter de cette manne.
Mais si les tenants du pouvoir jouissent abondamment des fruits de l’or noir, tel ne semble pas être le cas des fonctionnaires et probablement de la majorité de la population, qui continuent de croupir dans la misère. Au début de l’exploitation du pétrole, le président Idriss Déby Itno avait des circonstances atténuantes. Le Tchad était encore en proie à des attaques rebelles, même si elles étaient résiduelles. Au nom de l’effort de guerre, les Tchadiens pouvaient donc fermer les yeux sur l’usage de la rente pétrolière. Ils ont même accepté la suppression de la ligne budgétaire réservée aux générations futures.
Aujourd’hui, et c’est fort louable, le Tchad vit dans la paix. Rien ne peut donc plus justifier une utilisation opaque et hasardeuse de la principale richesse du pays. Les Tchadiens veulent désormais comprendre les mécanismes d’exploitation et de gestion du pétrole. Mais surtout, ils veulent davantage profiter de ce bien qui leur appartient à tous. La grève des fonctionnaires, au-delà du caractère purement salarial, traduit donc une soif de transparence dans la gouvernance économique. En tant que couche sociale mieux éclairée, comparativement à la masse des paysans, ils ont une vision plus acérée des problèmes du pays.
C’est donc une interpellation non seulement à une aussi juste redistribution des biens nationaux, mais aussi à une meilleure gestion du pays. Tant que l’opacité règnera dans les secteurs économiques, le peuple ne pourra que douter de la bonne foi de ses dirigeants. Car l’antienne selon laquelle le pays a de nombreuses priorités ou que les ressources de l’Etat sont limitées, commence à connaître ses limites. Les populations tchadiennes, comme d’ailleurs celles des autres pays africains, sont fatiguées d’attendre un bonheur toujours promis mais jamais là. Et pendant ce temps, les dirigeants ne se privent pas de mener grand train. Ce paradoxe où les populations crèvent de faim alors que les gouvernants sont repus, est révoltant. Le Tchad n’échappe malheureusement pas à ce mal profondément africain.

© Le Pays : Mahorou KANAZOE 

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