Sélectionné une nouvelle fois en compétition au festival de Cannes, Mahamat-Saleh Haroun signe un film ancré dans la réalité du Tchad sur un danseur handicapé et une prostituée qui cherchent le chemin de leur salut, malgré les embûches de la vie.  

 

Grigris enflamme les nuits de N’Djamena. Dans la capitale tchadienne, ce danseur handicapé fascine les noceurs par la virtuosité de son déhanchement et de sa chorégraphie. Après ses performances, il redevient un jeune homme timide qui seconde un vieil homme dans son échoppe de photographie.

Mimi embrase les nuits de N’Djamena. Elle vend son corps, aux Blancs le plus souvent, alcoolisés et lubriques, qui tanguent à son bras. Un jour, elle débarque dans la petite boutique pour se faire prendre en photo. Elle veut devenir mannequin et s’offre, rayonnante, à l’objectif de Grigris. Ces deux marginaux, vulnérables et doux, vont s’attirer et s’épauler mutuellement.

Grigris a besoin d’argent pour soigner son père de substitution et veut aussi se prouver qu’il est comme les autres. Il s’enrôle, malgré son handicap, chez les trafiquants d’essence de N’Djamena et se lance, avec eux, dans des expéditions à risque et dans des courses-poursuite avec la police.

FUITE ET REFUGE

Grigris et Mimi veulent échapper à leur condition. Le dérapage d’une livraison d’essence pour l’un, l’échec des ambitions pour l’autre précipitent leur fuite, avec un gang à leurs trousses, vers le village natal de Mimi, tenu par des femmes qui offrent un refuge naturel à ces deux proscrits, accueillis sans jugement, pour leur part d’humanité.

Cette fable réaliste, sur fond documentaire (la vraie vie de danseur handicapé de Souleymane Deme, les trafics et la réalité de la prostitution à N’Djamena) fut le seul film africain sélectionné en compétition, lors du dernier festival de Cannes. Le cinéaste Mahamat-Saleh Harounancien journaliste, a été plusieurs fois récompensé sur la Croisette (il futmembre du jury en 2011) et à la Mostra de Venise pour Bye-bye Africa, Abouna, Daratt, Saison sèche, Un homme qui crie 

Mais pas cette fois. À la différence de ses œuvres précédentes, tendues et stylisées dans une impressionnante économie de moyens, Grigris pâtit du relâchement de son scénario, du flottement de ses articulations, d’un étirement du temps, de scènes pas toujours bien ajustées, ni vraiment abouties, parfois maladroites ou qui souffrent de leur montage.

 

LE CORPS, INSTRUMENT DE LA SURVIE

Pourtant, ce film ne manque ni de tension (la relation de Grigris avec les trafiquants, le jeu de Cyril Gueï, acteur prodigieux dans le rôle du vrai méchant qui alterne douceur et fureur), ni de beauté (les scènes avec le père de substitution de Grigris, la livraison périlleuse dans les égouts sous des éclairages travaillés, la solidarité active des femmes du village, le calme de la campagne opposé à l’atmosphère inquiétante de la ville).

Pour la première fois à l’écran, Souleymane Deme et Anaïs Monory composent des personnages à la dérive, en perdition, qui se sauvent (au double sens du terme) ensemble. Leur corps est leur passeport, leur instrument de survie. Ce couple aux abois cherche le chemin de son salut. Mahamat-Saleh Haroun illustre, une nouvelle fois, la philosophie humaniste qui imprègne son œuvre et la rend si attachante.

 

 
JEAN-CLAUDE RASPIENGEAS
 

 

 
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