
20 mars 2025 #TCHAD #Guinée équatoriale : Les dessous de l’accord de transit entre N’Djamena et Malabo.
Agacées par les délais et les tracasseries qui frappent leurs importateurs nationaux au port de Douala, les autorités tchadiennes se tournent vers le port de Bata, en Guinée équatoriale. S’il s’agit avant tout de mettre Yaoundé sous pression, Malabo espère à terme en tirer avantage.
Depuis début mars, le marché tchadien du ciment connaît une pénurie telle que le prix d’un sac a augmenté de plus de 50 %, relançant le débat sur le transit des marchandises via le Cameroun. Le ministre du commerce, Mathieu Guibolo Fanga, a mis les problèmes d’approvisionnement sur le compte de l’opérateur ferroviaire de son voisin Cameroon Railways (Camrail). Ces dernières années, l’exacerbation des conflits en Libye et au Soudan et les tensions entre le Niger et le Bénin ont rendu N’Djamena plus dépendant que jamais de son corridor méridional pour s’approvisionner (AI du 25/08/23).
Afin de desserrer l’étau camerounais, la ministre tchadienne des transports, Fatimé Goukouni Oueddei, a signé le 13 décembre 2024 avec son homologue équato-guinéen, Honorato Evita Oma, une convention relative au transit des marchandises, dont les clauses sont restées secrètes. Consulté par Africa Intelligence, l’accord, valable pour une durée de cinq ans, stipule que les marchandises tchadiennes transitant via les ports en eau profonde de Bata et le poste-frontière terrestre d’Ebibeyin seront « franchisées de droits de douane et de tous autres droits ou taxes éligibles à l’importation ou à l’exportation, y compris les droits d’accises liés au transit ». En échange, le Tchad s’engage à encourager ses importateurs à passer par le territoire équato-guinéen.
Pour le transport terrestre, les deux pays se sont mis d’accord sur une clé de répartition : 70 % des marchandises seront prises en charge par des transporteurs tchadiens et 30 % par leurs homologues équato-guinéens. Enfin, Malabo s’est engagé à mettre à disposition, à 20 km du port de Bata, un terrain de 30 hectares pour y construire, à terme, une zone franche.
Coup de bluff
Avec cette convention, Malabo vise une augmentation du trafic dans le port de Bata, sous-exploité, ainsi que le développement de son hinterland. Pour N’Djamena, il s’agit avant tout d’un coup de bluff à destination du Cameroun. Le Tchad n’entend pas abandonner la voie doualaise, moins éloignée et plus développée que le débouché équato-guinéen. D’autant que le passage par Bata et Ebibeyin impliquerait un transit par le Cameroun ou la Centrafrique. N’Djamena cherche cependant à inciter les autorités camerounaises à lutter contre les tracasseries et autres points de contrôle illégaux des forces de police, principalement concentrées sur les environ de Douala.
Les importateurs tchadiens souffrent par ailleurs des contre-performances du Port autonome de Douala (PAD), où le temps de formalité augmente, ce qui participe à un fort renchérissement des prix à l’importation. Un conteneur reste bloqué en moyenne vingt-et-un jours, alors que la franchise n’est appliquée que pour les onze premiers jours. Les corridors à destination du nord du Cameroun n’étant pas assez développés autour de Kribi (AI du 17/03/25), ce deuxième port camerounais ne constitue pas encore une alternative intéressante.
Enfin, la géolocalisation des marchandises transitant par le Cameroun est à la charge des douanes tchadiennes, qui répercutent le coût du service sur les importateurs. Le Tchad porte toutefois sa part de responsabilité. En 2019, le Cameroun avait mis à disposition de N’Djamena deux terrains, à Douala et à Kribi, afin de créer leur propre service de fret. Les autorités tchadiennes ne les ont cependant jamais développés.