Le Forum de Développement du Centre d’Étude et de Formation pour le Développement (CEFOD) a organisé une conférence-débats le vendredi 25 janvier 2013 sur le thème, « Tchad : modifications constitutionnelles, stabilité politique et gouvernance démocratique ». Les deux juristes qui ont développé cette problématique sont Dr. Maoundonodji Gilbert, politologue et Dr. Ahmat Mahamat Hassane, Constitutionnaliste.

D’entrée de jeu, les orateurs se sont accordés sur le fait que la Constitution, loi fondamentale d’une nation, peut soit être totalement modifiée ou être révisée dans certaines de ses dispositions. Le législateur place néanmoins des garde-fous pour éviter toute dérive.

Pour coller à l’actualité tchadienne, suite aux vœux exprimés par les congressistes du Mouvement Patriotique du Salut (MPS), parti au pouvoir, les députés vont se prononcer dans les tous prochains jours sur la révision de la Constitution. Cette révision touche le principe des incompatibilités des fonctions du Président de la République avec certaines activités politiques et associatives (article 71), le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège et l’érection d’une Cour des Comptes (articles 150, 152 et 154). Les membres du Conseil National du Salut (CNS) ont demandé au Président de la République Idriss Déby Itno qu’il puisse être aussi le président du MPS.

Cette initiative suscite la controverse au sein de la classe politique et parmi les Tchadiens en général. C’est dans le souci de donner plus d’éclairage sur la question que le CEFOD a organisé ce débat. Plus de 400 personnes dont 43 femmes ont suivi avec attention les débats qui se sont déroulés dans la salle multimédia.

L’article 71 de la Constitution précise que « les fonctions du Président de la République sont incompatibles avec l’exercice de tout autre mandat électif, de tout emploi public et de toute autre activité professionnelle lucrative. Elles sont également incompatibles avec toute activité au sein d’un parti ou groupement de partis politiques ou d’une organisation syndicale ». Partant de cette disposition, les intervenants ont précisé que le principe selon lequel le Président de la République ne doit pas être l’homme d’un parti politique et qu’il doit se situer hors du jeu politique des partis, garantit son impartialité par rapport aux intérêts partisans, conformément au serment qu’i la prêté. « Au cous du 5ème congrès du MPS, le Président de la République a pris part aux assises et y a prononcé un discours. N’a-t-il pas violé la Constitution ? », s’interroge Dr. Ahmat Mahamat Hassane. En permettant au Chef de l’Etat de prendre part légalement aux jeux partisans, on risque d’ôter à l’institution présidentielle les privilèges et immunités juridiques qui lui sont garantis par la Constitution. Sa responsabilité personnelle sera retenue devant les juridictions pour certains actes qu’il sera amené à poser, prévient-il.

Pour ce qui est de l’inamovibilité des magistrats du siège, l’article 150 de la Constitution dispose que « les magistrats du siège ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi. Ils sont inamovibles ». Pour les conférenciers, ce principe garantit l’indépendance de la magistrature et de la liberté des magistrats du siège qui décide et juge au nom du peuple. En permettant de les muter comme il le veut, l’Exécutif pourrait dessaisir tout juge qui ne rendrait pas une décision en sa faveur.

Les débats ont été marqués par des contributions et questions posées par un public composé de députés, diplomates, responsables des grandes institutions de la République, cadres et étudiants.

En conclusion, les conférenciers pensent que cette initiative de révision constitutionnelle est inconstitutionnelle parce qu’elle porte atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et au pluralisme politique. Elle comporte des risques d’instabilité politique car elle renforce les acteurs politiques qui pensent qu’il y a là une dérive autocratique.

Comme alternatives, Dr. Maoundonodji Gilbert suggère que les initiateurs de la proposition y renoncent. Il exhorte le Conseil constitutionnel à déclarer inconstitutionnelle la proposition sinon il en appelle aux citoyens d’exercer un contrôle non juridictionnel de constitutionnalité.

La présente conférence s’inscrit dans le cadre du projet interaction financé par l’Union Européenne, dont l’objectif est de « permettre aux populations, aux Acteurs non étatiques et aux autorités locales de connaître leurs droits et devoirs, d’améliorer leurs interactions dans les prises de décision pour la construction d’une société intégrée et pacifiée ».

Mbaïdedji Ndjénodji Frédéric 

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