Les deux principaux opérateurs viennent de lancer leur offre de mobile banking. Si la monnaie virtuelle n’est pas encore entrée dans les moeurs, la fonction de transfert d’argent a déjà décollé. Parce que le réseau de transfert d’argent est souvent peu fiable. Parce que quand il l’est, il reste trop éloigné des contrées reculées. Parce que, à l’inverse, la couverture du réseau GSM est très bonne et connaît une croissance exponentielle. Parce que le réseau mobile, enfin, offre énormément de facilités dans un pays encore rural – même si la tendance, comme partout en Afrique, est à l’urbanisation. C’est pour toutes ces bonnes raisons que l’opérateur Airtel, via Airtel Money, s’est lancé en juin 2012 sur le créneau du mobile banking (services bancaires sur téléphone mobile), conjointement avec le groupe bancaire panafricain Eco Bank. Son concurrent Tigô a suivi fin 2012 en lançant Tigô Cash, en partenariat avec Orabank.


Dans les deux cas, le principe est le même : utiliser son téléphone, préalablement rechargé en monnaie virtuelle, pour faire ses courses, aller au restaurant ou encore pour transférer de l’argent à quelqu’un. Pas besoin de carte d’identité, un simple code suffit alors pour récupérer le transfert chez un dépositaire : commerçant, prestataire de services, etc. « Il y en a déjà beaucoup, mais nous essayons de densifier notre réseau », explique Djekouamian Neto non Jonathan, responsable de produit chez Airtel. Pour l’option paiement de factures, une soixantaine d’enseignes (supérettes, pharmacie, restaurants) s’essayent déjà à l’exercice. Mais le nombre de clients qui choisissent d’utiliser leur téléphone comme portefeuille reste pour le moment limité.
 

Début mars, on recense 113 000 utilisateurs : 63 000 chez Airtel et 50 000 chez Tigô.

 

Tactique.

Même si les opérateurs n’en communiquent pas encore le montant, la masse d’argent qui transite sur leurs plateformes est surtout liée à l’activité de transfert. Elle est la plus prisée des quelque 113 000 utilisateurs (63 000 chez Airtel Money et 50 000 chez Tigô Cash) enregistrés dans le pays début mars. Ce nouveau système semble séduire. Mais trop lentement au goût de Djekouamian Neto non Jonathan, qui estime qu’« on peut faire plus » : « Les gens ne comprennent pas du premier coup, c’est pourquoi nous communiquons à fond sur le produit. » Les campagnes menées par les deux opérateurs présentent les différentes utilisations : on y voit tantôt un père qui reçoit de l’argent pour l’aider à travailler son champ, tantôt un commerçant réjoui de pouvoir être réglé rapidement…

 

Chez Tigô, la tactique adoptée se rapproche de celle des établissements de micro finance, pour capter l’argent restant hors du circuit bancaire. « Nous visons beaucoup les femmes mossos [commerçantes, NDLR] et les clandomans [moto-taxis] parce que nous savons que, structurellement, le taux de bancarisation ne va pas grimper de sitôt », explique Paul Langlois-Meurinne, qui suit le produit chez Tigô et compte bien rattraper son retard sur son concurrent.

 

Le mobile banking permet aussi de faire de l’humanitaire. Une ONG intervenant dans l’est du pays s’en sert déjà pour envoyer ses dons, depuis la capitale, à des bénéficiaires en zone rurale : « Le temps d’un SMS et ils vont chez notre dépositaire récupérer leur dû. » Une économie de temps, de logistique et de sécurité, sachant que sur certaines routes tchadiennes les braquages sont monnaie courante.

 

Pour les banques tchadiennes, le plus dur est passé.


Les banques se remettent des retombées de la révolution libyenne. Notamment grâce à l’État, qui occupe une (trop) grande place dans le secteur, à la fois comme actionnaire et comme client.

Après une année 2011 difficile, l’année 2012 a été qualifiée de « neutre » par l’un des principaux banquiers de la place. Sur les huit établissements présents sur le marché tchadien, les deux comptant une participation libyenne – la Banque commerciale du Chari (BCC) et la Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce (BSCIC) – ont finalement peu souffert de l’incertitude née de la révolution. Trois banques privées (le groupe panafricain Eco Bank, le togolais Orabank et le français Société générale) dominent le secteur, avec plus de la moitié des parts de marché en termes de dépôts. Eco Bank, arrivé en 2006 au Tchad, se taille la part du lion avec un peu plus du quart des quelque 550 milliards de F CFA (838 millions d’euros) de dépôts recueillis à la fin de 2012. Trois banques suivent de très près : Orabank Tchad (19 % des dépôts), Société générale Tchad (17 %) et Commercial Bank Tchad (16 %).

 

L’enjeu consiste toujours à faire progresser le taux de bancarisation, qui n’est actuellement que de 5 %. Parmi les outils généralement efficaces dans ce domaine, le mobile banking (ensemble de services bancaires accessibles via le téléphone mobile) reste balbutiant. Un projet mené conjointement par Orabank et l’opérateur de télécommunications Tigô a été lancé fin 2012. Eco Bank, en partenariat avec l’opérateur Airtel, avait, lui, investi le créneau quelques mois plus tôt, en juin. La banque panafricaine, qui veut poursuivre son extension géographique, à l’est et au centre du pays, a également décidé de réduire autant que possible les contraintes liées à l’ouverture d’un compte. Elle veut en outre développer l’usage des cartes bancaires chez sa clientèle en installant des terminaux de paiement électronique chez les commerçants et les grossistes.


L’enjeu est de faire progresser le taux de bancarisation, qui n’est que de 5%.

 

Informel

 

Mais l’un des traits caractéristiques du secteur reste la prépondérance de l’État. Ainsi, Kerim Mahamat Ali, directeur de la filiale locale d’Eco Bank, juge que le marché bancaire reste largement dominé par le secteur public, « grand pourvoyeur de ressources, de transactions et d’effet induits à travers ses investissements dans le BTP, les mines et les services ». Il regrette la taille relativement modeste du tissu entrepreneurial, incapable de soutenir un réseau bancaire plus solide à long terme. Mawata Wakag-Gomon, secrétaire général de l’Association professionnelle des établissements de crédit (APEC Tchad), incrimine quant à lui l’économie informelle, très prospère et qui recourt très peu au financement bancaire. Il juge que la « base économique du pays demeure fragile ».


Pas de Privatisation

 

L’importance de l’État se ressent également dans sa participation au capital de trois des huit banques de la place. Quatre même à titre temporaire, les autorités ayant repris, dans le cadre d’un portage avec un engagement de cession, une part du capital de la Commercial Bank Tchad (CBT), ancienne propriété de l’homme d’affaires camerounais Yves-Michel Fotso. Mais ce dossier semble au point mort. Et la privatisation des trois établissements publics n’est apparemment pas envisagée. L’État a en outre suivi de près la situation des banques à capitaux libyens et soutenu leur trésorerie pour éviter qu’elles ne disparaissent. « Leur existence semble donc préservée pour l’instant, mais tout dépend des décisions de la nouvelle administration libyenne », confie un banquier qui préfère garder l’anonymat.

 

À en croire les observateurs, les perspectives du secteur pour 2013 sont bonnes. « Le plus dur est passé : l’année 2012 a été marquée par un ralentissement des engagements publics et un effort de maîtrise de l’exécution du budget de l’État, explique Kerim Mahamat Ali. Il y a eu beaucoup d’avancées en 2012, notamment d’un point de vue réglementaire et dans l’environnement des affaires. En décembre 2012, la Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, NDLR] a adopté un règlement qui protège les avoirs des banques. De plus, les perspectives macroéconomiques s’ouvrent. Le budget 2013 est très orienté vers les infrastructures [de transport, essentiellement], sans compter que les récoltes de coton et de gomme arabique s’annoncent bonnes. » Autre événement positif : l’entrée en production, en 2011, de la raffinerie de N’Djamena, qui limite les importations de carburants et donc les sorties de devises du pays, devrait permettre d’augmenter la base de dépôt à un rythme encore plus rapide que les 20 % annuels observés jusqu’alors.

 

 

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