Aviateur militaire de formation pilote, le commandant Jean Louis Vertu, est l’une des figures de l’opposition armée et en exil tchadienne. Démissionnaire en 2006 où il était à la tête des opérations aériennes de la mission de l’Union africaine au Soudan, le Commandant Jean Louis Vertu a rejoint l’opposition armée tchadienne de l’est où il a  contribué à la création de l’UFPD qui est devenue plus tard l’UFDD dirigée par le Général Mahamat Nouri Allatchi.

Militaire de formation et officier supérieur en exil, il suit de prés la  crise malienne et l’intervention des forces tchadiennes dans le théâtre des opérations contre le groupe djihadistes.

Dans l’interview qu’il nous a accordée, le commandant Jean Louis Vertu revient sur les raisons qui l’ont motivé à rejoindre la rébellion pour combattre le régime d’Idriss Deby qu’il qualifie d’ « Odieux et d’anti-démocratique » où les proches du pouvoir en place bénéficient d’une impunité totale cautionnée par le même pouvoir qui confond sciemment un état de Droit dans une démocratie  et une chefferie traditionnelle. Il donne son analyse sur l’intervention des forces françaises, les troupes africaines et critique la présence de la milice d’Idriss Deby au nord Mali. Face à la situation qui prévaut actuellement au  Tchad, le commandant Jean Louis Vertu appelle de ses vœux l’ensemble des forces vives de la nation à se mobiliser pour apporter le changement politique qu’il estime impératif au regard de la dégradation sociopolitique et économique du pays.

 

 

Blogmak : Bonjour commandant Jean Louis Vertu ! Vous êtes une des figures de l’opposition armée tchadienne en exil, pourriez-vous, vous présenter à nos lecteurs ?

Le commandant Jean Louis vertu : Bonjour et merci de m’accorder cette occasion pour discuter des certaines questions d’actualité. Je suis aviateur militaire de formation pilote de transport Hercules C-130 H et H-30. Après mon retour des États unis en 2003 où j’ai suivi le stage de formation d’État-major Air, le Gouvernement du Tchad m’a affecté en juin 2004 en tant qu’observateur militaire (rôle de médiateur) au sein de la commission du cessez-le-feu de L’Union Africaine au Darfour Soudan. Trois mois après ma prise de fonction, j’ai été sollicité par la hiérarchie militaire de la force multinationale de l’Union africaine à la création du concept d’une cellule d’opération aérienne dont je finis par être le responsable en tant que chef des opérations aériennes de la mission de l’Union africaine au Soudan. Après deux ans de service au sein de cette mission multinationale de maintien de la paix, je démissionne en juin 2006 pour rejoindre l’opposition armée tchadienne où nous avons créé l’UFPD qui deviendra quatre mois plus tard L’UFDD présidée par le Général Mahamat Nouri Allatchi.

La raison majeure qui m’a motivé à prendre les armes contre le régime odieux et anti démocratique de N’Djamena, est l’injustice sociale caractérisée en système de gouvernance où certains proches du pouvoir bénéficient d’une impunité totale cautionnée par un pouvoir qui ne cesse de confondre sciemment  un état de Droit dans une démocratie  et une chefferie traditionnelle.

 Blogmak : Vous suivez la guerre au Mali et ses conséquences en Afrique de l’ouest. Comment  expliquez-vous le retard accusé dans le déploiement de ces forces de la CEDEAO ?

Le commandant jlv : Ecoutez ! la guerre a toujours des conséquences néfastes dont nous pouvons ignorer. Le retard accusé dans le déploiement des forces de la CEDEAO est dû à des raisons techniques et financières. Les armées africaines n’ont pas la capacité de projection des forces sur les théâtres des opérations, car un tel déployait de troupe demande des moyens aériens conséquents et une logistique de pointe… Il y’a aussi l’aspect financier qui est le plus important dans ce type d’opération multinationale. Cependant, les pays africains, ont toujours tendance à tendre leurs mains vers l’occident pour réclamer des moyens financiers au lieu de faire un geste eux-mêmes et par la suite solliciter la communauté internationale si nécessaire. L’Afrique a les moyens de participer financièrement à ce type de mission, donc qu’ils agissent avec dignité et honneur pour contrer les menaces sur leur continent et même au-delà s’il y a lieu d’être…

Blogmak : L’armée tchadienne est sollicitée d’intervenir dans la guerre au Mali. Qu’en pensez-vous de la présence des troupes tchadiennes dans l’espace CEDEAO ?

Le commandant jlv : Il est vrai qu’au début des préparatifs de cette force, le Tchad avait été sollicité par certains dirigeants des pays membres de la CEDEAO. Les raisons avancées et soutenues par ces dirigeants, et que les Tchadiens sont combatifs, aguerris et connaissent les ruses de la guerre du désert. Ceci n’est pas faut !!! Mais ce qu’ils oublient c’est le contexte qui diffère, car à l’époque où nous avons mis en déroute hors de notre territoire l’armée libyenne et ses mercenaires de tout bord, le Tchad était atteint dans sa dignité et son intégrité territoriale par les visées expansionnistes d’un Colonel en mal de reconnaissance (Mouammar Kadhafi). Aujourd’hui, le contexte est totalement différent, car nous avons en face de nous des combattants djihadistes et non une armée classique et conventionnelle. Le repli très bien organisé des djihadistes dans la chaine de montagne du nord Mali nous laisse croire qu’une lutte basée sur les tactiques de la guérilla se prépare à s’exécuter sous toutes ses formes dans ce coin du monde où la topographie du terrain ne sera pas en faveur de la force multinationale. Il faut ajouter à tout cela, que le contingent tchadien ne répond guère à aucun critère d’une armée républicaine digne de son nom, mais plus une milice lourdement armée à la solde d’un despote en quête de reconnaissance régionale et internationale par le temps qui court sur la scène politique Tchadienne.

 

Blogmak : Croyez-vous que le dirigeant tchadien a été réellement sollicité au Mali ?

Le commandant jlv : Comme je l’ai dit précédemment il y a deux chefs d’État de la CEDEAO qu’ils l’ont sollicité officieusement à prendre part à cette force multinationale, mais Idriss Deby de son côté n’a pas hésité   à activer ses réseaux  et prendre tout le monde de vitesse pour ce faire accepter sur ce théâtre des opérations de la CEDEAO dont il ne fait pas membre juridiquement. Il n’est pas sollicité ni par la CEDEAO, ni le Mali encore moins la communauté internationale. Il s’est invité, une façon de soigner son image de vil personnage. Idriss Deby et sa milice ont réellement fait du forcing pour prendre part à cette force multinationale.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      

Blogmak : l’opinion  publique nationale estime qu’Idriss Deby au nom de la lutte contre le terrorisme international, essaie de redorer l’image de son régime aux yeux de la communauté internationale pour occulter  le drame de son peuple. Quelle analyse faites-vous ?

Le commandant jlv : le peuple tchadien est aujourd’hui et depuis 22 ans sous une dictature vêtue d’un manteau démocratique taillée sur mesure en la personne d’Idriss Deby et son système qui ne cesse de détruire notre nation sur tous les plans. La crise socio-économique que traverse le Tchad depuis bientôt sept mois est sans alternative, Idriss Deby joue à grande échelle l’astuce de la diversion politique pour masquer les réalités que connaît le pays. La communauté internationale et les réseaux de la France-Afrique ont toujours été complices du drame que le Tchad traverse depuis 22 ans de règne dictatorial.

Blogmak : selon vous la participation des troupes tchadiennes au Mali, peut-elle se justifier ?

Le commandant jlv : La participation du Tchad dans cette guerre n’est pas justifiable, de tous les points de vue ; d’ailleurs il n’existe pas une armée nationale qui défend les valeurs républicaines et au service du peuple. Il existe tout simplement une horde des milices motorisées et lourdement  armée au service du despote.

Blogmak : En votre qualité d’officier supérieur, quelle lecture faites-vous en termes d’enjeux tactiques et opérationnels des troupes africaines engagées sur les théâtres des opérations militaires ?

Le commandant jlv : La  guerre  n’a pas encore commencé, les  frappes chirurgicales aériennes,  le déploiement des forces  et l avancée des forces amies sur le théâtre des opérations. Le retrait des djihadistes sans résistance face à la force multinationale consiste la première phase de l’opération en cours. La deuxième phase de cette opération militaire où le choc frontal jusqu’à là, éviter par les djihadistes prendra place sans aucun doute sur le plan tactique où les  vrais combats vont commencer dans un terrain montagneux hostile à la force amie. Les djihadistes  risquent de tenir les forces amies au respect dans cette guerre d’usure où la mobilité d’une armée classique et conventionnelle montrera ses limites du au changement de la configuration du terrain au nord du théâtre des opérations. Les méthodes de combat de la guérilla seront utilisées par les djihadistes pour se défendre des attaques de la force amie. Ces méthodes sont connues pour leur efficacité, elles ne sont pas toujours victorieuses, mais engendrent une guerre d’usure qui coutera  des vies humaines, du temps et beaucoup d’argent dans le futur. Selon mon analyse propre de cette situation d’opération militaire et cette forme de guerre qui se dessine à l’horizon, le choc frontal avec les djihadistes n’est pas nécessaire dans l’immédiat. Il faut arriver à tout prix à les contenir dans leurs nouveaux refuges des chaines de montagne du nord Mali, tout en leur coupant toutes lignes de ravitaillements venant de la Lybie ou autre endroit défini par les rapports du renseignement militaire. L’avantage de la supériorité aérienne de la force multinationale et les drones de surveillances qui sont déployés sur le théâtre des opérations en soutien, doivent être utilisés de manière efficace à réduire le potentiel militaire des djihadistes dans un premier temps. Dans un second temps, le choc frontal peut prendre place afin de ratisser les cachettes contenant des poches de résistance djihadistes dans les chaines de montagnes. Cependant, je fais que donner mon point de vue de la situation militaire, mais je laisse mes anciens plus expérimentés en la matière d’apprécier la situation tactique et opérationnelle et répondre efficacement  pour une victoire décisive sur le terrain.

Blogmak : n’eût été l’armée française, les groupes djihadistes seraient déjà emparés de Bamako et auraient même progressé dans d’autres pays de la sous-région. Comment expliquez-vous l’action de l’armée française au Mali ?

Le commandant Jlv : L’armée française a accompli sa mission avec succès et je félicite le Président français François Hollande pour avoir pris cette courageuse décision d’engagement au Mali. Mais la question de la sécurité du continent restera toujours sans réponse. La menace intégriste est réelle, mais il faut qu’il existe sur l’ensemble du continent des institutions démocratiques, dans notre pays et dans l’ensemble du sous-continent de l’Afrique centrale, il existe un déficit énorme de démocratie, de justice sociale et des libertés. Si cette question de la bonne gouvernance n’a pas eu des réponses efficaces, l’insécurité existera ! Non seulement au Mali, l’Afrique tout entière est menacée.

Blogmak : il a fallu l’armée française pour stopper la progression des groupes islamistes. Comment expliquer la faiblesse de l’armée malienne et des troupes africaines face à ces groupes islamistes ?

Le commandant Jlv: Au sein de l’État, si les institutions politiques présentent des déficits en leurs seins, l’armée sera automatiquement affectée. La crise politique malienne explique sans aucun doute la faiblesse de  l’armée malienne face aux djihadistes.  Je dirais que les troupes africaines seront à la hauteur du défi qui les attend, sauf s’ils obtiennent la logistique nécessaire, l’emploi de la force aérienne et le renseignement  obtenu par les Drones de surveillance.

Blogmak : certaines personnes pensent que sans l’aviation de l’armée française, les groupes islamistes ne seraient vaincus. Qu’en dites-vous ?

Le commandant Jlv : (hum sourire) ceci est claire, nous avons vu l’avancée des groupes islamiques sur Bamako, et le président Malien lancé un appel à l’aide ; alors l’escadrille de chasse française intervient et aujourd’hui ils sont repoussés jusqu’aux montagnes du nord Mali. La supériorité aérienne est toujours un élément décisif dans n’importe qu’elle type de guerre et son efficacité s’avère redoutable  à condition que les renseignements fournis aux pilots  soit  précis. 

Blogmak : Depuis le début de la guerre au Mali, les médias français ne parlent que de l’armée française et malienne. Où sont les troupes africaines ?

Le commandant Jlv : Les médias français ont parlé de la présence des forces africaines au Mali, mais peut-être ils n’ont pas assez fait de la propagande pour Deby (rire). Les médias français ont aussi pour devoir d’informer leurs compatriotes, sur leurs armées engagées dans une guerre hors de leurs frontières. Et c’est normal que les médias français parlent plus de l’armée française !

Blogmak : l’armée française utilise les drones et autres moyens de surveillance et des renseignements. Pourquoi la France a-t-elle déployé autant de moyens face à ces groupes islamistes ?

Le commandant Jlv : La menace terroriste ne concerne pas seulement un pays, quand l’Algérie était en crise contre la GIA et ensuite le GSPC qui avait cru qu’un jour le Mali serait touché ? Cette crise est internationale et chacun essaye de se défendre et de défendre les intérêts économiques de sa nation. Je trouve l’intervention française, quel que soit les moyens déployés logiques et ceci est dans l’intérêt de l’Afrique tout entière aussi. Y a-t-il un pays d’Afrique, capable d’utiliser des Drones pour surveiller ce vaste territoire ? Je ne pense pas !

Blogmak : l’intervention aéroterrestre des forces coalisées franco-maliennes et Africaines, aurait fait subir des lourdes pertes aux djihadistes qui seraient repliés dans les zones montagneuses. Comment expliquez-vous ce retrait des groupes djihadistes ?

Le commandant Jlv : C’est les frappes aériennes qui ont fait subir des lourdes pertes aux djihadistes. Le choc frontal terrestre n’a pas encore réellement commencé. Les groupes islamiques se réfugient  dans la zone montagneuse du nord du Mali, du sud de l’Algérie, et voir même de l’ouest de la Lybie.  Ce repli est d’ordre stratégique pour les djihadistes, car n’ayant pas la même puissance de feu que la force multinationale. En se repliant vers les montagnes du nord Mali, ils attirent la force multinationale vers un terrain qui ne leur sera pas favorable et ainsi peut commencer la guérilla qui est une tactique de guerre d’usure communément appeler « la loi du plus faible sur la loi du plus fort.»

Blogmak : selon vous, les armées africaines mal outillées et mal-équipées peuvent-elles venir à bout de ces groupes islamistes qui utilisent des moyens sournois ?

Le commandant Jlv : Seul je ne pense pas ! il faut que les armées africaines bénéficient  d’un soutien logistique important. Il faudrait aussi qu’elle puisse être soutenue par la force aérienne de frappe et de surveillance.

Blogmak : Que dites-vous de l’intervention de l’armée tchadienne en RCA et pourquoi, Idriss Deby utilise-t-il les troupes tchadiennes comme des chairs à canon sous d’autres ceux ?

Le commandant Jlv : Idriss Deby a depuis 1998 envoyés partout en Afrique des mercenaires et toujours pour des raisons inavouées, et ce par sa seule volonté, il fait intervenir sa soldatesque. Idriss Deby utilise toujours des chairs à canon pour des interventions fantaisistes. C’est dommage !

 Blogmak : Depuis la normalisation des relations entre le Tchad et le Soudan, on n’entend plus les mouvements d’opposition armée tchadienne. Est-ce que cela la fin de la lutte armée pour vous ?

Le commandant jlv : absolument pas ! C’est la fin de la lutte    Arméeau Soudan peut-être, mais cela ne veut pas dire que c’est la fin de la lutte armée.

 

 Blogmak : On dit que les politico-militaires tchadiens souffrent de l’absence d’un leadership charismatique autour duquel peut se bâtir une unanimité. Qu’en pensez-vous ?

Commandant Jean Louis Vertu sur la ligne de front à l’est du Tchad (2008)

Le commandant Jlv: Non, il ne s’agit pas de l’absence d’un leader charismatique, il se pose  un problème de mentalité et de patriotisme des dirigeants de l’opposition. Voilà notre problème. La solution est la seule, le renouvellement de la classe dirigeante de l’opposition armée ; et j’appelle, l’ensemble des jeunes militants et militantes de l’opposition à penser, à prendre en main notre destin. Le 2 février 2008 est l’événement principal qui a exhibé l’incapacité des dirigeants de l’opposition armée à pouvoir répondre aux attentes du peuple tchadien.

Blogmak : devant l’incapacité et le déficit de mobilisation de l’opposition démocratique au Tchad. Quelle sera la solution pour changer le régime d’Idriss Deby devenu impopulaire et qui s’est imposé contre la volonté du peuple ?

Le commandant Jlv : Une mobilisation générale, l’action de l’opposition armée seule, ne résoudra pas efficacement cette crise politique et institutionnelle. Il faut donc, une prise de conscience de toutes et de tous…

Blogmak : après la chute de Kadhafi et la défaite de Nicolas Sarkozy, on a pensé que les Tchadiens allaient se révolter contre le pouvoir d’Idriss Deby. Qu’est-ce qui  empêche le peuple tchadien à se soulever contre ce régime qu’il désapprouve ?

Le commandant Jlv : La répression, physique et économique orchestrée par le despote de N’Djamena, fait en sorte que les citoyens et citoyennes se réservent de se révolter.  Puisque même, s’ils se soulèvent, le régime utilisera les armes et ça sera au vu et au su de tout le monde. Comme ç’a été contre les citoyens durant les vingt-deux ans de règne. Il faut aussi noter, l’inexistence d’une vraie opposition qui puisse diriger un soulèvement, voilà ainsi règne Deby et sa bande…

Blogmak : Face à l’impasse sociopolitique au Tchad. L’opposition armée tchadienne peut-elle être l’alternative pour sauver le Tchad ?

Le commandant Jlv : Pourquoi pas, il faut un  changement  au Tchad et quels que soient les moyens. De toute façon aucune nation au monde ne s’est constituée sans violence et soulèvement populaire.

 

« La liberté d’un peuple s’arrache ! Elle ne se donne pas… »

 

Je vous remercie…

Blogmak : Merci !

Commandant d’aviation Jean-Louis vertu

jvertu@hotmail.fr

 

Tel : +33 605 939 696

 

Propos recueilli par le blog de makaila

 

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