LE FIGARO – Le Niger est atteint par la crise malienne. Redoutez-vous que le Tchad soit affecté ?


Idriss DÉBY
 -Je crois que la situation actuelle au Sahel ne doit pas être une surprise pour qui que ce soit. Dès le départ de la guerre en Libye, nous savions que les conséquences seraient dramatiques pour les pays voisins, mais aussi pour la Libye elle-même. Nos craintes étaient tirées de notre connaissance des hommes, de la culture, de l’organisation sociale de ce pays. C’est pour ça que j’avais demandé, en son temps, une formule qui puisse permettre de faire partir Kadhafi tout en permettant aux Libyens de se réconcilier et de mettre en place des institutions. Cela a été pris pour le plaidoyer d’un ami de Kadhafi. Mais je savais les conséquences de cette guerre. Personne ne s’est préparé.

Sans doute de bonne foi, même la France pensait qu’après Kadhafi, la Libye allait avoir un régime démocratique et organisé. C’était vraiment méconnaître la société libyenne. Le Mali a été le premier pays touché par les problèmes libyens, mais, il ne faut pas se leurrer, nous, les pays du Sahel, nous allons tous être touchés. Le Mali et le Niger hier, demain cela va être le Tchad. Et aucun de nos pays ne peut s’en sortir seul face à cette armada.


Selon vous, les djihadistes ont pu se reformer après leur défaite au Mali. La Libye est-elle le nouveau maillon faible de la région ?

Hier, ils n’avaient pas de terrain. Maintenant ils en ont un: c’est la Libye tout entière. Hier, ils n’avaient pas d’armes, maintenant ils les ont toutes. Ils n’ont même pas besoin de fabriquer des trucs artisanaux. Hier, ils se cachaient. Aujourd’hui, ils s’affichent et ils disent qu’ils imposeront la charia en Afrique. La Libye est évidemment dans la tourmente mais nous sommes tous exposés ; nous avons tous nos faiblesses. Les djihadistes, je le confirme, sont en mesure de refaire ce qu’ils ont fait au Mali. Peut-être pas de la même manière, ils vont certainement changer de stratégie. Ils ont des camps d’entraînement dans le Djedel Akhdar et des brigades qui se constituent à Benghazi, Tripoli, à Sebha au vu et au su de tout le monde. La situation évolue de la façon la plus négative possible pour la Libye, mais aussi pour nous.


Pensez-vous alors que, comme au Mali, si le gouvernement libyen le demande, il faut intervenir en Libye ?

Intervenir, c’est trop dire, mais nous avons intérêt à ce que la Libye soit stable et réconciliée. Malheureusement à l’horizon je ne vois pas dans les trois ou quatre années à venir une Libye stabilisée à moins d’un miracle. Comme le disait François Hollande, la guerre au Mali vient de Libye et elle se reconstitue en Libye et c’est l’affaire de toute la communauté internationale. Car la liaison peut être vite faite entre Boko Haram au Nigeria et les groupes dans le nord du Niger. Cela n’est pas rassurant et nous ne sommes pas préparés pour ce genre de situation. Le terrorisme peut frapper quand il veut, même au Tchad.


Que faut-il faire ?

La Libye est au bord de l’explosion. Je n’ai pas du tout de solution mais on ne peut pas regarder cette situation, la laisser évoluer et nous exploser à la figure. La communauté internationale doit aider les autorités légitimes de la Libye. C’est un pays qui n’a pas d’armée, pas d’institution, pas de société civile pour garantir la paix. Un pays qui est mis en coupe réglée par des brigades qui vont jusqu’à contrôler Tripoli. Tous les radicaux islamistes sont aujourd’hui en Libye.


Ces groupes ont des liens avec Aqmi ?

Il n’y a pas de doute, il y a des liens. La communauté internationale doit se réveiller pour sauver la Libye sinon tout ce que l’on a fait au Mali ne servira à rien.


C’est la raison pour laquelle vous avez engagé le Tchad si lourdement au Mali ?

Non, ce n’est pas pour le Tchad que j’ai engagé. J’ai engagé l’armée tchadienne, avec le soutien de la classe politique et du peuple tchadien, pour aller aider un pays frère. Si le président français n’avait pas eu le courage d’engager des soldats français, il faudrait imaginer Bamako sous l’emprise des djihadistes. Nous avons été aux côtés des Français pour décapiter cette menace. Abou Zeid est mort. Mais il y aura d’autres Abou Zeid.


Le MNLA est encore présent au nord du Mali. Quelle attitude faut-il avoir vis-à-vis de ce mouvement, avec lequel les troupes tchadiennes ont eu des relations tendues ?

Le MNLA n’a pas été très coopératif avec nous. Il faut le reconnaître. Ils connaissent très bien les membres rescapés de l’Adrar des Iforas et des autres villes, comme Tombouctou ou Gao. Une grande majorité a trouvé refuge à Kidal et dans les autres villes du Nord. Nos amis du MNLA auraient dû être coopératifs et le travail serait terminé depuis longtemps. Je ne porte pas un jugement négatif sur le MNLA. Il y a des problèmes internes. Nous espérons, que, avec l’appui de la France et de la communauté internationale, les élections se tiendront sur tout le territoire, c’est-à-dire aussi dans l’Azawad, le pays touareg. Sinon ce serait une acceptation de la division du Mali.


Ces dernières semaines, plusieurs personnes, dont des députés et des journalistes, ont été arrêtées au Tchad. Plusieurs ONG ont protesté, parlant d’arrestations arbitraires…

Les ONG sont dans leur rôle. Mais le Tchad est un pays souverain, démocratique avec une justice indépendante. Nous souhaitons que la justice fasse la lumière le plus rapidement possible sur ce qui s’est passé. J’avoue que je ne sais pas car j’étais hors de N’djamena. Je crois que l’intervention du Tchad au Mali ne devrait pas être, pour une petite minorité de mes compatriotes, une occasion pour déstabiliser le Tchad. C’est vrai que certains partis politiques n’étaient pas d’accord. Est-ce pour cela ? Y a-t-il d’autres mobiles ? Avant on savait qui soutenait le désordre au Tchad. C’était Kadhafi. Là je n’ai pas compris cette conspiration qui n’était pas un coup d’État, mais plutôt une tentative d’organiser un printemps arabe.

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Source: lefigaro.fr 

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