• Le Temps: En tant que défenseur des droits humains, que vous inspire la crise sociale qui a commencé avec l’entrée en grève des travailleurs, la trêve d’un mois observée par l’UST et la très probable reconduction de la grève après le 17 octobre.
  • SG C.T.D.D.H: la notion de Droit de l’homme est transversale ; c’est-à-dire qu’elle englobe un champ très vaste des droits fondamentaux liés à la personne humaine ; ces Droits ont fait l’objet de graves violations par nos dirigeants dans leur mauvaise gestion des conséquences de ce mouvement de grève. Cette crise sociale n’aurait pas eu lieu si le gouvernement avait été conséquent avec lui-même ; l’Union des Syndicats du Tchad (UST) à notre connaissance n’a pas exigé une autre augmentation des salaires ; elle a simplement demandé l’application du Décret portant nouvelle grille des salaires ; si les pouvoirs publics refusent d’appliquer un décret qu’ils ont eux-mêmes signé, il y’a problème ; de plus, un procès-verbal du comité de suivi a bel et bien fait mention du point d’indice à 150 ; si les pouvoirs publics refusent de le reconnaitre, ils font preuve de mauvaise foi ; il y’a donc lieu de les appeler ici une fois de plus au respect de leurs engagements.
    "Le comble de l’inconséquence a été atteint quand le Ministre SGG affirme que cette démocratie a été le fruit d’une lutte âpre, sanctionnée par le sacrifice suprême de nos martyrs et qu’aujourd’hui encore, le Président de la République porte dans sa chaire les stigmates de cette lutte. Nous nous demandons qu’est ce que le Ministre SGG en sait de la lutte ?"
  • Le Temps: quelle est votre appréciation des suites de la grève c’est-à-dire le harcèlement judiciaire dont sont victimes les trois leaders de l’UST, et le directeur de publication de Ndjamena B-hebdo à cause de la pétition ?
  • SG C.TD.D.H : notre réaction, c’est bien entendu l’indignation ; toute la société civile tant au niveau national qu’international s’était dressée comme un seul homme pour dénoncer cette parodie de justice qui a sérieusement décrédibilisé notre pays ; il est vrai que depuis longtemps, l’opinion internationale ne croit plus en la fiabilité de nos institutions ; mais là, elle vient d’être servie. La pétition est un mode d’expression en cours dans tous les pays démocratiques ; il n’est pas anti constitutionnel ; il consiste simplement à recueillir les signatures et donc l’adhésion du maximum de personnes à une idée dans un cadre de revendication de certains droits. Contrairement à ce que pense l’opinion publique nationale, cette pétition n’est pas une œuvre de l’UST seule ;
    toute la société civile engagée qui a ainsi contribué à sa confection. Elle n’a aucunement incité à une haine tribale comme le prétendent les juges par ce qu’aucune tribu ou ethnie n’avait été citées dans le document ; de même, elle ne porte aucune calomnie parce qu’elle est le reflet fidèle de nos réalités.Pour avoir résumé la pétition dans un numéro de son journal, le Directeur de publication de N’Djamena -Bi hebdo a comparu avec presque le même chef d’inculpation ; cette accusation est d’autant plus ridicule que le ministre de la Communication a prétendu quelque jours plus tard que le Directeur de N’Djamena Bi hebdo a été plutôt inculpé pour un éditorial injurieux . Comme si cela ne suffisait pas, la caricature du procès publiée dans le numéro suivant du même bi hebdomadaire a suffi aux juges pour que le Directeur de publication soit inculpé une seconde fois et cette fois-ci pour outrage à magistrat. Toutes ces Manœuvres visent en réalité à saper le moral des leaders de l’UST et du Directeur de publication de Ndjamena bi hebdo en faisant planer sur eux la menace perpétuelle d’une arrestation. Nous disons que toutes ces manœuvres et menaces exercées sur les leaders de la société civile et les journalistes de la presse indépendante sont inutiles et dangereuses : Inutiles parce qu’elles n’intimident personne et ce n’est pas elles qui arriveront à contraindre la société civile et la presse indépendante à cesser de dénoncer cette mauvaise gouvernance. Ces manœuvres sont dangereuses par ce qu’elles risquent de radicaliser ce mouvement dont les conséquences seront préjudiciables pour la paix sociale.
  • Le Temps: au regard de ce qui s’est passé récemment comment trouvez-vous la justice tchadienne ?
  • SG C.TD.D.H : L’appareil judiciaire tchadien vient de nous démontrer une fois de plus qu’il n’est rien d’autre qu’un supplétif du pouvoir exécutif ; il a ainsi été utilisé pour harceler les leaders syndicaux et envoyer par la même occasion un message à toute la société civile et à tous les démocrates tchadiens qu’ils ne sont pas à l’abri des foudres des pouvoirs publics dont il est l’instrument docile. Le Président de la République lui-même avait dit à l’occasion des assises des états généraux de la justice que « nos juges sont corrompus»; il est de notoriété publique que les verdicts dictés par l’exécutif ou rendus contre espèces sonnantes et trébuchantes dans des procès au civil sont monnaie courante et tous les Tchadiens le savent et ne croient plus en leur justice depuis longtemps. Nous disons solennellement aux représentants de la justice tchadienne que seule, leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif fera du Tchad, un état de droit. Nous leur disons également de prendre la mesure de l’importance du pouvoir qu’ils détiennent parce qu’ils ont cette lourde charge de dire le droit ; si l’appareil judiciaire est aux ordres de l’exécutif, le jeu démocratique est faussé parce que la séparation des pouvoirs n’existe pas. En ce moment, tous les responsables des organisations de la société civile ainsi que les leaders d’opinion et avec eux tous les autres tchadiens vivent dans une insécurité judiciaire permanente parce que ce pays n’est pas un état de droit;Il ne le sera que lorsque notre justice se sera affranchie de la tutelle des pouvoirs publics; on a tendance à oublier qu’un militant de l’UST en l’occurrence Mr Mbailao GUSTAVE est jusqu’aujourd’hui à la maison d’Arrêt pour avoir souri lors de l’annonce du verdict condamnant les trois leaders de l’UST le 18 septembre 2012. Nous tenons à faire remarquer sur un tout autre chapitre que notre démocratie n’est que de nom et cette relative liberté d’expression dont nous jouissons est trompeuse ; c’est d’ailleurs l’arbre qui cache la forêt et elle est en réalité destinée à la consommation extérieure.
  • Le Temps: que répondez-vous, Mr le SG, aux pouvoirs publics qui vous accusent d’être un instrument des partis politiques de l’opposition ?
  • SG.CTDDH : pour peu qu’un défenseur des droits de l’homme ou un responsable de l’UST critique la mauvaise gestion des ressources publiques ou la mauvaise répartition des richesses nationales, il est aussitôt accusé par le pouvoir d’agir pour le compte des partis politiques d’opposition. Il est vrai que si la dénonciation de la mauvaise gouvernance est un devoir pour les partis politiques , il l’est également pour la société civile quand cette mauvaise gouvernance a une incidence certaine sur le sort des travailleurs ou des citoyens ; l’objectif visé par ces deux institutions est de pousser les gouvernants à s’améliorer ; de ce point de vue, les partis politiques d’opposition et les organisations de la société civile sont des alliés objectifs et en tant qu’organisations tchadiennes, elles doivent unir leurs efforts pour contraindre le gouvernement à l’instauration de la bonne gouvernance ; cela ne veut pas dire que la société civile est au service des partis politiques d’opposition. Aucune organisation de la société civile n’avait jusqu’à ce jour appelé au renversement du pouvoir que je sache ; bien au contraire : le Bureau de l’UST par exemple a toujours tempéré les ardeurs de ses militants les plus extrémistes et a toujours œuvré pour des actions pacifiques
    et responsables. La conquête du pourvoir est et restera donc l’apanage des seuls partis politiques. Notre objectif à nous autres de la société civile, est la recherche de la bonne gouvernance en vue de l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et du respect des droits fondamentaux de la personne humaine.
  • Le Temps: Sur le même chapitre, que répondez-vous au Secrétaire général du
    Gouvernement quand il répond par un communiqué aux propos tenus par le président de la ligue tchadienne des droits de l’homme sur les antennes de RFI par lesquels il critique la mauvaise gouvernance ?
  • SG C.T.D.D.H : IL est regrettable que le Secrétaire Général du Gouvernement soit aussi incapable d’élever le niveau d’une intervention qui a toutes les caractéristiques d’un communiqué gouvernemental puisqu’elle intervient juste après le compte rendu du conseil des ministres. Comment peut on en tant que représentant de l’exécutif, s’attaquer avec une telle vulgarité à un défenseur des droits de l’homme en des termes que par respect pour le public, nous nous garderons de citer ici. Sans vouloir nous abaisser à répondre à toutes ces insanités, nous retiendrons simplement que la démocratie au Tchad n’a pas été le fait d’un seul homme ni d’une seule ethnie ; elle a été le fruit d’un élan national né de la dynamique créée à l’époque par la conférence de la BAULE. À la faveur de ce contexte, des organisations armées dans lesquelles toutes les ethnies du Tchad étaient représentées se sont coalisées pour former le Mouvement patriotique du Salut (MPS) qui avec le concours des démocrates de l’intérieur et de l’extérieur a ainsi chassé la dictature Habreiste. Le comble de l’inconséquence a été atteint quand le Ministre SGG affirme que cette démocratie a été le fruit d’une lutte âpre, sanctionnée par le sacrifice suprême de nos martyrs et qu’aujourd’hui encore, le Président de la République porte dans sa chaire les stigmates de cette lutte. Nous nous demandons qu’est ce que le Ministre SGG en sait de la lutte ? Nous lui disons ici que le fait pour le Président de la République de porter les stigmates de cette lutte ne lui donne pas le droit de s’accaparer lui et sa famille des richesses qui sont la propriété de tous les Tchadiens. Des stigmates de la guerre, parlons-en. Moi je connais des personnes, des ex-combattants du MPS qui vivent avec des éclats d’obus ou des balles de fusil de gros calibre dans le corps et dont les enfants souffrent de faim jusqu’aujourd’hui; n’étant pas issus de l’ethnie du Chef de l’État, ils n’ont pas le moyen de se faire extraire ces bouts de fer de leur corps et de nourrir décemment leurs enfants. Quant au sacrifice suprême, il a été consenti par les Tchadiens de toutes les ethnies ; nous mettons au défi quiconque de nous citer une seule famille tchadienne qui n’ait pas eu à déplorer en son sein, un mort ou un mutilé de guerre suite à tous les événements qu’a connu notre pays. Que le Ministre SGG ait la délicatesse de laisser le soin à ceux qui méritent de parler des martyrs de le faire ; de grâce, qu’il ne salisse pas la mémoire de ces personnes dont le sacrifice mérite bien plus que cet épigramme de bas étages ; nous lui demandons s’il veut flatter l’égo du maitre, ou justifier une certaine confiscation des richesses nationales, de trouver autre chose que de parler du martyr de ces honorables compatriotes. Nous disons enfin que si le chef de l’état est allergique à toutes les critiques qui lui sont adressées par la société civile pour sa mauvaise gouvernance, il n’avait qu’à instaurer la bonne gouvernance au lieu de pousser un membre du gouvernement à effectuer des déclarations aussi irresponsables contre un défenseur des droits de l’homme.
  • Le Temps: le mot de la fin Mr le SG ?
  • SG CTDDH : le mot de la fin est un plaidoyer adressé à nos plus hautes autorités ; nous leur disons que le contexte actuel ne leur permet plus l’imposition de la pensée unique; on ne peut plus faire avaler n’importe quoi à la société civile engagée. Le SG du gouvernement affirme sans sourciller que le chef de l’état œuvre jour et nuit pour le bien être de tous les Tchadiens sans exclusive. Nous lui disons que c’est un euphémisme que d’affirmer ici que le Président de la République n’œuvre pas justement pour le bien-être de tous les tchadiens; c’est connu de tous et le SGG lui-même le sait; sinon, pourquoi le Président de la République fait-il l’objet de critiques de la société civile, de la presse indépendante et de toutes ces instances au niveau national et international ? Pendant que le premier ministre et le ministre des Finances s’étaient engagés auprès de certains syndicats à procéder au paiement intégral des salaires aussi bien aux travailleurs grévistes que non grévistes, le Président de la République donne l’ordre de prélever l’équivalent des jours de grèves pour les militants de l’UST qui se sont vus ainsi amputés de plus du tiers de leurs salaires. Pour nous, un chef d’État qui permet à sa famille de s’accaparer de presque toutes les richesses du pays et qui réduit le salaire des travailleurs qui ont simplement exercé, pour le bien de tous, un droit reconnu par la constitution n’œuvre pas pour le bien-être de tous les Tchadiens. Un chef d’État qui favorise certains Tchadiens en leur permettant pendant des cérémonies de balancer sur les tètes des griots et autres chefs d’orchestre des dizaines voir de centaines de millions de francs parfois en devises et dont les voisins n’ont même pas 500 F CFA pour faire bouillir la marmite pour faire manger leurs enfants n’œuvre pas pour le bien-être de tous les Tchadiens. Un chef d’État qui approuve une aberration du genre de l’opération dite « Cobra », qui emprisonne de façon arbitraire des fonctionnaires pour des présomptions de détournements de quelque milliers de francs ou de deux sacs d’engrais, etc. et qui permet à sa famille de détourner des milliards sans être inquiétés n’œuvre pas pour le bien-être de tous les Tchadiens. Nous disons donc qu’en tant que garant des institutions de la République Le Chef de l’état a pour mission de veiller à la bonne marche de ces institutions qui suppose entre autres, l’instauration d’une justice pour tous et une repartissions équitable des richesses nationales. Nous l’exhortons donc à se départir de son attitude actuelle, d’opérer un virage radical et de se comporter « en bon père de famille ». La Société civile sera là pour l’aider le jour où il instaurera la bonne gouvernance ; mais tant que cette injustice au quotidien persistera, tant que des droits fondamentaux de l’homme tchadien y compris ses droits économiques seront violés ; bref, tant que la mauvaise gouvernance n’aura pas disparu, il nous sera difficile de ne pas la dénoncer.
  • Le Temps: Merci Mr le SG.
    SG CTDDH : c’est moi qui vous remercie.

 

Interview réalisée par ABBA Ngolo Mustapha (Journal le temps) 

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