Après avoir accueilli le président tchadien fin novembre 2018 en Israël, le premier ministre israélien devrait être reçu par Idriss Déby à N’Djamena le 20 janvier.

Promesse tenue. Après une visite sans précédent en Israël du président tchadien Idriss Déby, fin novembre 2018, Benyamin Nétanyahou avait promis de faire le déplacement à N’Djamena. Ce sera chose faite dimanche 20 janvier. Outre l’échange de bons procédés, ce déplacement pourrait tre l’occasion pour les deux pays de rétablir leurs relations diplomatiques, interrompues en 1972.

Pays à majorité musulmane (55 %), le Tchad avait des contacts réguliers, en coulisses, avec l’Etat hébreu. « Nos relations spéciales se sont poursuivies tout le temps », avait ainsi reconnu Idriss Déby lors de sa visite « historique » à Jérusalem. Le fait d’assumer une reconnaissance mutuelle pleine corroborerait par ailleurs le discours officiel israélien, selon lequel la question palestinienne est devenue secondaire aux yeux du monde. Les deux autres pays de la région, avec lesquels Israël espère établir des relations similaires, sont le Mali et le Niger.

Développer la coopération sécuritaire

Cette visite du premier ministre israélien est directement gérée Meir Ben-Shabbat, le chef du Conseil de sécurité nationale, le ministère des affaires étrangères étant ainsi une nouvelle fois mis sur la touche dans une affaire sensible. La raison en est sans doute le soutien militaire apporté, en équipements, par l’Etat hébreu aux autorités tchadiennes. Celles-ci ont des soldats déployés sur plusieurs fronts : au nord contre une nouvelle rébellion à la frontière libyenne, au sud-ouest contre les insurgés islamistes nigérians de Boko Haram où « ces derniers mois, la situation est redevenue alarmante », constate un officier tchadien de haut rang, impatient de voir prospérer cette nouvelle collaboration israélo-tchadienne.

« Nous avons déjà reçu du matériel et des conseillers israéliens, mais il fallait tenir cela secret. Maintenant, nous allons pouvoir traiter officiellement », précise cet officier. De bonne source, depuis au moins 2016, des discussions se sont tenues à l’ambassade du Tchad à Paris entre responsables des services de renseignements des deux pays, Mossad et Agence nationale de sécurité, afin de développer leur coopération sécuritaire.

En juillet 2016, M. Nétanyahou avait effectué une tournée inédite en Afrique de l’Est, visitant l’Ouganda, le Kenya, le Rwanda et l’Ethiopie. Le premier ministre développe la même stratégie sur le continent africain qu’au Moyen Orient, avec les pays du Golfe. Il essaie d’identifier les convergences d’intérêts, notamment sur le plan sécuritaire, et les menaces communes (terrorisme islamiste, expansion iranienne, etc.). Dans le cas du Tchad, Israël voit aussi l’intérêt de ce rapprochement dans sa quête d’un poste d’observateur au sein de l’Union africaine (UA). Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, est un ancien premier ministre du Tchad.

Dans le domaine des relations internationales, même les adversaires de M. Nétanyahou reconnaissent son habilité et son expérience. Elles lui ont permis à la fois d’établir une proximité incomparable avec l’administration Trump, une relation soutenue avec Vladimir Poutine, ainsi que des échanges inédits avec la Chine et l’Inde. Dans le cadre de cette extension de la surface diplomatique israélienne, l’Afrique est un continent important. Il s’agit d’y exporter les technologies israéliennes, par exemple en agriculture (irrigation), ainsi que les équipements de surveillance et les armements. Mais l’objectif est aussi de briser l’alignement historique du continent en faveur des Palestiniens dans les grandes enceintes multilatérales, comme à l’Assemblée générale de l’ONU.

Multiplier les alliances

Benyamin Nétanyahou compte utiliser la politique étrangère comme un argument de campagne, alors que le pays se trouve à trois mois d’un scrutin national anticipé. Cet argument comptera dans la dernière ligne droite, en mars, lorsque les électeurs seront amenés à comparer le profil des principaux candidats au poste de premier ministre.

Prétendant à un cinquième mandat, M. Nétanyahou veut s’imposer comme un profil rassurant et familier, le seul doté de la carrure d’homme d’Etat. Deux rendez-vous devraient y contribuer. Il se rendra aux Etats-Unis fin mars pour participer à la conférence de l’Aipac, l’organisation pro-israélienne de droite. Il devrait aussi recevoir le président brésilien Jair Bolsonaro, à quelques jours du scrutin du 9 avril, en espérant que ce dernier annoncera le transfert de l’ambassade de son pays vers Jérusalem.

Après vingt-huit années à la tête du Tchad, Idriss Déby, lui, ne se soucie guère des problèmes de réélection. En revanche, s’il est une pièce centrale de la politique française au Sahel, le président tchadien a toujours pris soin de multiplier les alliances pour consolider son pouvoir. Quelques jours avant Benjamin Nétanyahou, Giuseppe Conte, le chef du gouvernement italien, était à N’Djamena.

Au sujet de la venue du premier ministre israélien, un général tchadien fait part d’une inquiétude rarement exprimée dans ce type de milieu : « La présidence a de plus en plus de mal à empêcher les critiques sur les réseaux sociaux, dit-il. Or, les Israéliens sont très bons dans les technologies qui permettent de contrôler Internet. Cette visite risque donc de diminuer encore la liberté d’expression au Tchad. »

Benyamin Netanyahou se félicite de la reprise des relations diplomatiques entre Israël et le Tchad à N’Djamena

Israël et le Tchad ont décidé de rétablir leurs relations diplomatiques rompues en 1972, à l’occasion d’une visite dimanche à N’Djamena du Premier ministre israélienBenjamin Netanyahu. Ce dernier est engagé dans une intense campagne diplomatique sur le continent.

« Je suis là pour formellement rétablir nos relations diplomatiques avec le Tchad », a déclaré Benjamin Netanyahu au cours d’un point de presse tenu avec le président tchadien Idriss Deby Itno à l’issue de leurs entretiens. Le Premier ministre israélien a affirmé que « le Tchad est un pays très important pour Israël, car le futur de l’Afrique dépend du futur du Sahel », région en proie aux activités violentes et aux attaques de plusieurs groupes djihadistes.

« Ce qui se passe ici influence tout ce qui se passe dans le monde », a-t-il affirmé, en précisant que sa visite à N’Djamena était « historique », la première d’un Premier ministre israélien, selon lui.

Il s’est réjoui d’être accueilli « avec respect » au Tchad, pays à large majorité musulmane, « tout comme nous avions accueilli le président Déby avec respect en Israël » en novembre 2018. Selon lui, « Israël fait des avancées dans le monde islamique (..) résultat d’efforts considérables ces dernières années », en dépit de « ceux qui essaient de saboter » ces avancées, « sans succès ».

Netanyahu est engagé dans une campagne active pour nouer ou renouer des liens, y compris en Afrique, avec des pays refusant de reconnaître Israël ou ayant pris leurs distances à cause du conflit avec les Palestiniens. Il a précisé qu’en deux ans c’était sa quatrième visite sur le continent africain.

Le président Déby a tenu à déclarer qu’ »en dépit de cette reprise des relations, le Tchad reste attaché au processus de paix entre Israël et la Palestine ». « Je réitère mon appel à l’État d’Israël et à l’État de Palestine à privilégier le dialogue et les négociations en vue d’une paix durable entre les deux parties conformément aux résolutions des Nations unies », a-t-il ajouté.

Israël à l’offensive

Les deux dirigeants et leurs délégations ont signé à N’Djamena plusieurs protocoles d’accord de coopération, en particulier dans le secteur de la défense et de la sécurité, mais aucun détail n’a été divulgué sur son contenu.

En novembre, Benjamin Netanyahu et Idriss Déby avaient refusé de dire si leurs discussions incluaient des accords d’armement. Pour faire face à des rébellions dans le nord et l’est du pays, l’armée tchadienne et l’Agence nationale du renseignement se sont équipées de matériels militaires israéliens, selon des sources sécuritaires tchadiennes.

Le Tchad est l’un des principaux Etats africains engagés dans la lutte contre les organisations jihadistes Boko Haram et Etat islamique dans la bande sahélo-saharienne et en Afrique de l’Ouest. Il fait partie de la Force multinationale mixte (MNJTF), regroupant également des militaires du Nigeria, du Niger, du Bénin et du Cameroun, fer de lance des pays de la région contre Boko Haram.

Le Tchad appartient également au G5-Sahel qui regroupe à ses côtés la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina Faso pour combattre les groupes armé jihadistes dans la bande sahélo-saharienne. Soutenu par les pays occidentaux dont la France et les Etats-Unis, il a payé et continue à payer un lourd tribut a cette lutte contre les groupes jihadistes armés. Dimanche encore, au moins huit soldats tchadiens de la mission de l’ONU au Mali (Minusma) ont été tués dans une attaque dans le nord-est de ce pays.

La pression des nations africaines musulmanes, accentuée par les guerres israélo-arabes de 1967 et de 1973, ont conduit un certain nombre d’Etats africains à rompre avec l’Etat hébreu. Mais ces dernières années, Israël s’est activé pour offrir des perspectives de coopération dans des domaines allant de la sécurité à la technologie, en passant par l’agriculture, afin de développer ses relations sur le continent africain.

Par Jeune Afrique avec AFP

Par Piotr Smolar et Cyril Bensimon 

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