Ndjamena, capitale du Tchad, dimanche 28 décembre 2014, il est 4h15 du matin, le temps est frais et un peu brumeux, la ville dort profondément. Soudain, retentissent au loin des coups de feu. Habituées à ces escarmouches nocturnes parfois sans aucune raison valable, les populations ont été vite tiquées par la durée et l’intensité de ces bruits d’armes qui ressemblent étrangement à un échange d’armes automatiques momentanément interrompues par des explosions.

 

Je saute de mon lit et ouvre ma porte. Les autres membres de la famille font pareil, nous échangeons sur ce que cela pourrait bien être, tout en cherchant à localiser d’où venaient ces bruits d’armes. Puis les téléphones portables commencent à sonner. La rumeur sur un affrontement militaire sérieux se confirme. Vers 5 heures du matin, les appels et sms s’affolent, l’info partagée sur le réseau fait état d’une déclaration imminente sur la radio nationale. On fait nos prières et se regroupe rapidement autour d’un transistor Fm, le thé est déjà servi. A 5h38, une musique militaire retentit pendant une courte durée, notre surprise est égayée par un sourire, mon cœur bat à un rythme effréné. La déclaration est lue par un homme se présentant au nom de Commandant Mahamat Issa.

La déclaration : « Tchadiens, Tchadiennes, cette nuit du 28 déc. 2014, un groupe d’officiers et hommes de troupes a attaqué le palais présidentiel, l’Etat-major général des armées et la maison de la radio et télévision. A l’heure où je vous parle, la maison de la radio et télévision est sous total contrôle, des combats intenses sont engagés autour du palais présidentiel et sur d’autres fronts à Ndjamena et sa périphérie. D’ores et déjà, nous déclarons la destitution du Président Idriss Deby Itno. Aussi, nous lançons un appel patriotique à toutes les forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire national à rallier la cause de la République. Les populations sont invitées à descendre dès à présent dans les rues de toutes les villes du pays pour apporter leur soutien et accompagner le changement politique en cours. D’autres informations plus précises seront portées à votre connaissance dans les heures qui suivent. Vive le peuple tchadien libre, indépendant et prospère ».

 

La fin de la déclaration est aussitôt accompagnée de cris, des applaudissements, des youyous et même de tirs d’arme en l’air. Nous sortons dans la rue ; les échanges et commentaires vont bon train. Une voiture de marque Corolla de couleur grise arrive en trombe, s’arrête devant une maison et 4 jeunes en civil avec des kalachnikovs en bandoulière y montent. On apprend auprès d’une femme qu’un groupe d’environ 75 personnes, scindé en 4 sous-groupes, a attaqué cette nuit le palais présidentiel mais il se trouve qu’Idriss Deby est à Amdjarass. L’Etat major général des armées aussi a été frappé, c’est la pagaille totale dans le camp des hommes de Deby qui roupillaient dans leurs luxueuses villas. Les civils et militaires se mobilisent pour leur prêter main forte et mettre fin aux 24 années de la dictature du régime MPS.

 

A 8h05, les populations sont dans les rues, jubilaient la fin du régime apocalyptique d’Idriss Deby Itno. Des canettes de sucrerie, du thé et du pain sont gratuitement distribués par des boutiquiers et d’autres nantis. On apprend que les dignitaires du régime MPS sont en fuite qui vers Kousseri, qui vers Guilfey, qui par Walia. Les pillages commencent dans les villas des barrons du régime et autres collabos, des cas de blessés et morts suite des lynchages sont déjà signalés.

 

A 9h30, RFI qui n’a rien dit dans son journal de 6h30 et ses flashs suivants, annonce une déclaration d’Idriss Deby depuis sa ville natale d’Amdjarass qui se trouve à 900 kms de la capitale tchadienne. Monsieur Christophe Boisbouvier, spécialiste des interviews de telle circonstance, donne le ton et laisse clairement apparaître combien la France a été prise de court et ne sait exactement ce qu’il faut faire face à cet événement en cours.

 

Idriss Deby a dû être réveillé brutalement de son lourd sommeil. Sa voix est méconnaissable, il cherche ses mots comme d’habitude avec ses heu heu heu, en fait disons, le vide, etc. Boisbouvier pose la question avec la réponse mais rien à faire. Entre temps, la situation s’est corsée davantage pour Deby, la garnison d’Abéché, d’Am-Zoer, de Faya, de Moussoro, de Mongo, d’Ati et toutes les casernes de N’Djamena et de la partie méridionale du pays rallient minute après minute. Idriss Deby n’arrive plus à joindre les principaux chefs militaires qui ont suivi à la lettre la consigne en éteignant leur téléphone militaire. La garde présidentielle qui terrorisait les populations s’est comme volatilisée, les rumeurs les plus folles circulent sur Ismael Chaïbo, Ahmat Bachir, Adoum Younousmi, les fils Itno, etc.

 

Les bâtiments administratifs et les centres commerciaux sont gardés par des jeunes en civil mais armés qui se sont auto-constitués en groupe anti-pillage. La voie donnant accès au palais présidentiel est fermé, on ne sait pas qui exactement entre les mutins et l’armée française contrôle la situation à ce niveau. De temps en temps, le ciel est déchiré par le bruit strident des Mirages français et les Hélicoptères. Tout le monde imagine bien qu’il se trame quelque chose avec ces français là, l’énervement est à son comble.
 

Vers 16h30, ce fut une explosion de joie, la libération. La radio nationale vient d’annoncer la fuite du Président Idriss Deby qui a dû quitter précipitamment son fief d’Amdjarass en destination vraisemblablement d’Egypte qui a accepté de l’accueillir temporairement. Le clan Itno et ses affidés locaux, déjà divisés par de nombreux problèmes, n’a pas tenu longtemps face au soulèvement national. Trois groupes se sont nettement distingués et prêts à en découdre avec celui des Deby à Amdjarass même.

17h11, le commandant Mahamat Issa revient sur les ondes de la radio et télévision. Il annonce que la capitale est sous total contrôle et invite les uns et autres de cesser de tirer. Il confirme qu’Idriss Deby a quitté le Tchad pour l’Egypte et que la garnison d’Amdjarass a annoncé son ralliement à la République. Le Commandant Mahamat Issa a annoncé la dissolution de l’Assemblée Nationale et du gouvernement. Il a invité les partis politiques et la société civile à une rencontre le lendemain pour désigner une personnalité devant conduire la transition pour un retour à la République. L’armée veillera sur la sécurité des populations et de leurs biens jusqu’à la fin de la transition…

 

Par Tahir Mahamat TOKE

 

Hommages à feu Commandant Mahamat Issa

Chef d’Etat major des FUCD tué en 2006 par un Mirage de l’armée française à l’entrée de N’Djamena.

 

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