Jeunesse tchadienne, printemps de beauté et fleur d’humanité, je continue ma lecture sur les évènements dramatiques survenus au Ouaddaï pendant la conquête coloniale. Cette fois ci je parcours d’autres documents pour rafraichir votre mémoire. Voici la bibliographie de ces documents que vous allez lire : Le premier est extrait de livre du général jean Hilaire ancien chef du département du Ouaddaï, livre intitulé : « Du Congo au Nil-Ouaddaï 5 ans d’arrêt ! Il est publié en 1930 aux Éditions de l’ « A.S.C.G » 11 Rue des Héros, 11 Marseille. Le second est titré : L’Illustration N°35 99 PP 121 122 du 17 Février 1912 il est écrit par Jean Ferrand. Le troisième document est un manuel scolaire édité en 1949. Un livre de géographie et histoire de l’Afrique Équatoriale Française écrit par Pierre Gamache instituteur de l’AEF-Éditions Fernand Nathan, 18, Rue Monsieur Le Prince, Paris 1949. Le 4ème document est une interview de l’Aguid Mahmoud Ibrahim recueillie par l’Étudiant Joseph Brahim Seid le 25 Septembre 1949 au Caire. A cette époque Joseph Brahim Seid était Étudiant au Collège Sainte Famille à Faggala en Égypte, un établissement secondaire des Jésuites. Quant à l’Aguid Mahmoud Ibrahim dans la guerre interne du Ouaddaï il fut Partisan du Sultan Acyl, il expatria au Caire en 1913 après la chute de l’Empire Ouaddaien. Le titre de ce document est : « Un vieillard m’a dit». Le 5ème document est l’œuvre du général Jean Hilaire dans son livre cité ci-dessus l’article est titré : « Vêpres Ouaddaienne »- L’auteur relate les évènements dramatiques de Coupe-coupe du 15 Novembre 1917. A travers son écrit le général Jean Hilaire compatit avec les familles de ses anciens collaborateurs, il condamne ce génocide perpétré par ces barbares.

 

L’INSURRECTION OUADDAÏENNE DU 5 JUIN AU 7 AOUT 1911 Le Général Jean Hilaire, chef du département du Ouaddaï, nous fait le récit dans son livre intitulé, “Du Congo au Nil : Ouaddaï, cinq ans d’arrêt ? “ : « Nous n’eûmes point le loisir de nous reposer, même quelques jours, sur les lauriers amers moissonnés dans ces solitudes torrides. Des évènements tragiques allaient nous contraindre à ceindre de nouveau nos armes, à peine déposées. Une insurrection presque générale du Ouaddaï, que rien, à mon départ pour l’Ennedi, ne permettait de prévoir, éclatait, entre Arada et Abéché, au moment même où je disloquais ma colonne et en réglais les derniers détails administratifs dans le poste septentrional que venait d’intégrer la 8ème compagnie méhariste. Les Sénégalaises y avaient accueilli avec des « youyous » leurs maris vainqueurs. Après quelques lamentations hurlées et mimées en l’honneur des mânes de ceux qui étaient restés dans l’Ennedi, avaient été, pendant un jour et une nuit, un de ces formidables tamtams où excellent nos bouillantes « moussons ». Des vocifératrices de choix portaient aux nues les exploits homériques, à la lâcheté de leurs ennemis vaincus et de quels trémoussements guerriers ou lascifs se scandait l’épopée ? Cette joie allait brusquement tourner court… J’avais reçu sur le chemin de retour, entre Kadjméré et Arada un pli du Capitaine Chauvelot, commandant à Abéché en mon absence, me signalant ce qu’il croyait être le début d’une épidémie de variole dans la garnison du chef-lieu et me demandant, aussi prompt que possible, le retour du Docteur Pouillot, l’unique médecin du Ouaddaï à ce moment. Par cette nouvelle, le Docteur qui était la conscience même me demanda de le laisser partir à Abéché, au lieu de m’attendre comme il était prévu, de façon à rentrer ensemble au chef-lieu. Il brulait de prendre aussitôt les mesures médicales qu’il y avait lieu. Je ne pouvais… hélas ! Qu’accéder à un désir aussi justifié ! Le Docteur Pouillot quitta donc, le 4 juin à l’aube, le poste d’Arada avec une petite escorte de tirailleurs et auxiliaires Ouaddaiens. Je ne devrais plus le revoir. Le pays, cependant, était à ce moment, ou du moins, paraissait être profondément tranquille. Partout, un mois auparavant, d’un bout à l’autre de la piste reliant Arada au chef-lieu, le Docteur et moi, cheminant avec une faible escorte des Ouaddaiens, avons trouvé de toutes les populations traversées, le meilleur, le plus empressé des accueils… Le lendemain, 5 juin dans la matinée, c’était le dernier jour que je devais passer à Arada, un « Kamkalak » du sultan Acyl occupé à colliger pour son maitre l’impôt du Dar-Mimi dans la région du Biltine, arriva, tout ému, au poste avec son escorte de cavaliers Ouaddaïens, moins affolés. Il m’annonça que toute la région et aussi les Kodoïs, Ouled-Djammah, Abou-Charibes, entre Biltine et Abéché, s’étaient soulevés et avaient pris les armes contre le sultan et les « Nassara ». Il avait dû en découdre avec les Rebelles qui lui avaient tué quelques hommes et il n’avait dû son salut qu’à la vitesse de ses montures. La route d’Abéché se trouvant déjà complètement occupée, il s’était replié sur le poste d’Arada. La chose me paraissant, sinon incroyable, du moins fort exagérée, je ne voulus croire, tout d’abord à une échauffourée provoquée par les exactions des sbires d’Acyl, et je ne m’émus point autrement du rapport affolé du « Kamkalak ». Néanmoins, pour plus de sureté, je prescrivis à l’Aguid Rachid qui venait de retrouver à Arada ses chevaux échangés un mois auparavant contre des chameaux, de dépêcher sans délai au Docteur Pouillot, sur la route d’Abéché, un fort peloton de ses cavaliers, les mieux armés, pour renforcer sa petite escorte et, au besoin, si la route était réellement coupée par les rebelles, le ramener sain et sauf à Arada… Hélas, il était déjà trop tard. Au même moment, en effet, arrivait au poste à un galop effréné sur le cheval même du malheureux Docteur la noble bête, complètement fourbue, s’abattit en arrivant au bout de son mortel effort un Ouaddaien de l’escorte du Docteur, fou de terreur.

 

L’homme m’exposa, à mots entrecoupés, par la fatigue et l’émotion, que le matin même, entre le village arabe de Rimelé où ils avaient passé la nuit et dont les habitants avaient vainement essayé de les dissuader de poursuivre leur marche vers Abéché, en les avertissant des dangers qui les y attendaient, et celui de Bobok, à hauteur du hameau de N’Gazéré, le Docteur et son escorte avaient été assaillis par une foule hurlante d’insurgés qui, après une brève et héroïque défense des malheureux, les avaient massacrés. Le Ouaddaïen tenait à ce moment, le cheval du Docteur qui en étant descendu pour essayer de parlementer avec les forcenés n’avait pas voulu remonter en scelle, refusant à la fuite et préférant combattre à pied avec sa poignée de tirailleurs ; le Ouaddaïen en profitait pour échapper au massacre par une fuite affolée. Les rebelles, je devais l’apprendre plus tard, avaient cru avoir affaire au commandant de circonscription lui-même, rentrant de l’Ennedi et ils pensaient, en le frappant à la tête, en finir d’un coup avec l’occupation des « Nassara ». Si le malheureux Pouillot avait consenti de m’attendre en retardant son départ d’un jour, il eût sans doute échappé à la mort, car informé de la rébellion par le Kamkalak Ahmat, je n’aurais pas manqué de prendre, pour pousser vers Abéché, de sérieuses précautions appropriées à la situation qui m’était signalée… Ce que je fis d’ailleurs, sans tarder en apprenant la fin tragique de mon cher Docteur et compagnon d’aventures (nous avions fait, pendant l’expédition, popote ensemble et dormions chaque nuit en gendarme côte sur le sable sous les étoiles). Mais avant de passer au rapide exposé des évènements qui allaient suivre, je veux vous dire la mort héroïque, la mort noblement et froidement consenti de vaillant Docteur Pouillot.

 

Dans sa hâte à rallier son poste médical laissé sans titulaire depuis un mois, et où il pensait avoir à enrayer une épidémie de variole à son début, le Docteur avait dédaigné les prudent avertissements des Arabes de Rimélé, campement où il avait passé la nuit du 4 au 5 juin et il avait repris, aux premières heures du jour, sa marche vers Abéché. Il ne pouvait évidemment croire au soulèvement de population qu’il avait vu avec moi quelques semaines auparavant, si soumise et empressée à nous faire bon accueil. La petite troupe cheminait depuis une heure environ et se trouvait à la hauteur du village de N’Gazéré qu’elle laissait sur la droite lorsqu’une épaisse colonne de poussière vers la grosse agglomération de Bobok, sur laquelle elle se dirigeait, s’éleva, lui masquant la silhouette dentelée des villages aux mille toits en pain de sucre. C’était une immense cohue en marche vers elle. L’infirmier Arouna prit son cheval par la bride pour arrêter et lui dit : « Ce beaucoup mauvais. Les Arabes de Rimélé pas menteurs. Ouaddaïens viennent tuer nous, retourne toi vite avec cheval à Arada avertir commandant. Nous ici nous débrouiller avec sauvages ». Et Arouna introduisit un chargeur dans son mousqueton aussitôt imité par les quelques tirailleurs de l’escorte. Le Docteur alors descendit de son cheval et dit à ses tirailleurs : « Non, je ne vous quitte pas. Le commandant vous a donnés à moi pour m’accompagner et me défendre. Si les Ouaddaïens veulent réellement nous tuer, eh bien je mourrais avec vous comme vous mourrez avec moi ». Et tout en s’armant de son revolver, Pouillot dit à Arouna (la horde n’était plus qu’à deux mètres pas et ses intentions homicides ne faisaient plus aucun doute) : « Crie-leur que je suis le Toubib, que je soigne les Noirs comme les Blancs et ne fais point la guerre et qu’ils ne nous fassent point de mal ». Arouna cria, mais sa voix fut couverte par le bruit assourdissant.

 

Bref, dans ce genre de combat de corps à corps où l’ennemi a le triple avantage du nombre, la petite troupe du Docteur fut décimée. Aussitôt la novelle parvenue au commandement, les renforts se mettent en route le même jour (5juin) à 16h sur N’Gazéré, le théâtre du drame. Le lendemain à l’aube, nos labels et nos deux pièces de 80 infligeaient, en deux rencontres sanglantes, N’Gazéré, Bobok et Ambougourou, un premier châtiment aux assassins dont les villages furent réduits en cendres. Nous ne pûmes recueillir que quelques ossements calcinés de nos martyrs. Quatre jours plus tard, les deux détachements faisaient leur jonction à Ganatir. Celui du Capitaine Chauvelot avait dû livrer, pour y parvenir, trois violents combats. A la tête désormais d’une force relativement imposante pour ces pays, où l’ennemi ne nous dénombre que par les Blancs, nos labels et nos canons méprisant souverainement nos contingents auxiliaires, je poursuivis sans répit la réduction de cette formidable insurrection qui allait s’étendre à presque tout le Ouaddaï. L’assassinat du Docteur Pouillot ne fut, en effet, que le prologue d’une tragédie en plusieurs actes qui devait durer deux mois et jeter successivement contre nous, dans un élan furieux et presque unanime, les unes après les autres, les tribus autochtones du Ouaddaï. A la suite des tribus montagnardes du Nord (Kodoïs, Ouled-Djamma, Abou-Charibes et Mimi), extrêmement jalouses de leurs libertés et foncièrement belliqueuses, soulevées à la fois par les exactions et les abus sans nombre des agents d’Acyl et par une ardente xénophobie religieuse à notre endroit, d’autres groupements ethniques du centre et du Sud, les Ouaâlis, les Assangoris, les Marfa, les Abkars, le Karangas, tous également fanatiques, xénophobes et guerriers allaient prendre feu tour à tour comme une trainée de poudre. Le sultan dépossédé, Doudmourrah, s’était fixé auprès de son allié Andoka (alias Barhadine) ne pouvait évidemment manquer d’essayer de saisir cette occasion de reconquérir son trône en aidant ses anciens sujets révoltés à nous chasser du Ouaddaï. Il devait, à maintes reprises, renforcer de ses contingents de rguliers commandés âr ses meilleurs chefs de guerre, l’Aguid Djaatné Abdallah, le Kamkalak Soumaïne, le Sinn-Melick Achour, les tribus soulevées et même prendre part en personne. Je dus donc tenir sans répit la campagne, pendant deux mois, commandant en personne en envoyant ça et là mes capitaines partout où un nouvel incendie éclatait. Il me fallut d’abord faire front à l’embrasement presque général du pays avec seulement trois compagnies et demie essaimées au Nord, à l’Est, au Sud, littéralement perdues, submergées sous l’extension incessante de la révolte.

 

Le 20 juin seulement m’arriva de Zinder le précieux renfort d’une cinquième compagnie. Quant à recevoir de mon chef de Fort-Lamy (aujourd’hui N’Djamena) en temps voulu, ordres, directives et instructions, il n’y fallait point songer. L’échange entre nous d’une demande à la réponse, exigeait alors un trois fois radicalement changé d’aspect. Nos Ouaddaïens autochtones (les nomades ne bougèrent pas) dont 20 000 environ nous combattaient, se montraient extraordinaires. Agressifs et actifs avec au moins autant de mordant que les Massalites naguère du feu Tadjadine et nous opposent la même tactique offensive d’attaques massives entre chien et loup admirablement montées et mystérieusement amenées jusqu’à l’abordage aux premières lueurs blafardes de l’aube au moment où la bivouac dort le plus profondément. Mais nos tirailleurs (sept à huit cents) au plus fortement aguerris à cette dure école et superbement confiants dans la supériorité de leur armement, la discipline du feu, l’excellence de leurs cadres firent merveilles et tinrent inébranlablement le coup en dépit de la continuité énervante et de la durée épuisante de l’effort. Nos auxiliaires, eux, n’étaient bons qu’au service de la découverte, à la poursuite des vaincus mis en fuite par nos feux rapides, au rançonnement, au pillage des villages insurgés. Après tout, c’était toujours ces besognes secondaires et peu reluisantes mais nécessaires pour la réduction de ce mouvement obscur et fanatique. Je ne vous infligerai point le récit touffu et monotone des opérations en zig-zag de ces deux longs mois de luttes presque quotidiennes. Qu’il vous suffît de jeter les yeux sur cette simple énumération chronologique, elle a son éloquence de sa sobriété des rencontres que nous eûmes du 5 juin au 2 août 1911 avec les insurgés : 5 juin 1911, Arada ; 6 juin, N’Gazéré, Bobok, Ambougourou, Ngatara ; 8 juin 1911, Dembé, ; 11 juin, Sina, Boutounou, Iguidé ; 12 juin, Gamara, 13 juin, Mbayay, 14 juin, Ouarchak, 17 juin Ouarchak ; 2à juin, Idalbara ; 29 juin Choroyan ; 3 juillet, Manga ; 12 juillet, Nguéré ; 18 juillet, Kourmanda ; 22 juillet, Comergon ; 23 juillet, Gouraï ; 27 juillet, Ouron ; 1er juillet et 1er août, Morga ; 2 août, Semba, … Soit 22 combats en 58 jours. Le 7 août seulement, il m’était permis de réintégrer avec la première compagnie de mon bataillon du Ouaddaï mon poste de commandement administratif d’Abéché. J’en étais parti le 2 mai précédent pour l’Ennedi. Les quatre autres compagnies rejoignaient en même temps leurs postes respectifs : Arada, Bir-Taouil, Oum-Hadjer et Am-Dam. La paix régnait enfin au Ouaddaï. Il s’agissait désormais de nous attacher à panser tant de plaies encore saignantes, à remettre de l’ordre et de la clarté dans le pays, dans son administration surtout particulièrement défectueuse, lamentable même à essayer enfin, après nous être faits craindre et respecter, de nous faire, sinon aimer, rêve un peu prématuré, sinon trop ambitieux du moins, accepter, tolérer. Mais pour espérer atteindre ce résultat si souhaitable, il fallait avant tout, à tout prix, éliminer du jeu Ouaddaïen, l’ex-sultan Doudmourrah et par surcroit ensuite le sultan Acyl notre indigne protégé. » UN CHEVALIER NOIR Nous avons commenté de notre mieux, la semaine dernière, les impressionnantes photographies de la soumission de Doudmourrah, ancien sultan du Ouaddaï. Mais voici cet événement africain, un récit direct, vivant et complet. Il a été écrit par un de ses amis, par un des distingués officiers qui secondent à Abéché, le Colonel Largeau. C’est une éloquente et sobre page qui doit trouver place dans les fastes de notre conquête de l’Afrique.

 

Doudmourrah est devenu au Ouaddaï, par sa persistance à lutter, par sa ténacité que les revers n’avaient fléchie, une sorte de héros de chanson, de geste comme la France en a connu au temps de Bertrand de Born. L’homme était d’abord séduisant, grand et fort, la figure pleine et énergique, la face large avec un léger collier de barbe brune, excellent cavalier, toujours maître de lui, parlant avec réflexion, lentement, posément, d’une culture supérieure à celle des petits sultans de ce pays. Doudmourrah jouissait d’un grand prestige, d’autant plus que ses qualités personnelles s’appuyaient sur une généalogie glorieuse qui fait de lui l’indiscutable sultan légitime du Ouaddaï, le descendant direct d’Abdel-Kérim Al-Abassi (…). Doudmourrah a perdu son trône il y a maintenant deux ans et demi. On sait mieux qu’autrefois à combien peu de chose a tenu le succès inespéré de Fiegenschuh, les 1er et 2 juin 1909. Doudmourrah, pendant ces deux journées, avait scindé son armée. La plus grosse fraction était sous les ordres de son Aguid favori, l’Aguid Al-Djaatné Abdallah (aujourd’hui son compagnon d’infortune) ; l’autre fraction était commandée par un jeune homme de haute lignée, son beau-frère, l’Aguid Al-Mahamid Ahmat. Celui-ci avait 700 fusils. Son rôle devait être à prendre de revers la petite troupe française de 180 fusils ! Al-Djaatné disposait, lui, de plus de 4000 fusils. Si l’Aguid Al-Mahamid Ahmat avait exécuté la manœuvre prescrite, il se serait rabattu sur les derrières de Fiegenschuh, que contenait de front l’Aguid Al-Djaatné. Mais Ahmat fut une « ragusade ». Tout comme Marmont, traitre à l’Empereur, Ahmat, qui était las de la guerre, ne marcha pas contre les Français, et en pleine bataille, au lieu de se porter vers l’Ouest, prit la route de l’Est. Doudmourraht s’aperçut de la trahison, car il assistait au combat sur un « Rifaï » (bourico d’Egypte que les sultans et les grands montent volontiers). Il fît poursuivre le traitre et un combat parallèle au nôtre, et qui arrangeait bien nos affaires, s’engagea ainsi à notre insu. Trahi par ses féodaux qui, depuis huit ans, tenaient campagne et ressentaient cette lassitude que Ney, à Fontainebleau, exposa si brutalement en avril 1814 à Napoléon. Doudmourrah fut battu, quitta le Ouaddaï et se retira au Dar-Massalite. On connaît la suite. Il attaqua les troupes à Biltia en avril 1910. Il fomenta les troubles du Massalite, prit part au combat de Doroté, qui nous coûté Moll (9 novembre 1910) ; enfin, plus près de nous, il souleva les Kodoï, montagnards du Nord, farouches et animés envers leurs sultans légitimes d’un loyalisme qui prend sa source dans leur droit d’élection. La tradition veut, en effet, que le sultan soit le fils d’une femme Kodoï et d’un père Aouali. Partout battu et en dernier lieu à Chokoyane (20 juin 1911), Doudmourrah tenta à la fin de juillet une dernière partie : il envoya son Aguid Al-Djaatné dans le pays Kodoï et fomenta une deuxième révolte qui fut, comme la première, vite et durement réprimée. Doudmourrah lui aussi connut alors la lassitude. Le Colonel qui, déjà en 1903 et en 1907, avait entrepris de le convaincre, lui avait même fait le cadeau, reprit la correspondance au mois de juillet après la défaite de Chokoyane. Doudmourrah accepta ses propositions nouvelles d’autant plus vite que le sultan du Massalite, Andoka, chez lequel il s’était réfugié ne voyait pas arriver sans inquiétude les 500 tirailleurs et la batterie d’artillerie de renfort qui avaient quitté Ati en septembre en direction d’Abéché. Andoka, sur l’ordre du Colonel Largeau, invita donc Doudmourrah à se soumettre. Et il se soumit. Des conditions de la reddition elle-même, je ne dirai rien : ce qui est intéressant, c’est l’arrivée de Doudmourrah dans son ancienne capitale, le séjour de cinq jours qu’il y fit et son départ. De telles scènes, en effet, dépassent le Ouaddaï : c’est de l’humanité toute pure, et pendant ces journées, je me suis surpris à plaindre Doudmourrah, le sultan démis. Il est arrivé, le 27 octobre au matin, vers 8h, entouré d’une suite de 110 cavaliers et 130 piétons (…), 2 lieutenants, 2 compagnies et près de 250 chevaux du sultan Acyl, le successeur. J’étais, au moment où le sultan Doudmourrah fut signalé, venant du Sud-est, sur une haute terrasse avec le Colonel. A la jumelle, on voyait s’avancer le nuage de poussière. Je dis au Colonel : « J’ai envie d’aller voir ». Je montais à cheval et je partais au galop. Doudmourrah était habillé de blanc, il montait un cheval blanc – pourquoi ne pas le dire, c’était celui de Moll, pris par les Massalites à Doroté – et devant lui marchaient des Spahis, puis des Aguids ; à droite, à gauche, des tirailleurs : derrière, sa mère, imposante, la tête couverte d’un voile, sur un chameau richement caparaçonné ; derrière sa mère, les “Hababa“ (les princesses des femmes). C’était un millier de personnes dont près de 500 cavaliers, qui s’avançaient dans la clarté d’une belle matinée. Les montagnes, qui font à Abéché une ceinture de 30 kilomètres de diamètre et qui ont des arêtes vives, découpaient le ciel sans nuage et toute la ville bien éclairée, est apparue au sultan comme une terre promise, puis défendue. Doudmourrah s’était enveloppé la tête d’un turban blanc qui revenait sur sa bouche ; on ne voyait que ses deux yeux. Quand il est arrivé à la hauteur des cuisines du camp, des cris se sont fait entendre, des « youyous » : c’étaient les femmes de nos tirailleurs qui chantaient la défaite de celui qui avaient tant tué des tirailleurs. En face, au contraire, du côté de la ville, de femmes pleuraient : celles-là étaient les sœurs de l’ex-sultan et toutes les clientes de l’ancienne cour qui pensaient au passé heureux que leur rappelait le revenant. On a conduit Doudmourrah dans un enclos où on lui avait préparé une dizaine de cases. Sa mère, la Momo, et les Hababa sont venues faire agenouiller leurs chameaux devant le mur de la prison (c’était le batiment de la douane qui avait été attribué à Doudmourah pendant son séjour à Abéché). Quelle déchéance ! La reine mère, propriétaire, autrefois, de la moitié du Ouaddaï, revenait ainsi dans son ancienne capitale ! Le Colonel Largeau a adouci autant qu’il a pu les angoisses de la famille ; il a envoyé le Commandant Hilaire porter à Doudmourah l’assurance que tous les égards que méritait son infortune lui seraient prodigués et les Français n’ont qu’un “ Amen “. J’ai suivi le Commandant. Doudmourah était assis, le dos appuyé à une case, ayant à droite l’Aguid Al-Djaatné, le fidèle et l’Aguid Salamat Djimé qui ne l’a jamais quitté : à toutes les paroles du Commandant Hilaire Doudmourrah repondait : « Zehn ! Zehn ! » Ce qui veut dire “bien“. Mais quand le Commandant a dit : « N’aie pas peur ! », il a fait un geste rapide et, comme excédé, a dit : « Je n’ai pas peur ! ». Il avait l’air écrasé d’avoir, dans son ancienne capitale, à faire une confession publique et à affirmer qu’il n’avait pas peur. On lui demanda ce qu’il ne voulait pas qu’on lui fasse. « Ne pas être séparé de mes deux Aguids, ne pas être attaché ». Il est resté cinq jours, très visité par sa famille (…). Une des quatre visites du Colonel mérite une mention. C’est celle où il a rencontré le sultan Acyl, son successeur. Doudmourrah était arrivé le premier et s’était assis sur un tapis en face du Colonel : Acyl s’était présenté à son tour, ignorant que Doudmourrah était là ; le Colonel, ne voulant pas les mettre en face l’un de l’autre à l’improviste, leur demanda s’ils ne redoutaient pas l’entrevue ; ils l’acceptèrent. Acyl entra. Ils se serrèrent les mains. (Louis XVIII serrant la main de Bonaparte ?). Acyl prit l’attitude d’un humble, d’un parent pauvre devant le vaincu Doudmourrah. Il refusa de s’asseoir sur le tapis et se plaça sur le sable. Il se fit tout petit. Doudmourrah, généreux, le remercia d’avoir pris soin de ses enfants pendant son exil et lui dit : « Je n’ai qu’un reproche à te faire : c’est de ne pas m’avoir envoyé saluer quand tu as su que j’arrivais pour me rendre aux Français ».

 

Le 31, a lieu une grande revue à laquelle a assisté Doudmourrah. Il y avait là 600 tirailleurs, une section d’artillerie à chameaux et une section d’artillerie à mulets, l’escadron mixte de Chalain, près de 800 hommes, 4 canons, 200 chevaux. Doudmourrah était pétrifié. Il a dit à l’Aguid Al-Djaatné : « Si j’avais su ! » Enfi, Doudmourrah a quitté Abéché, hier, jour de la Toussaint. Le départ a été plus émouvant encore que l’arrivée. Il y eut beaucoup de larmes. J’ai vu des vieilles bonnes femmes, des vieilles négresses aux cheveux blancs, bénir les petits enfants de Doudmourrah (il y a 3 garçons et 9 filles) dans un geste familier à nos grands-mères, les deux mains sur leur front. Je me suis approché de l’une d’elles et je lui ai dit : « Doudmourrah va à Fort-Lamy ; il y sera bien, ses enfants aussi. Pourquoi pleures-tu ? » Elle m’a répondu : « Qu’ils y soient bien, qu’ils y soient mal, c’est la volonté de Dieu. » Il est parti à 4h, sur un cheval fougueux qui piaffait. Il était vêtu simplement, bien plus simplement qu’à son arrivée ; cela sentait déjà l’exil. Sa mère, la Momo, l’accompagnait, avec sept (7) femmes. On a revu les chameaux chargés de ces gracieuses créatures enveloppées de gaze de couleur, les petits enfants par groupe de trois ou quatre sur les bons dromadaires, et le jeune Béchir, l’ainé, sur un cheval vigoureux. Au dernier moment, l’Aguid Salamat Djimé hésitait à suivre son maître. Ah ! Ces départs pour l’Ile d’Elbe, quelle pierre de touche pour les dévouements ! Jean Ferrandi Lecture A un chef Paroles prononcées à Abéché le 15 octobre 1935, par le Colonel Falvy, délégué du Gouverneur général de l’Afrique Equatoriale Française, lors de l’intronisation du Sultan Ourada : « Mohamet Ourada, Si vous avez été choisi pour être ici un chef, c’est parce qu’indépendamment de vos qualités personnelles que j’apprécie, vous êtes le descendant des anciens sultans du Ouaddaï. Il n’est pas dans mes intentions de retracer ici l’histoire de ce pays. Je veux toutefois en rappeler très rapidement les principales étapes. « L’administration du Kanem s’étendait autrefois du Nil au Niger. C’est au début du XVIIème siècle que le Faquih Abdel-Kérim chassa du Ouaddaï les sultans Toundjour et installa sa capitale à Ouara. Il payait tribut au Darfour et au Bornou. Depuis Abdel-Kérim jusqu’à Ali, l’histoire du Ouaddaï n’est qu’une succession de guerres et d’expéditions pour affranchir le pays de ces dominations, puis pour l’agrandir. « Au cours des périodes de paix relative, les princes du Ouaddaï surent parfois se montrer bons administrateurs. Ils surent, en particulier, faire régner l’ordre et favoriser le commerce. « Quelques uns d’entre eux méritent d’être cités : « Dagota qui vainquit le Darfour ; « Saboun qui annexa le Tama et s’attacha à développer les échanges ; sous son règne, des caravanes importantes gagnaient plusieurs fois par an, la Cyrénaïque et l’Egypte ; « Mohamed Chérif qui vaniquit le Bornou ; « Ali qui reçut Nachtigal en 1873, et dont ce dernier vante la simplicité, la largeur de vue ; « Youssouf, enfin, votre grand-père. « Le désir des princes de rendre homogène, dans l’ordre et la paix, un commandement édifié par la force, nous le reprenons à notre charge, après avoir été contraints, par des circonstances indépendantes de notre volonté, et sur lesquels il ne me parait pas utile de revenir, d’en limiter le développement. « Mais nous estimons maintenant venu le moment de reprendre notre politique d’organisation des grands commandements et de regroupement des races. « Et ici à Abéché, c’est à vous Mohamet Ourada, qu’échoit le grand honneur de redevenir le sultan et de reprendre le titre de vos ancêtres. « Votre ascendance vous confère sans doute une grande partie de l’autorité dont vous avez besoin. « L’éducation et l »instruction que vous avez acquises dans nos écoles, le contact que vous avez eu pendant plusieurs années avec les représentants de l’autorité française au chef-lieu, la formation administrative que nous vous avons donnée, vous permettent de remplir le rôle qui vous incombe. « Ce rôle, je voudrais, en quelques phrases, le préciser : « D’abord, maintenir l’ordre et la paix française que nous vous avons apportés et sans laquelle nul progrès n’est possible, et développer la justice ; « Donner à vos administrés le bien-être maximum compatible avec les possibilités, en améliorant les conditions physiques de leur vie matérielle et en leur procurant les moyens d’user de leur intelligence ; « Mettre en valeur ce pays, afin d’en développer les ressources. « Vous devez imposer, à l’intérieur de votre commandement, des méthodes de culture nouvelles, réagir contre le tendance innée de l’indigène à l’imprévoyance. « Vous devez en exiger l’extension et la variété. « Vous devez aider, de toutes vos force et de toute votre énergie, le Médecin dans le lutte qu’il mène contre les maladies, et le Vétérinaire charger de sauvegarder le cheptel, richesse essentielle de ce pays. « Vous devez être le collaborateur de l’instituteur, en lui indiquant les fils de vos dignitaires et de vos meilleurs sujets, susceptibles de recevoir l’instruction grâce à laquelle ils sauront s’élever. Ce faisant, vous préparez votre propre avenir. « Vous devez, en résumé, être pour nous, Français, l’auxiliaire en qui nous sommes prêts à mettre toute notre confiance. « Ce rôle que je viens d’esquisser à grands traits, c’est par votre action incessante, par vos initiatives intelligentes, dans les divers compartiments de service, que vous le remplirez. « Vous trouverez auprès du chef de département, auprès du chef de subdivision d’Abéché, sous le contrôle desquels vous travaillez, les conseils et l’aide dont vous aurez besoin. « Comprenant l’importance, la grandeur et la noblesse de la mission qui vous est confiée, vous resterez digne de vos grands ancêtres. « Vous serez en même temps et surtout, le représentant auprès des populations auxquelles va toute votre sollicitude, des principes de justice, d’ordre de paix, de liberté qui caractérisent la France immortelle ». Source : revue Militaire de l’AEF, Janvier 1936


Djarma Garondé

Ville : Ndjamena
Email : 
garondedjarma@yahoo.fr

 

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