Quelle orientation politique doit-on opérer pour se préoccuper de l’apport indéniable de la diaspora tchadienne dans le développement national ? Quels types de rapports construire entre les instances dirigeantes du Tchad et la diaspora tchadienne ? Faut-il amorcer une véritable rupture ? L’analyse de la place et de l’apport de la diaspora tchadienne permet d’aborder ces questionnements et, ce faisant, contribue à mettre en lumière quelques pistes à explorer pour une meilleure prise en compte des apports potentiels et effectifs de la diaspora.


L’importance de la diaspora tchadienne à travers le monde est aujourd’hui une réalité incontestable. Alors que le Tchad compte plus de 11 millions d’habitants, sa diaspora serait aussi importante avec une forte présence en Afrique, en Arabie Saoudite, en Europe, au Canada et aux États-Unis d’Amérique. Ces trente dernières années, le flux migratoire  des tchadiens vers les différents continents ne cesse d’augmenter.

 

L’émigration des tchadiens dans d’autres pays s’explique entre autres par les événements malheureux qu’a connus le Tchad. Malgré tout, les tchadiens où qu’ils se trouvent gardent un attachement important à leur pays. Il est vrai que la progression rapide de la mobilité des tchadiens s’inscrit dans un cadre migratoire relativement récent. Cependant, il faut reconnaître que cette diaspora, qui repose sur des tchadiens de toutes catégories socio- économiques et professionnelles, est l’un des principaux acteurs du rayonnement culturel, politique et économique du Tchad à l’étranger et pourrait servir de cas de figure pour le pays en vue d’accélérer le processus de son développement.


En dépit de son importance, la diaspora tchadienne a été pendant longtemps ignorée, voire piétinée et apparaissait dans le rôle de faire-valoir des intérêts, projets, ambitions ou discours des politiciens et de leurs manœuvres politiciennes. Elle apparaît le plus souvent comme incontournable dans les différents discours officiels ; néanmoins dans la pratique, elle est écartée des processus majeurs de (ré) construction du Tchad. Pourtant, la diaspora tchadienne constitue un levier essentiel pour le développement, comme cela s’observe dans la plupart des pays les moins avancés dont le progrès a été significatif ces dernières années grâce, entre autres, aux apports multiples et variés de leurs diasporas. Son potentiel considérable en termes de savoir et de savoir-faire n’est pas suffisamment mis en valeur pour stimuler et entretenir le développement, la réconciliation et la paix au Tchad.


Cette absence de prise en compte et de mise en valeur de ce potentiel se reflète, entre autres, dans les relations de la diaspora avec les institutions de la République ou du moins avec les autorités ayant en charge la gestion de ces institutions qui, malheureusement perçoivent la réalité uniquement du point de vue exclusif de leur propre fenêtre. C’est pourquoi, il nous semble important que le dialogue, la communication, l’écoute, la nécessaire humilité sont des valeurs à promouvoir de part et d’autre pour bâtir une confiance mutuelle et travailler ensemble pour la promotion et la défense des intérêts du Tchad et des tchadiens.


Il faut substituer à l’image de la gestion personnelle et autoritaire des différentes institutions tchadiennes, celle d’une administration inclusive,  responsable et soucieuse de l’intérêt général. Il importe tout simplement de rester conforme aux valeurs tchadiennes, garder l’indépendance d’esprit et agir avec lucidité, sincérité, transparence et bons sens, tout en développant une conscience solidaire et responsable. 


Il convient de rappeler que la situation de notre pays interpelle chacun de nous en tant que citoyen. Les acteurs politiques, les opérateurs économiques, la société civile, la diaspora…, tout le monde s’accorde à reconnaître que notre pays a besoin de la synergie d’action de tous ses enfants pour son décollage socio-économique véritable. Le bon sens nous invite à l’éveil de la conscience citoyenne responsable.


D’autre part, les mécanismes organisationnels et institutionnels doivent être mis en place pour rationaliser l’implication de la diaspora dans la vie de notre pays, en capitalisant son potentiel et en le mettant au service du développement national, notamment à travers le transfert des connaissances, du savoir-faire, des investissements…  


Par ailleurs, aujourd’hui plus qu’hier, le Tchad devrait s’appuyer véritablement sur sa diaspora pour rehausser son image et défendre ses intérêts à l’échelle locale, régionale et internationale. L’exemple de l’intégration et la valorisation des apports des diasporas chinoise et indienne par leurs États, qui sont au cœur des mutations profondes de leurs pays respectifs, doit nous rappeler en permanence cette évidence.


La diaspora constitue un capital humain considérable et d’une importance stratégique comme a su en prendre conscience le Premier Ministre indien Rajiv Gandhi à partir de 1984, qui la considère non pas comme une fuite des cerveaux, mais comme une banque de cerveaux qui accumule des intérêts et qui attend uniquement d’être retirée des pays d’accueil  pour être à nouveau investie dans les pays d’origine.


A titre illustratif, l’importance de la diaspora des pays africains se reflète par exemple dans le volume de leurs apports. Les statistiques internationales confirment que les contributions des africains de l’étranger dépassent largement l’aide publique au développement (APD). Ce qui fait de la diaspora tchadienne un atout considérable dont il faut tenir compte pour le progrès du Tchad.


Ainsi, faire de la diaspora tchadienne un acteur majeur du développement, de la réconciliation et de la paix au Tchad constitue l’un des enjeux majeurs de ce siècle pour notre pays. Cela passe par le changement de la représentation souvent négative que la plupart de nos décideurs politiques ont de la diaspora. Il est nécessaire de rompre avec les discours qui la dévalorisent en l’assimilant à une bande de donneurs de leçon, d’assistés, d’agitateurs, de mercenaires, de profiteurs, d’opposants etc. comme si les membres de la diaspora étaient des éléments nuisibles à l’avenir de leur propre pays.  


Au-delà de ce changement de mentalités, la volonté politique et sociale est vitale car cette transformation passera par celle de tous les tchadiens en général et de nos décideurs politiques en particulier ;  il ne suffit pas de changer de discours pour que la situation change. Encore faut-il que les pratiques suivent, que la méthode soit adaptée et que les moyens soient à la hauteur !


Le Tchad n’est pas condamné au sous-développement ni à des embrasements tragiques, qui n’ont cessé de créer et de raviver des haines entre tchadiens, car il a des ressources naturelles et humaines propices à sa prospérité et à sa paix. Elles ne demandent qu’à être mobilisées et mises en valeur de manière efficace, efficiente, cohérente et responsable. 


Talha Mahamat Allim   
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