23 juillet 2014 TCHAD: La Françafrique se demande si Zackaria Idriss Deby pourra avoir l’étoffe de son père pour lui succéder. Qu’en pensent les Tchadiens ?
Le secret de polichinelle autour de la maladie du président tchadien Idriss Deby soulève la question de sa succession. Depuis la mort de son fils Brahim à Paris en 2007, aucun de ses enfants ne se distingue. Le seul qui pourrait peut-être prendre la relève, Zakaria, peine à s’imposer malgré le soutien de son père.
Idriss Deby Itno est malade. La rumeur persiste et est confirmée par l’entourage du président tchadien. D’abord perçu comme un guerrier, IDI a démontré en 24 ans de présidence qu’il a l’intelligence du pouvoir. Maniant avec subtilité la base tribale Zaghawa, ses réseaux étrangers et ses accointances avec les services secrets français, il a pris une épaisseur qui dépasse largement celle d’un petit autocrate militaire. Résultat direct de cet exercice du pouvoir, les institutions tchadiennes sont centralisées à l’extrême. À tel point que, à l’image d’un Kadhafi, il est difficile d’imaginer ce que deviendra ce pays composé de deux cents tribus quand son président trépassera. Comme l’explique le spécialiste de l’Afrique et du décryptage des réseaux Antoine Glaser, « Idriss Deby Itno n’échappe pas à la règle des autocrates africains qui préparent leur successeur ». En l’occurrence le mystérieux Zakaria Idriss Deby Itno.
Le « petit président » est mort.
Jusqu’en 2007, date de sa mort à Paris, c’est Brahim Deby qui est pressenti pour prendre la suite de son père. IDI le choisi comme secrétaire particulier. Cette personnalité tumultueuse est crainte à N’Djamena, la capitale tchadienne. Sa réputation le précède jusqu’à Paris où il a été arrêté en possession d’armes et de drogues.
Violent et intimidant, le possible héritier n’hésite pas à menacer voire agresser des hauts placés tchadiens. À tel point que son père est obligé de le rétrograder au rang de simple conseiller. Or en juillet 2007, on le retrouve mort dans un parking à Courbevoie en banlieue parisienne. Les circonstances de son assassinat sont troubles. Selon la version officielle, il n’y aurait eu aucune implication politique dans cette mort suspecte. « Une famille rivale », comme le suggérait un temps l’entourage de Déby ? Ou un vol, comme l’affirme la police française ? Toujours est-il que la tragique nouvelle est un choc pour son père. Depuis, les spéculations vont bon train.
Les enjeux de la succession sont importants. L’équilibre interne est fragile dans ce pays au centre d’une multitude de tensions régionales : désordre libyen au Nord, Darfour à l’Est, milices centrafricaines au Sud et Boko Haram à l’Ouest. L’image de puissance que le régime tchadien renvoie grâce à l’appui de la France pourrait bien disparaître avec Deby père. Alors les Tchadiens s’interrogent. Qui sera à même de garantir un semblant de sécurité ? L’exercice de la démocratie au Tchad est à l’état embryonnaire, bloqué par une tradition milicienne et belliqueuse. Sous ces tropiques, tant que l’opposition est désunie, le président Deby peut rêver à l’installation d’une dynastie.
Zakaria, faux incompétent
Il approcherait de la trentaine mais même son âge fait l’objet d’appréciations différentes. C’est dire si le portrait de Zakaria Idriss que l’on dit présidentiable est un exercice difficile. Après un cursus au lycée Sacré-Cœur de N’Djamena, le fils Déby étudie les relations internationales à Tunis. Au lendemain de la mort de son demi-frère, son père le nomme à la présidence comme directeur de cabinet civil. En 2010 il passe à la direction de la compagnie aérienne Touma Air Tchad. Peu après, cette dernière coule. En mai 2012, il est de nouveau nommé au cabinet civil de la présidence. Depuis, il traine une réputation d’incompétent, de fils à papa inapte au pouvoir. Mais son cas ne semble pas aussi simple. « Pour l’avoir côtoyé pendant des années, je peux vous dire qu’il est très intelligent, affirme un proche de la famille. Il fait semblant d’être naïf et il faut bien le connaître pour se rendre compte que c’est une façade. » Alors Zakaria serait plus sophistiqué que feu Brahim ? Moins impulsif en tout cas. « Il ne convoque pas les ministres, évite de les humilier et écoute les conseils. »
« Il sait comment le pouvoir fonctionne, il ne se met pas en avant, essaye de ne pas froisser les cadres du gouvernement et du parti comme pouvait le faire Brahim », consent une figure de l’opposition. Mieux, Zakaria a parfaitement compris les deux volets de la gouvernance à la tchadienne : l’armée et les réseaux. Très vite son père lui confie des contrats d’armements, l’amène avec lui pour rendre visite aux troupes. Etudiant, il se serait même chargé personnellement de contrats militaires avec Israël, pays avec lequel le Tchad a une vielle tradition de collaboration militaire discrète. Quant aux réseaux, il les cultive, pour l’instant, à la présidence de la section jeune du parti au pouvoir, le MPS (Mouvement Patriotique du Salut). Sans oublier le levier communautaire qui joue en sa faveur « Zakaria s’appuie sur un petit groupe de Zaghawa issu du clan de sa mère. Ce groupe réfléchit sur son image et sillonne le pays pour sonder certains groupes ethniques influents pour s’assurer qu’ils accepteraient que leur poulain remplace Deby», assure un opposant issu d’une prestigieuse famille tchadienne.
Mahmat contre Zakaria
Malgré les signes de montée en puissance de Zakaria, beaucoup d’obstacles se dressent sur sa route vers le pouvoir. D’après un opposant exilé mais fort bien informé, Deby aurait même renoncé à le hisser sur les plus hautes marches « sous la pression de son entourage qui juge cet enfant incapable. » Une partie de la famille aurait en effet pris le parti de Mahmat Deby, principal rival de Zakaria. Ce militaire d’à peine 30 ans a déjà atteint le rang de général. Il a même été le numéro deux des forces tchadiennes lors de l’opération au Mali, « alors que ses camarades sont encore sous-lieutenant » ironise un homme politique. Surnommé « kaka » (grand-mère), les partisans de Zakaria aiment répéter qu’il a été élevé par la mère du président et serait donc un fils illégitime.
Pour certains, cette lecture est trop simpliste. Elle donne l’impression que le principe de dynastie Deby a déjà un sens : «tout le monde en parle comme si cela reposait uniquement sur une entente entre les différentes familles alliées au président commente un ancien ministre, c’est faux. Même si les proches du président se mettaient d’accord, il n’est pas du tout évident que les bases populaires suivraient. » Par ailleurs, rien ne suggère que l’un ou l’autre des fils Deby ait réussi à se constituer un réseau international et français qui donnerait du poids à leurs ambitions.
La peur du vide est telle dans cette région qu’il est surprenant que les puissances occidentales ne s’intéressent pas plus à ces histoires de succession. Sans successeur désigné, le « verrou sécuritaire du Sahel » de la France semble près de sauter.
2016 Vues