Interrogé par le journal L’Info, Gassim Cherif Mahamat, président national du Parti Réveil Panafricain pour le changement (RPC), par ailleurs ministre de la Communication, Porte-parole du gouvernement, donne son analyse sur la démocratie au Tchad ces dernières années.

 

Que représente pour vous et votre formation politique la date du 1er décembre ?

 

Gassim Cherif Mahamat : La journée du 1er décembre, c’est une journée très importante pour moi à titre personnel et pour les militants de mon parti et de manière générale pour les Tchadiens. Cette journée marque l’avènement de la démocratie dans notre pays. Après avoir consenti beaucoup d’efforts, nous expérimentons cette démocratie avec pour corollaire la liberté d’expression, la liberté de penser, la liberté d’opinion, la liberté de créer des partis politiques. Le fait même de créer des partis politiques, qu’il y ait un pluralisme politique, un multipartisme, c’est quelque chose qu’il faut mettre à l’actif de la fête du 1er décembre.

 

Comment évaluer-vous la démocratie et les libertés politiques au Tchad depuis l’avènement du 1er décembre ?

 

Je suis très content de cette journée, elle doit nous rappeler à chaque fois combien la démocratie est importante dans la vie d’une nation et qu’il faut faire tout à chaque fois pour raffermir et renforcer cette démocratie. C’est un processus qui peut être assez long. On a connu des moments de basse intensité, de haute intensité, mais de manière générale la démocratie se porte bien au Tchad. Les partis politiques se créent, il y a une liberté d’expression, les élections sont organisées régulièrement, des élections généralement libres et transparentes, et la dernière séquence politique, c’est que nous avons organisé en mai 2024, élection présidentielle, les élections couplées, d’abord l’élection présidentielle, ensuite les législatives, provinciales et communales. Donc, c’est une nouveauté au Tchad et cela s’inscrit dans le cadre de la décentralisation et dans le cadre aussi du renforcement de notre démocratie qui permet à nos concitoyens dans les endroits les plus reculés au Tchad, dans les provinces, de choisir leurs propres représentants, en tenant compte des particularités des provinces, en tenant compte des dimensions culturelles, des dimensions géographiques, économiques, etc. Donc, je pense que globalement, la démocratie, elle se porte bien au Tchad, les partis politiques se portent bien.

 

Quel progrès majeur identifiez-vous depuis la fin du régime dictatorial au Tchad ?

 

Le premier progrès majeur, c’est d’avoir la liberté d’expression. En tant que journaliste et en tant que ministre de la communication aussi, c’est quelque chose de très importante. La liberté d’expression est consubstantielle à la démocratie. Il n’y a pas de démocratie sans liberté d’expression. Ça, c’est la première des choses. Ensuite, il y a la liberté d’opinion, le fait même de pouvoir penser autrement, de pouvoir créer son parti politique, défendre des idéaux qui sont différents des autres, de poser les débats, d’avoir des opinions divergentes, etc., c’est important dans une démocratie. Donc, c’est une avancée majeure. Il y a eu des élections depuis 1996 à aujourd’hui, les tchadiens ont eu la possibilité depuis de décennies de choisir leurs représentants, que ce soit au niveau de la présidentielle, que ce soit au niveau des élections locales. C’est une très grande avancée.

 

Le Tchad est un des pays aujourd’hui dans lequel la démocratie se renforce de plus en plus. Chaque année, la démocratie s’enracine malgré les difficultés. Ce n’est jamais une science exacte, ce n’est jamais abouti, la démocratie. C’est un processus vers lequel nous tendons., Je pense qu’il y a des avancées majeures qui ont marqué notre pays depuis 1990, date de l’avènement de la démocratie. Et, la dernière séquence politique, l’organisation de nouvelles élections couplées : sénatorial, provincial, communal, etc. La création même du Sénat, aujourd’hui, nous avons une chambre bicamérale, la chambre basse et la chambre haute. Ce sont des avancées démocratiques majeures qu’il faut inscrire.

 

Quels sont selon vous les principaux défis qui freinent encore l’enracinement de la démocratie au Tchad ?

 

L’enracinement de la démocratie, de mon point de vue, c’est la démocratie au niveau de l’école. J’insiste vraiment là-dessus. Permettre aux partis politiques de donner la possibilité aux Tchadiennes et aux Tchadiens dans les provinces, dans les communes, de choisir leurs représentants. Le meilleur moyen que la démocratie s’enracine, c’est au niveau des provinces. Le débat doit être là. Dans chaque commune, dans chaque village, les gens doivent avoir la possibilité de choisir leurs représentants. Puisque pendant le dialogue national inclusif et souverain, les Tchadiens ont exprimé le souhait qu’il y ait le développement dans leur localité, qu’ils choisissent leurs représentants. Et vous savez que nous sommes un pays où parfois il y a des divergences sur le plan régional, sur le plan confessionnel, etc. Le meilleur moyen d’apaiser la population, d’apaiser le pays, c’est de permettre à nos représentants, encore à nos populations, d’enraciner la démocratie au niveau local, par les biais des élections locales, libres et transparents, ça c’est important.

 

Deuxièmement, il faut donner la possibilité aux femmes de s’enraciner, de monter dans le jeu politique, de se présenter aux élections, de leur confier des postes de responsabilité, que ce soit dans le gouvernement ou ailleurs, il y a un quota de 30% qui est consacré aux femmes dans le partage des postes politiques. Donc, il faut maintenir ce quota-là et peut-être même qu’il faut augmenter. Les femmes, elles sont plus nombreuses que les hommes, dans un pays comme le Tchad ou ailleurs, de manière générale. Elles sont des bonnes gestionnaires. Je pense qu’il faut aussi, par l’éducation de la fille à l’école, par l’émancipation de la femme, on peut aussi enraciner la démocratie. La troisième chose la plus importante, c’est que les partis politiques doivent rester au-dessus de la mêlée. Ils doivent tout faire pour représenter le Tchad dans son intégralité.

 

Notre vocation en tant que président d’un parti, c’est de ne pas créer des partis qui sont limités à une commune, à une ethnie, à une province quelconque. Moi, je souhaiterais qu’on arrête avec cette géopolitique de la médiocrité. J’ai défendu cette thèse-là quand j’étais à l’Assemblée nationale au CNT. Je suis contre la géopolitique ethnique qu’on a parfois au Tchad. Il faut que les partis politiques défendent des idéaux pour les Tchadiens dans leur entièreté, dans leur totalité. Que ce soit au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest, on a les mêmes difficultés, on a les mêmes problématiques. Dans certaines provinces, ça s’exprime avec beaucoup plus d’acuité, mais toujours est-il qu’on a toujours les mêmes problématiques. L’accès au développement, l’accès à l’eau potable, l’accès à l’éducation, une bonne éducation, une éducation décente, etc. Ce sont ces défis-là qu’on doit relever ensemble et les partis politiques doivent s’inscrire à l’image du pays, à l’image de tous les Tchadiens.

 

Comment appréciez-vous la place des partis politiques dans le système démocratique actuel au Tchad ?

 

La place des partis politiques, elle est là. Les partis politiques n’ont pas les mêmes forces, économiquement parlant, n’ont pas les mêmes ramifications. Il y a des partis qui sont représentés dans tout le pays, qui ont plus de moyens, qui ont plus de militants. Il faut leur dire de démarrer le groupe là. Les partis politiques ont une place assez importante dans la vie démocratique. Il n’y a pas de démocratie sans des partis politiques, sans la vie des partis politiques. Donc, les partis politiques font partie du processus démocratique et ils sont essentiels à la vie démocratique. Maintenant, comme je le disais, les partis politiques n’ont pas la même taille, n’ont pas les mêmes capacités, n’ont pas la même capacité de projection, n’ont pas les mêmes moyens, que ce soit humain, que ce soit matériel, de moyens financiers, etc. Il y a des partis qui sont majoritaires dans les deux assemblées, qui ont plus de moyens, qui ont des ramifications partout dans le territoire. Il y a d’autres partis qui sont encore plus jeunes, qui viennent d’arriver dans l’échiquier politique. On ne peut pas les loger à la même enceinte. Les partis ne se valent pas forcément, même si du point de vue de l’État, du point de vue de l’appareil politique, on les considère de la même manière.

 

Maintenant, il y a un autre débat qui se pose. On va essayer d’éviter les polémiques. Nous sommes à la veille d’une grande fête qui doit réunir les tchadiens. Une autre question qui se pose sur la nécessité de revoir le nombre des partis politiques. Il y a un nombre pléthorique de partis politiques. C’est un débat qui est en cours, ça été soulevé pendant le DNIS. Donc, quels sont les critères pour créer un parti politique ? Quels sont les critères de fonctionnement d’un parti politique ? Est-ce que tous les partis politiques réunissent les critères nécessaires ? C’est un débat qu’il faut mener et qu’il faut poser sur la table de manière sereine et démocratique.

 

Quelles réformes ou mesures proposeriez-vous pour réformer la liberté, la justice et la démocratie au territoire ?

 

Je pense qu’il faut préserver à tout prix les libertés. Il faut les renforcer, les libertés de toutes formes, que ce soit la liberté d’expression, la liberté de la presse, qui est aussi consubstantielle à la démocratie, qui est très importante. La bonne santé d’une démocratie se jauge, se mesure par rapport à la liberté de la presse. C’est très important. Que la presse puisse informer nos populations en toute liberté, mener des investigations nécessaires pour informer le peuple tchadien. Il y a la liberté d’opinion, etc. Il faut d’abord préserver les libertés. Maintenant je constate malheureusement que parfois il y a de l’exagération, il y a du populisme qui s’installe dans notre pays, il y a des partis politiques, il y a des activistes, etc. Je pense qu’on doit faire attention à cela pour préserver le vouloir vivre ensemble, c’est très important. Il y a toujours des divergences dans une société, mais malheureusement il y a des partis politiques qui en font un fonds de commerce. L’Etat, le gouvernement, les partis au pouvoir ne peuvent pas résoudre tous les problèmes des Tchadiens, certes, mais il faut faire attention à la préservation de nos libertés parce que la liberté doit avoir des limites, lorsqu’elles troublent l’ordre public, ce n’est plus de la liberté. Lorsqu’elles empiètent sur la vie privée des gens, Ce n’est plus de la liberté, ça s’appelle de la diffamation, de l’injure publique, ça s’appelle atteinte à la vie privée de la personne. Donc toutes ces choses-là, on doit vraiment attaquer de fond pour trouver le juste équilibre entre la préservation de liberté et la préservation de notre démocratie, c’est-à-dire poser les limites à cette liberté.

 

Je pense qu’il a y aussi une mauvaise interprétation de ce qu’on appelle la liberté dans notre pays. Malheureusement, parfois, il y a des gens qui le savent et qui font sciemment, d’autres qui ne savent pas. Et donc, il est du rôle des pouvoirs publics, des partis politiques, d’éduquer nos populations et de revoir nos comportements. Dans tout ce qu’on doit poser, que ce soit dans le cadre des partis politiques, dans le cadre de l’État ou de manière individuelle, il faut toujours placer l’éthique au centre de nos comportements, au quotidien, au centre de nos prises de décision. Donc, la vie des partis politiques doit être régie par l’éthique et la déontologie. Ce qui est valable aux journalistes, à toutes les fonctions, à tous les métiers, ça peut être les avocats, les médecins, les partis politiques.

 

Donc il y a des choses à ne pas faire, il y a des limites à ne pas dépasser dans le cadre des électorats. Il ne faut pas tomber dans l’électoralisme parce qu’à l’approche des élections, j’ai parlé tout à l’heure de populisme, il y a des partis qui ont tendance à céder à la facilité, à présenter le monde comme un monde très facile où il y a le camp du bien et le camp du mal. La vie, elle ne fonctionne pas comme ça. Un pays ne fonctionne pas comme ça. C’est plus complexe que ça. Il y a une zone grise entre les deux, entre le blanc et le noir. Et moi, pour finir là-dessus, je suis le partisan de la nuance. On n’est pas beaucoup, mais j’espère que d’autres partis politiques ou d’autres acteurs politiques vont emboîter les pas dans le cadre de la nuance, ce que j’appelle la troisième voie, la voie de la nuance.

 

Quel est votre message particulier apporté à l’endroit de la population ?

 

À l’endroit de la population, je tiens d’abord à remercier les autorités, les pouvoirs publics, parce qu’il y a un état qui préserve la liberté, nos libertés de manière générale. Donc je pense qu’il faut encourager cet Etat-là, il faut encourager les pouvoirs publics dans ce sens. Et, j’invite nos populations à sortir massivement, à fêter cette journée importante, à la hauteur de ce qu’elle vaut. Parce que les gens ont vécu sous la dictature, maintenant il y en a qui vivent sous la démocratie. Il faut continuer dans ce sens-là, il faut préserver, il faut sortir massivement, soutenir le gouvernement, soutenir le pouvoir public dans le cadre du raffermissement de la démocratie et de nos libertés. Mais la liberté, je finis par-là, ne veut pas dire le désordre. Il y a vraiment une nuance à faire entre la liberté et le désordre.(L’info)

Tchadanthropus-tribune

119 Vues

Il n'y a pas encore de commentaire pour cet article
Vous devez vous connectez pour pouvoir ajouter un commentaire