Dans une interview exclusive accordée à NDJH, le député Salibou Garba Rapporteur de la CPDC, aborde les grandes questions politiques du pays, la révision de la Constitution ainsi que le nouveau gouvernement de Dadnadji.


Si le Premier Ministre Dadnadji fait appel à vous au gouvernement, accepteriez-vous ?

Je dis tout de suite non ! Je ne fais pas une opposition de circonstance, mais de conviction. Aujourd’hui le Mps a prouvé à travers tout ce qu’il fait qu’il en a cure de la paix et du développement de ce pays. C’est pour cela que je suis résolument opposé au pouvoir actuel. Pour que je sois dans un gouvernement, il faut que ce soit un gouvernement d’union nationale où le programme qui va être exécuté ne sera pas celui du Mps. Lors du dialogue qui a abouti à l’Accord politique du 13 août 2007, Ibni Oumar Mahamat Saleh et moi  avions dit que, si à l’issue de ce dialogue il doit y avoir de gouvernement, ça ne peut être qu’un gouvernement de consensus dont la feuille de route et le programme seront inspirés des principaux points de cet accord. En l’absence d’un programme consensuel commun, je ne vois pas qu’est ce que je vais venir chercher dans ce gouvernement. Si à la suite d’un débat national débouchant sur une feuille de route permettant de remettre le pays sur les rails, de faire de la vraie renaissance de l’Etat tchadien, alors, nous pouvons envisager d’apporter notre contribution. Mais qu’on ne me demande pas d’accompagner la déliquescence de l’Etat, le démantèlement de l’économie nationale, la paupérisation accrue de nos populations. Ça non!

 

Que faut-il à Dadnadji pour réussir?

Dadnadji ne peut résoudre aucun problème. Le fondement de son gouvernement est biaisé. C’est un haut cadre certes, il essaiera de faire quelque chose comme ses prédécesseurs, mais au final il ne résoudra aucun des défis qu’il a égrenés dans son discours-programme. Je lui souhaite beaucoup de courage car je connais, lui aussi d’ailleurs, les embûches qui sont devant lui. Regardez ! il annonce la composition de son gouvernement le 25 janvier, il va devant l’Assemblée nationale le 11 février ; patatras : soixante douze heures seulement après, deux ministres clés sont limogés ! et une semaine après l’investiture, on nous parle déjà du Gouvernement Dadnadji II. Quand on gère en cafouillant, on ne peut pas créer des conditions de résolution des problèmes qui nous minent. Je ne crois pas du tout à ce gouvernement. Comme l’a dit un collègue à l’Assemblée Nationale, le discours-programme du Premier Ministre est une messe de requiem des gouvernements précédents. Comment va-t-il réussir  là où ses prédécesseurs ont échoué. Il ne nous a pas donné des gages. Son discours-programme est un répertoire d’intentions. Et comme on le dit,  en politique, les déclarations d’intention, les professions de foi et les promesses n’engagent que ceux qui y croient, j’ajouterai naïvement.

 

A peine formé et investi, le gouvernement de Dadnadji a été remanié, quelle lecture faites-vous?

Justement, je viens de vous le dire, c’est du pilotage à vue, du tâtonnement. Je ne suis pas surpris. Les détenteurs du pouvoir donnent une mauvaise image au pays, à leur régime. On ne forme pas un gouvernement sans connaitre les membres qu’on y amène. Sous d’autres cieux, les membres du gouvernement sont des personnalités dont la moralité est éprouvée qu’on nomme dans un gouvernement. Mais ici nous donnons à penser qu’il faut d’abord nommer sur la base certainement du clientélisme politique, et on verra après si les heureux élus sont à la hauteur de leurs responsabilités. C’est du tâtonnement. La stabilité dans les postes est un élément important de performance et de rendement. Quand vous changez tout le temps ceux qui assument des responsabilités à un si haut niveau, vous créez une instabilité dans la gestion du pays. Cela ne m’étonne pas puisque quand vous regardez le classement des pays à travers le monde avec des critères objectifs, nous sommes parmi les Etats les moins organisés et fonctionnant le moins bien. Nous occupons en effet un rang peu flatteur dans le classement des Etats en faillite ; nous avons juste la Somalie derrière nous. Quand on dit qu’il n’y a pas d’Etat au Tchad ce n’est donc pas un vain mot. L’Etat ce n’est pas seulement l’existence des institutions, c’est aussi et surtout leur fonctionnalité. Examinez le fonctionnement du gouvernement et vous allez voir. Est-ce que le Premier Ministre est réellement Chef de Gouvernement comme le dit la Constitution, est-ce que le Gouvernement dispose d’un véritable budget? Certes, chaque année on demande et obtient de l’Assemblée Nationale qu’elle vote un budget mais tout le monde sait que c’est une coquille vide. Aucun ministère ne dispose des crédits qui lui sont alloués. Depuis 2004 le Tchad, plus de loi de règlement qui puisse permettre de jauger le niveau et la manière dont est exécuté le budget de l’exercice précédent. 

 

La nouvelle équipe peut-elle répondre favorablement aux attentes de la population surtout la vie chère, l’insécurité, la crise sociale…

Vous parlez de Dadnadji 1 ou 2? Il ne peut pas allez loin. La résolution de la crise sociale suppose une gestion rationnelle de nos ressources. Pensez vous qu’avec ce gouvernement de Dadnadji 2 les ressources du pays vont être gérées autrement qu’avec les gouvernements précédents? La grève des travailleurs, ce n’est pas Dadnadji qui fixe les bornes ; cela se décide ailleurs. Vous avez écouté le discours de vœux de nouvel an du Président de la République. Contrairement à son collègue du Congo Brazzaville qui entend revaloriser le salaire d’au moins 15%, par exemple, lui, fait comprendre aux travailleurs tchadiens de se tenir tranquilles, que les ressources du pays ne sont pas seulement à eux. Regardez les forces de défense et de sécurité, avons-nous vraiment une armée? J’en doute. Je suis fonctionnaire et je puis vous dire qu’aucun service ne fonctionne normalement. Il a fallu plus de 22 ans pour qu’on se rende compte que la police nationale est panier où chaque haut dignitaire du régime met les siens. On dit avoir suspendu la police parce que des individus sont entrés dans un commissariat pour abattre un prisonnier. Mais qui sont ces individus ? qu’a-t-on fait d’eux ? Un citoyen a-t-il le droit d’entrer dans un commissariat de police avec des armes, extirper un prisonnier et l’abattre? Si on veut résoudre l’insécurité il ne faut pas laisser les gens se promener avec les armes. Si vous voulez vous attaquer à la cherté de la vie, il faut débusquer les réseaux mafieux. Notre économie est en effet étranglée par des réseaux mafieux et tant que ces réseaux mafieux ne sont pas démantelés vous ne pouvez pas lutter contre la cherté de la vie. Je ne donne aucune chance à ce gouvernement pour régler quoi que ce soit. J’ai lu et suivi attentivement la déclaration de politique générale et je me suis abstenu lors du vote ; mon frère Dadnadji aurait présenté cela dans d’autres circonstances, je l’aurais non seulement encouragé, mais soutenu. Vous savez, quand le réservoir de votre voiture contient au préalable ne serait-ce qu’une toute petite quantité d’eau, vous pouvez y mettre toutes les quantités d’essence que vous voulez, votre moteur ne tournera pas.

 

Dans son discours de politique générale, le premier ministre a annoncé la création d’un nouveau cadre de dialogue. Comment le voudriez-vous? Est-ce à l’image de l’accord politique du 13 août?

Un cadre de dialogue surtout pour des questions essentielles doit être un cadre studieux, de travail et de réflexion approfondie. Nous pensons que le cadre qui nous a permis d’aboutir à l’accord politique du 13 août 2007 est une référence. C’est un cadre équilibré comprenant les représentants des courants politiques. Vouloir faire autrement, vouloir mettre en place un cadre soumis à l’hégémonie d’un camp, c’est vouloir escamoter les débats, c’est à l’évidence refuser de poser et résoudre les défis de la transparence des élections et les défis de la bonne gouvernance dans notre pays. Il faut que le cadre soit paritaire, équilibré et représentatif des différents courants politiques, et non rassembler 150 partis politiques. Ce cadre devrait nous permettre de tirer les leçons du demi-échec ou du demi-succès de l’Accord politique du 13 août 2007. Voir ce qui a réussi, ce qui moins réussi et ce qui n’a pas du tout réussi, etc. Il lui faut aussi  des prérogatives claires, avec un mandat précis. Une des faiblesses du comité de suivi c’est qu’il était considéré comme un organe informel. On le consultait quand on voulait ; mais quand il s’agit des questions sensibles, on le contournait allègrement, comme ce fut le cas pour la détermination du nombre des députés et leur répartition par circonscription électorale.

 

Le chef du gouvernement a également promis l’organisation d’un recensement biométrique pour les élections locales de 2014. Que dites-vous? Et les futures élections législatives et présidentielles?

Comme je l’ai dit, il faut tirer les leçons des ratés des élections précédentes. Nous avons arrêté un certain nombre d’actions à réaliser pour arriver à des élections relativement transparentes. Tout le monde a vu les élections législatives passées. La CENI a répertorié pas moins de 18 points de dysfonctionnement et on pensait que les choses allaient s’améliorer avec les élections présidentielles, puis municipales ; mais on est allé de mal en pis. Nous avons de sérieuses inquiétudes sur l’organisation des futures élections. A l’allure où vont les choses, tout donne à penser que, conscient de la désaffection croissante des populations vis-à-vis de sa gestion calamiteuse, le gouvernement prépare, par des passages en force à l’Assemblée Nationale et dans les pseudo-concertations entre partis politiques, des hold-up électoraux. A partir de ce moment, nous avons de sérieuses inquiétudes. Cependant nous savons que le tout n’est pas de gagner les élections mais de gérer le pays dans la paix. Il faut éviter tout ce qui peut amener des troubles dans le pays.

 

La nouvelle Constitution révisée permet au Président de la République de militer dans un parti politique. Comment se fera le jeu des partis politiques avec un chef de l’Etat qui se trouve dans la mêlée?

Un des principes fondateurs de nos institutions est la séparation de la gestion de l’Etat d’avec les activités partisanes. Le Chef de l’Etat ne peut pas et ne doit pas être partisan. C’est pour cela que l’Accord politique du 13 août 2007 fait du Président de la République le garant de son exécution. Chaque fois qu’il y a un problème dans le cadre de sa mise en œuvre, on recourt au Président de la République pour trouver des compromis dynamiques. Mais maintenant, si cette révision est entérinée et qu’il est dans la mêlée, le débat politique sera crispé. Nous irons chercher des facilitateurs ou des garants ailleurs, nullement  au niveau des institutions nationales. Ce sera alors au niveau des instances internationales, l’Onu, l’Union européenne et l’Union africaine. Le Président de la République ne pourra être garant de rien du tout dès lors qu’il est militant d’un parti politique au même titre que les autres responsables politiques. En voulant faire du Président de la République le chef de parti politique, on veut construire un Etat-parti, on veut nous ramener à l’UNIR, après tout ce qu’on en a dit. Pour  le faire, il faut avoir de bonnes raisons.

 

Autre grand changement dans la constitution: le juge du siège perd son inamovibilité. Y-a-t-il vraiment danger sur l’indépendance de la justice et le principe de séparation des pouvoirs?

Avec la modification suggérée, la justice sera par terre, sera KO ! Les efforts de l’Union européenne qui soutient le Prajust afin de crédibiliser notre justice seront à l’eau. Du reste, notre Constitution prescrit en son article 223 que toute modification ce qui porte atteinte au pluralisme politique et à la séparation des pouvoirs est interdite. Cela concerne donc également l’inamovibilité du juge de siège. Vous voyez qu’on touche là à un principe fondamental de droit, parce que nous avons opté pour la séparation des pouvoirs. Si vous enlevez cette inamovibilité qui concrétise l’indépendance du magistrat de siège, automatiquement vous mettez celui-ci sous la coupe du pouvoir exécutif et de la corruption. Cette modification ne permet pas par ailleurs de sécuriser les capitaux étrangers. Aucun partenaire commercial ou économique ne peut venir injecter de l’argent dans un pays où la justice est partiale. Si vous combinez les deux articles, ils touchent aux principes fondamentaux qui réglementent le fonctionnement de nos institutions. Cette révision est une régression dans les efforts que nous déployons pour consolider la démocratie et construire un Etat de droit

 

Vous étiez Vice-président de la commission politique générale, lois, affaires administratives et judiciaires qui a rédigé le rapport sur la proposition de loi de révision constitutionnelle. Pourquoi aviez-vous démissionné peu avant le vote de la loi?

Je n’ai pas démissionné mais j’avais dit que je ne pouvais pas diriger les travaux de la Commission pour ce point de l’ordre du jour, à savoir la révision de la Constitution sur des points essentiels concernant la vie de nos institutions et qui ont fait l’objet d’un laborieux consensus à la Conférence nationale souveraine. Chacun se rappelle qu’à cette conférence, pour plus de 2000 délégués, le verrouillage des possibilités d’alternance démocratique a été la principale cause des guerres que notre pays n’a cessé de connaître. C’est pour cela que nous avons dit qu’il faut que nos institutions offrent des gages d’alternance et de bon fonctionnement de notre démocratie. Raison pour laquelle nous avons consacré la séparation des pouvoirs comme l’un des piliers de nos institutions. Or la révision de l’article 71 de la constitution étrangle le pluralisme politique. Connaissant notre pays et le clientélisme qui y sévit, le Président de la République qui s’afficherait comme chef ou militant d’un parti politique, entrainerait dans son sillage tous les responsables, à tous les niveaux, de l’Etat. Tous les responsables de l’administration, les services centraux, la territoriale, l’armée, tous seront obligés d’être dans le parti du Président de la République. La marge d’expression d’avis différents se trouvera réduite à néant. Et c’est pour ces raisons que j’ai dit à mes collègues de la Commission que je me verrai mal entrain de défendre une idée que je considère comme une régression pour notre démocratie, comme une entreprise qui sape un des piliers de l’Etat de droit. Je suis un citoyen libre, et je ne suis pas allé à l’Assemblée pour agir contre mes convictions, contre ma conscience, pour me renier. Ma conscience ne me permettait pas d’approuver cette révision. Alors, si mon éjection du poste de Vice-président de la Commission Politique Générale, Institutions, Lois, Affaires Administratives et Judiciaires sanctionne cette position, je l’assume.

 

Avez-vous subi la dictature du MPS dans cette affaire ?

Quand j’ai informé mes collègues de la Commission de ma position, ils l’ont tous comprise, pour ne pas dire approuvée. S’il y a donc intolérance, celle-ci viendrait de l’extérieur. Mes collègues m’ont également fait part de l’obligation qu’ils ont de voter cette révision, quelque soit les arguments de droit et autres qu’ils entendront çà et là, ayant reçu des instructions fermes.

 Ngarbé Ferdinand

 

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