Par arrêté n°014, du 3 mars 2015, le ministère de l’Administration du Territoire et de la Sécurité Publique  dissout l’Association Ansar al Sounna almouhamaddya (folio : 214) pour des raisons de risques de troubles à l’ordre public. En 1996 pour les mêmes raisons, le Ministère de l’intérieur et de la sécurité avait dissout toutes les organisations religieuses islamiques.

Entre les deux décisions se sont les ONG Arrachad et alnadawa qui sont respectivement suspendues et dissoutes avec confiscations des biens au profit de l’Etat. Dans tous les cas, on note une forte implication du président du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques du Tchad (CSAI), Hussein Hassan Abakar, car si lesdites dissolutions ne sont pas faites à sa demande explicite, ils sont précédés par des sorties médiatiques très virulentes, au cours desquelles, l’imam Hussein Hassan Abakar crie au danger, indexant directement  les associations religieuses et les musulmans de mouvance sunnite orthodoxe (appelé Ansar al sounna). En plus, il semble bien bénéficier d’un soutien inébranlable des Hautes autorités de la  République, car non seulement ses demandes sont exhaussées mais il n’est pas aussi inquiété pour ses accusations très graves à l’encontre des Ansar al Souna quand il les traite d’organisation terroriste proche des Boko Haram et de Daesh ou Etat islamique.

De tout cela, des musulmans Tchadiens débattent et s’interrogent sur les réseaux sociaux et les lieux de rencontre. Qui tire les ficelles de cette tension politico-religieuse qui prend de plus en plus forme dans la communauté musulmane du Tchad ? Les associations islamiques et surtout l’association Ansar Assouna al-mouhamadya  constitue-t-elle un réel  risque de nuisance à l’ordre public ?  La tension est-elle savamment créée pour permettre une main mise du pouvoir sur la communauté musulmane à travers la CSAI ? Le pouvoir s’appuie-t-il sur un conseil se réclamant d’obédience soufi pour contenir l’influence et le poids des groupes sunnites orthodoxes ? Sous prétexte des mesures sécuritaires le pouvoir n’est-il pas entrain de violer les dispositions constitutionnelles relatives à la laïcité et à la liberté d’association ? A la limite quel est le statut du CSAI ? Autant des questions qui taraudent l’esprit des Tchadiens lorsqu’ils réfléchissent sur la problématique.


Selon des informations fréquentes qui nous parviennent dans le milieu religieux Tchadien, il se dégage une compétition inter-islamique entre les groupes d’obédience sunnite orthodoxe et sunnite-soufi, savamment entretenu par le pouvoir par le biais du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques (CSAI). Selon ces sources, le comité islamique des fatwas en République du Tchad devenu Conseil supérieur des affaires islamiques (CSAI) est dès sa conception, sous l’emprise du pouvoir comme chaque régime nomme son imam. L’emprise du pouvoir sur le CSAI s’accentue sous l’actuel régime quand les règles de base de gouvernance du conseil disparaissent et laissent la place à une forte personnalité qu’est le président du CSAI. En outre, les compétitions entre les obédiences sunnites orthodoxe (Ansar al sounna) et sunnites-soufis (Tidjania) entretenues par l’imam Hussein Hassan lui-même, permettent d’avantage l’imposition du CSAI comme unique cadre autorisé à mener des activités religieuses et d’orienter les musulmans du Tchad. C’est la limitation de la montée d’un courant sunnite orthodoxe (Ansar) qui intéresse le pouvoir. Ceci d’autant plus que le courant Ansar al sounna mené par des intellectuels qui, par leur activisme religieux, leur indépendance d’esprit et leur revendication citoyenne élargissement  leurs assises populaire et s’impose comme une force sociale. C’est dans cet optique que le président du CSAI Hussein Hassan Abakar clame « qu’au Tchad notre mazhab (école juridique) est Malikite, notre agida (foi) Ash-ari et tariga (voie) Tidjani (soufi) quiconque cherchera a toucher à ses fondamentaux sera frappé d’une main de Fer ». L’imam fondateur du comité Moussa Ibrahim lui avait dit au contraire dans sa prêche inaugurale du comité islamique que les fatwas et les orientations seront circonscrites dans les quatre (4) principales sources de droit (école malikite, hanafite, shafiite et hanbalite) de l’école juridique sunnite en Islam et surtout le mazhab « Ahloussouna waldjama’a ».

Défini par Wiképedia comme étant un imam tolérant, soufi, combattu par des groupes salafistes proches de l’Afrique du Nord et du moyen orient » l’imam Hussein Hassan ne semble pas faire l’unanimité chez les musulmans du Tchad. Ses détracteurs trouvent qu’il est beaucoup plus enclin à jouer un rôle politique à travers des rencontres avec des ambassadeurs, des grandes manifestations publiques semblables à la campagne électorale qu’il ne dialogue, n’écoute et ne concilie les musulmans. Pire, non seulement il refuse d’approuver le pacte de cohabitation pacifique entre les musulmans obédiences sunnites-soufi (tidjania) et orthodoxe (Ansar al sounna), il appelle plutôt au soulèvement des uns contre les autres à la Radio Fm Alouane. Au dessus tous cela, ce qui surprend et choque plus d’un musulman est l’impunité avec laquelle il continue sa campagne médiatique dans laquelle il incite aux meurtres, à la destruction de certaines mosquées des musulmans qu’il qualifie sans preuve des terroristes proche de Daesh et Boko haram. Ceci malgré que les leaders de l’association Ansar se sont plaints et ont rencontrés le Président de la République à deux reprises. Ce qui accrédite, chez beaucoup des musulmans, la thèse selon laquelle il est de mèche avec le pouvoir.


Face aux motifs de risque de nuisance à l’ordre public ayant conduit à la dissolution de l’association Ansar, ses membres répondent qu’il n’en rien. Car leur association d’obédience sunnite orthodoxe ne s’est jamais impliquée dans les conflits ou révoltes à base religieux qu’a connu le pays : Mahdi Am-habilla  en 1974, Kouno, N’djamena (mahdi et Issa) sous le règne de Deby. L’enquête  à montrer que plusieurs fidèles d’obédience sunnite orthodoxe ont été agressés et tués dans les mosquées à Amtimane et Oumhadjer. En outre, il faut dire que c’est sur les plaintes des membres de l’association  Ansar  al sounna que les dérives dans les prêches de Mahamat Youssouf, ancien chef de Boko-haram, ont été notés et ont permis son renvoie du Tchad comme se fut aussi le cas du predicateur Soudanais Aboulkhassim (soufi-Tidjania).


Somme toute, la décision de dissolution des associations aussi bien que la volonté d’orientation religieuse sont contraire à la constitution du 31 mars 1996 revisée en 2005. Le Tchad est un pays laïc. Ce qui signifie qu’il n’y a pas une religion d’Etat et par voie de conséquence, que l’exécutif ne peut pas avoir un organe exclusif d’orientation religieuse. En outre, le Ministère de l’Administration du territoire et de la sécurité n’a pas compétence à dissoudre les associations. Car, la constitution en son article 30 dispose que « la dissolution des associations, des partis politiques et des syndicats ne peut intervenir que dans les conditions prévues par leur statut ou par voie judiciaire » Par ailleurs la centralisation forcée des activités religieuses au CSAI risque de le décrédibiliser et de le délégitimer davantage auprès des musulmans et de montrer le régime en place comme « un oppresseur de la foi musulmane. En outre, il importe de rappeler que d’autres pays comme le Lybie, la Tunisie, la Syrie ont par le passé, pris des séries de mesures juridiques et sécuritaires visant à la limitation voire l’interdiction pure et simple des organisations religieuses, les traitant comme un « danger » et une menace qui doivent être contenus ou éliminés (Mathieu GUIDERE, 2012) .

Cela a plutôt servi  à la création des couches de radicalisations. Les régimes Marocain et Egyptien ont accordé une importance particulière aux confréries soufies pour contenir la montée des sunnites orthodoxe, mais cela a plutôt encouragé l’élargissement de leur base populaire ainsi que leur imposition aux élections législatives. En Libye, le colonel Kadhafi a même voulu faire, sans succès, du soufisme une troisième voie à coté des communautés de mouvances sunnites. Disons qu’il existe aujourd’hui au Tchad une stabilité grâce à une culture de tolérance qui permet une cohabitation pacifique intra et interreligieux. Ceci est d’abord et avant tout le reflet des courants tolérants qui existent dans le pays. Les grands imams Al-ash’ari (mort en 936) comme Ibn taymiyya (1328) influant la foi (agida) de deux courant majeur au Tchad placent l’exigence de la stabilité au dessus de toute autre considération. Il est donc important, voire vital pour le pays de maintenir les acquis de la cohabitation et de la stabilité en consolidant la particularité Tchadienne. Mais il faut pour cela sortir de la logique de phagocytage et de la prédilection des individus et de certains courants.


En tout état de cause, si le pouvoir veut privilégier un organe rassembleur des musulmans du Tchad, il doit reformer le CSAI pour l’ouvrir à tous les courants et le rendre plus démocratique (élection de bureau, définissions de règle de fonctionnement et de processus de prise de décision.   

Il faudra faire du CSAI un cadre représentatif où les oulémas peuvent débattre et analyser les différents points de vue pour parvenir à des décisions consensuelles acceptables. Il sera alors accepté comme un cadre de référence et d’orientation de foi et non comme un instrument pour but de museler les oulémas musulmans comme lors du débat sur le code de la famille. L’extrémisme violent (surtout des Takfiri comme Boko-haram) est une réalité et une menace pour la paix de notre pays. Il faut certes, anticiper sur ses stratégies et agir sur son terreau. C’est pourquoi une approche purement sécuritaire peut  apporter, bien sur, des réponses immédiates, mais elle peut aussi encourager la radicalisation. A cet effet le pays gagnerait beaucoup à promouvoir un dialogue inclusif tout en incitant à la promotion d’une culture de la bonne gouvernance.


MAHAMAT ABDERAMANE MAHAMAT

 

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