La prolongation de l’Ordonnance n° 023/PR/2018 portant la mise en application de la résolution du Forum dit inclusif, relative à l’institution du serment confessionnel pour certaines catégories des commis de l’État au Tchad, a suscité beaucoup des réactions et des rebondissements dont l’épisode le plus fracassant est le refus d’une ministre de prêter serment et la nomination, séance tenante, de son remplaçant. Cependant, les faits qui m’ont interpellé le plus sont la lettre de cinq (5) Inspecteurs/Contrôleurs d’État de confession chrétienne adressée à l’Inspecteur d’État général, et l’éditorial du très sérieux journal en ligne : Tchadanthropus, intitulé : Prestation de serment – les faits qui divergent tout le monde, ceci en plus des commentaires par plusieurs journaux nationaux et des internautes sur les réseaux sociaux.

 

Avant de me prononcer sur le bienfondé ou pas du sujet en question (le serment confessionnel) j’aimerais dire un mot sur la laïcité, puis le serment conventionnel en général au Tchad et ailleurs et enfin la raison d’être même de l’institution du serment confessionnel (la corruption à grande échelle).

 

LA LAÏCITÉ D’UN ÉTAT

 

La laïcité de l’État est, selon la Rousse, « le Principe de séparation de la société civile et la société religieuse. » Elle prône la neutralité et l’impartialité de l’État vis-à-vis des confessions religieuses. Selon ce principe, l’État doit rester à l’équidistance à l’égard des différentes confessions religieuses dans une société quelconque.

Par contre le principe de la laïcité ne s’oppose pas à la pratique religieuse. Un État laïque n’est pas un État athée. Chaque État doit donc reconnaitre les divergences socio-culturelles de ces citoyens. Raison pour laquelle les lois de chaque société sont censées refléter les us et costumes de cette société. Même le droit dit : commun n’a, à vrai dire, rien de commun, car il est inspiré de la loi canonique. Depuis que le monde est monde, de toutes les identités socio-culturelles, la religion est la plus sensible pour l’homme. Une identité pour laquelle l’homme est prêt à donner sa vie. L’Histoire, par exemple, témoin de la position épique du Saint Polycarpe, premier évêque de Smyrne, mort en 155, comme martyr pour sa foi chrétienne, et la mort de Yasser Abou Ammar et de son épouse Soumayya Oum mou Ammar à la Mecque, en 611, comme premiers martyrs de l’Islam.

Sur la question de la laïcité, la Christianité et l’islam ont des positions différentes à cause, justement, de leurs expériences différentes sur la question.

 

Avant même l’avènement du Christianisme, « dans la Rome antique, les empereurs étaient considérés comme des êtres divins et occupaient la plus haute fonction religieuse, celle de Pontifex maximus. [Avec l’avènement du christianisme] les chrétiens ont… contesté ce système, en reconnaissant l’autorité politique de l’empereur, mais en refusant de s’impliquer dans une religion de l’État, et de reconnaître la divinité de l’empereur. » Cette position contre le cumule du pouvoir mondain civil et autorité relieuse a toujours animé le christianisme et les chrétiens. Dans l’Évangile de Marc, 12 :17 on lit : « Rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Par contre, l’Islam se présente comme un mode de vie compréhensif cumulant la vie civile et la vie confessionnelle. L’Islam n’est pas limité aux pratiques de certains rites dans la mosquée. Il est omniprésent dans toutes activités de l’Homme. Raison pour laquelle le Prophète Mohammad dans l’exercice de sa mission prophétique incarnait, certes, l’autorité confessionnelle, mais il était en même temps le Chef d’État et le Chef suprême des Armées du tout premier État islamique fondé par lui-même, à la Médine. Ses Califes après lui étaient des souverains de leur Califat, mais ils étaient en même temps des chefs religieux et à ce titre, ils officiaient les prières congressionnelles, surtout les prières de vendredi. Voilà donc, la genèse de la divergence (différence) d’opinions entre les musulmans et les chrétiens sur la laïcité au Tchad ou ailleurs. Cependant les Tchadiens, sont, dans leur écrasante majorité, musulmans ou chrétiens, très religions. Au Tchad il n’y a pas, au moins publiquement, cette dichotomie : pratiquant et non-pratiquant dans une religion quelconque. En tout état de cause, le fait d’être adepte d’une religion et en même temps non-pratiquant ne constitue pas une source de fierté, au Tchad.

 

LA PRESTATION DE SERMENT

 

La prestation du serment en général et la prestation du serment confessionnel qui n’est autre chose qu’un garde-fou consciencieux et dissuasif visant à défaire les abus des commis d’État dans leurs gestions de la chose publique, sont pratiquées dans la plupart des États modernes. Au Tchad même, elle existe, mais non pas basée sur la confession de la personne assujettie. On suit, par exemple, chaque fois à la télévision, des comptables et autres prêter serment devant des juges et ces derniers de les renvoyer à l’exercice de leurs fonctions.

 

Le serment confessionnel existe, également, dans les pays voisins comme le Nigeria et le Niger, et se faisait, la main sur une copie Coran manuscrite pour les musulmans et sur la Bible pour les chrétiens. Aux États unis, par exemple, où il est une tradition de longue date, quand Keith Ellison, le tout premier musulman jamais élu au Congrès américain, était demandé à prêter serment, il a exigé qu’il lui soit présenté une copie du Saint Coran. Aussitôt dit aussitôt fait, les autorités compétentes lui ont amené, sous escorte, une copie du Saint Coran conservé à la bibliothèque du Congrès –the Library of Congress — offert, en 1764, au 3ème Président Américain, Thomas Jefferson par le Roi Mohammad III du Maroc. Faut – il noter au passage qu’« une amitié s’est créée entre le Maroc et les États-Unis depuis 1777 lorsque le Maroc a été le premier pays à reconnaître l’indépendance américaine en ouvrant ses ports aux États-Unis une année avant la Hollande et six ans avant la Grande-Bretagne et la plupart des états européens. » (Lesaviezvous.net). Le choix du nouvel élu musulman noir américain a aussi provoqué, à son temps, des vives réactions de la part, surtout, des conservateurs comme l’éditorialiste Dennis Prager, qui écrit : « On ne devrait pas l’autoriser à le faire, non pas en raison d’une quelconque hostilité des Américains envers le Coran, mais parce que cela ébranlerait la culture américaine », et de continuer que la Bible est « le livre le plus sacré pour l’Amérique. Cela illustre à suffisance la sensibilité de la question de la religion et son usage à des fins politiques est très dangereux.

 

LA CORRUPTION

 

Le vrai problème qui a occasionné la nécessité même de la prestation du serment confessionnel est la corruption. Une corruption généralisée et à grande échelle. La corruption est sans nul doute l’un ou le plus grand problème de société que font face, aujourd’hui, les États modernes. Elle est peut-être en concurrence avec le terrorisme ! En Afrique le fléau est plus ressenti parce qu’il tue l’économie et que nos économies en Afrique sont très, très fragiles. Un adage de chez nous dit : le coup de patte d’un cheval ne peut être supporté que par un cheval ! Si un être écope un coup de pied de cheval, sur le visage, il est fini !

 

La chaine panafricaine Africa24 a organisé dans son programme : politicia de cette semaine, un débat très fascinant à laquelle notre compatriote Mahamat Assileck Halata a pris part où il a surtout parlé du Tchad. Les panélistes ont parlé suffisamment de ce fléau, en Afrique, dans tous ses aspects. Constatant l’immensité de ce fléau à l’échelle continentale, l’Union africaine a consacré sa 30ème session du sommet des Chefs d’État à ce phénomène avec le thème « gagner la bataille contre la corruption : une voie durable vers la transformation de l’Afrique ». Par la même occasion les Chefs d’État ont désigné le président Nigérian Muhammadu Buhari, qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille depuis son élection en 2015, « champion pour lutte contre la corruption ». Le président Buhari qui considère le phénomène « l’un des plus grands maux de notre temps », est un homme aguerri dans le domaine pour avoir engagé, depuis plus de deux ans, des grands barons de la richesse illite au Nigeria, dans une bataille sans merci où tous les coups sont permis.

 

Certains de ces barons menacent même de le destituer en utilisant certains membres du parlement qui leur sont fidèles. La récente décision du juge, Maurine Onyetenu, de la Haute Cour de Justice fédérale siégeant à Oshogbo, dans l’État de Osun, a rendu public le jeudi 5 juillet 2018, instruisant l’Assemblée nationale du Nigéria d’engager une procédure de destitution (empêchement) du président Buhari, va, sans doute, dans ce sens. Le juge donne, ainsi, gain de cause à deux avocats indépendants nigérians qui ont introduit, plutôt, une requête pour le même but. Comme si c’était en réaction à cette plaisanterie de mauvais gout, le Président Buhari a signé le même jour (5/7/2018) un secret (Exécutive Order No.6 of 2018) portant préservation des avoirs liés à la corruption grave et autres crimes y efférents, et a déclaré, par la même occasion, l’État d’Urgence contre la corruption.

 

Pour rappel, la constitution nigériane, étant calquée sur la constitution américaine, accorde à l’Assemblée nationale nigérienne, le pouvoir de destituer le Président de République, avec une majorité de 2/3, par contre ce dernier n’a pas le pouvoir de dissoudre l’Assemblée.

 

Aussi, le Président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, n’a-t’il pas déclaré lors du Sommet de l’UA à Kigali que : L’année 2018 est appelée à être celle du combat contre la corruption. Le sujet a été, également, au cœur des débats du récent sommet qui a pris fin le 1er juillet 2018 à Nouakchott. L’Union africaine a, faut-il le rappeler, déjà créé le 11 juillet 2003 le Conseil Consultatif de l’Union africaine (AU) sur la corruption (CCUAC) dont la convention est entrée en vigueur le 5 aout 2006 et ratifiée jusqu’ici par 40 pays dont le Tchad. Le conseil est présidé, présentement, par nul autre que par notre compatriote Bégoto Miarom, élu lors de la session extraordinaire tenue en janvier 2017 à Addis Abeba, en Éthiopie. Au Tchad, la corruption est ressentie plus qu’ailleurs. Si un pays pétrolier depuis 15 ans, avec une population d’environnement 12 million seulement, n’arrive pas à payer facilement ses fonctionnaires, alors le problème est très grave ! Ceci devrait être la vraie question dans le débat, mais non pas la prestation du serment confessionnel, en tant que telle, qui n’est qu’un des derniers outils pour remédier à ce fléau.

 

La situation est telle que, des commis d’État, des vrais filous cumulant illicitement des fortunes égales au budget annuel de l’État de plusieurs années et qui cherchent encore à voler. Ceux-là il faut les arrêter à tout prix, même s’il faut s’allier avec le diable ! C’est une situation d’urgence ! Ceux-là, s’il faut même les faire prêter serment sur le dos du diable il faut le faire, car pour ceux-là leur vrai dieu c’est bien le diable. Sion, celui qui croit en l’existence d’un être suprême (Allah/Dieu), qui croit en une autre vie à l’au-delà, qui croit en la résurrection après sa mort, et qu’il est conscient du fait qu’il a des comptes à rendre à l’au-delà, ne peut guerre s’embourber dans une supercherie à grande échelle pour accumuler des fortunes dont, lui, ses progénitures, ses arrières, arrières, arrières petits-enfants n’en auront jamais besoin. Ceux-là, s’ils sont conscients de ce qu’il les attend alors, ils doivent pleurer jour et nuit, au lieu de sombrer dans l’opulence qui n’est que temporaire. L’Imam Ahmad Hilew a donné le ton lors de son sermon de la prière de fête de l’Eid Fitir dernier, le 15 juin 2018. Même le citoyen lambda qui utilise illicitement les services publiques (l’eau, l’électricité, la fraude douanière, fuite de la fiscalité, etc.) chez lui, consomme, en fait, des ordures, c.-à-d. ce qui est haram.

 

À mon humble avis, il faut faire tout ce qui est humainement possible pour arrêter ce fléau, même s’il faut se servir des méthodes peu orthodoxes, pourvues qu’elles s’appliquent à tout le monde, sans exception, car la situation demande une action rapide et décisive. En Chine, par exemple, des responsables des crimes économiques graves dont la corruption, sont passibles de la peine capitale.

La dictature même, système honni de tout, était jadis exercée légalement pour rétablir l’ordre public quand le désordre généralisé s’installe. Une sorte de mesure d’exception comme l’État de crise. Le dictateur, du latin dictator, était un Magistrat nommé à Rome par le parlement, dans certaines circonstances critiques. Le serment confessionnel n’est, donc, qu’un outil métaphysique, qui met le commis d’État, face à face devant sa conscience, quand tous les outils juridiques, physiques et conventionnels de contrôle ont montré leurs limites devant la boulimie démesurée des cleptomanes sans loi ni foi, scrupule. Et ce après avoir tenté toutes les mesures conventionnelles connues : Contrôle d’État, un ministère entier dédié au phénomène, instauration d’un numéro vert, etc., etc., que l’État tchadien a fait recourt à cet outil métaphysique très efficace, jusqu’ici. Apparemment les Tchadiens ont peur de la vindicte divine !

 

Je m’interdis de m’aventurer dans la croyance des autres, surtout qu’il y a des différents courants et opinions dans les mêmes religions. Cependant, le fait même que certains chrétiens au Tchad et ailleurs, comme cité plus haut, trouvent normal de prêter serment sur Livre saint, ceux qui ne veulent pas le faire, au Tchad, à cause de leur croyance — c’est leur droit indéniable le plus absolu — apparemment, il n’y a pas une position fixe sur ce sujet. Par conséquent, ceux-là sont dans l’obligation morale de proposer, aux Tchadiens, une formule ou un gage qui les rassure. Sinon, c’est comme si on veut confier une fortune à quelqu’un en fidéicommis et que cette personne-là de dire qu’il ne donne aucune garantie vis-à-vis la sécurité de ce dépôt, et bien, il est très difficile de se fier à cette personne. À mon humble avis, l’usage de la religion dans cette affaire s’apparente vraiment à déplacer le débat ou tout au moins vider de son essence. La lutte sans merci contre la corruption doit être le souci majeur de tout un chacun : Musulman, Chrétien, animiste ou athée ou adepte de toute autre religion. Ceux de nos frères filous qui pensent qu’ils jouissent d’une couverture circonstancielle quelconque doivent savoir qu’il n’y aura pas d’affinité à l’au-delà et cela est largement diffusant pour qu’ils s’inquiètent, s’ils ont un iota de foi dans leurs cœurs.

 

Al-Amine Mohammed Abba Seid

Elkanemi2@hotmail.com

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  • l’Assemblée nationale nigérienne ou Nigériane?

    Commentaire par Hassan le 7 juillet 2018 à 17 h 32 min
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