Cher Hassan Daoud

Je m’appelle Sounny Hadji Sidimi. J’ai 21 ans et on a probablement le même âge. Je n’avais jamais entendu parlé de toi avant la manifestation du 9 mars réprimée dans le sang par la police tchadienne. D’après le peu d’informations que j’ai recueillies sur le net, tu étais en 2ème année à l’université de N’Djamena. Ce lundi 9 mars, était un jour important pour toi car tu passais des examens du premier semestre en retard comme d’habitude dans la chaleur insoutenable du mois de mars.

Ce lundi 9 mars sera malheureusement le dernier jour de ta jeune existence. Je ne sais pas si tu faisais partie des étudiants qui manifestaient ce jour-là. D’aucuns disent que oui d’autres non. Quoi qu’il en soit, quelques heures plus tard, tu seras abattu d’une balle dans l’enceinte même de l’université, lieu hautement symbolique de la République. Un lieu que les policiers n’ont pas hésité à investir lourdement armés au mépris des règles de la République. Ironie de l’histoire, tu es tombé là où la majorité des policiers tchadiens n’ont jamais mis les pieds.

Quelques heures plus tard, à des milliers de kilomètres de chez toi, grâce aux réseaux sociaux, j’apprends ton décès. J’apprends aussi qu’une manifestation étudiante a dégénéré et qu’il y aurait 3 morts et plusieurs blessés. Pourtant, je reste perplexe quant aux motifs de cette manifestation spontanée. Il paraît que vous manifestiez contre le port du casque. Quel paradoxe dans un pays où il y a tellement d’autres raisons qui justifient une manifestation (injustice, cherté de la vie, bourses et que sais-je encore). Malheureusement, nos policiers analphabètes n’ont pas hésité une seule seconde à t’ôter la vie pour une vulgaire histoire de casque.

Hassan Daoud, je ne ferais pas l’hypocrite en te disant que ta mort a ému la communauté tchadienne. Je me rends compte aujourd’hui que tu es mort pour RIEN. Une photo de toi circule ici et là sur Facebook et Twitter. La majorité des tchadiens sur le net n’a pas daigné la publier, la partager, l’aimer. Personne ou presque n’a écrit pour te rendre hommage, ni même les associations des étudiants tchadiens au pays comme à l’étranger. Je ne comprends toujours pas pourquoi, sont-ils indifférent au sort de leur compatriote ? Non, la question est beaucoup plus complexe que cela.

Si je t’écris ce soir c’est parce que je suis indigné par ce silence. Un silence presque complice. L’archevêque sud-africain Desmond Tutu disait que « Si tu choisis la neutralité dans une situation d’injustice, tu choisis le camp de l’oppresseur". Moi je n’ai pas choisis le camp de l’oppresseur, jamais ! Je suis portant convaincu que la plupart des tchadiens soutient ton combat. Ils sont juste atteints par le syndrome de la peur que le régime de Deby a introduit dans leur esprit. Ils ont tellement peur qu’ils sont incapable de cliquer sur un j’aime sur Facebook. Mais je ne leur en veux pas, et je sais que toi non plus tu ne leur en veux pas. Ils ont le droit d’avoir peur, moi aussi j’ai peur. Surtout après avoir visionné une vidéo d’une horreur insoutenable montrant comment mes frères étudiants se faisaient torturer par cette même police qui t’a abattu froidement. Cette vidéo a été visionnée plus de 50 000 fois en 48 heures. Quelques téméraires comme moi ont osé la dénoncer. La majorité s’est abstenue de tout commentaire.

Dans un élan de colère que je n’ai pu maitriser, j’ai exprimé toute mon aversion envers ce régime incompétent qui ne sait répondre que par les armes. De toute façon, que peut-on attendre d’un président arrivé par les armes et qui ne sait rien d’autre que faire la guerre et humilier son prochain. S’il est capable de torturer et tuer le leader de l’opposition, pourquoi se gênerai t-il pour un pauvre petit étudiant.

Hassan, laisse moi te faire une confidence. Quelle légitimité j’ai pour dénoncer ce qui t’est arrivé ? Je suis moi-même le fruit de ce régime. Je n’ai jamais manqué de rien. Mes parents ont les moyens de me payer des études en France alors que toi tu galères chaque jour pour aller dans une université mal équipée, surpeuplée et d’un niveau douteux. Tu es tous les jours confronté à l’injustice alors que moi je me permettais d’aller à l’école dans une voiture climatisée. Je suis indigne de parler en ton nom. Tu dois me détester car tu te bats surtout contre des gens comme moi qui doivent leur bonheur à ce régime. Pardonne-moi s’il te plait pour cette insulte à ta mémoire.

Je suis triste et pessimiste quant au sort de mon pays. Un jour Deby mourra et ce sera à nous de prendre le relais. Je suis pessimiste car je ne vois aucun avenir pour notre pays. Nos dirigeants sont corrompus comme le président. Comment peut-on construire un pays quand les deux principales communautés (chrétienne et musulmane) se haïssent viscéralement. Ils sont incapables de manger dans le même plat, incapables de faire un mariage mixte. Comment peut-on construire un avenir dans ces conditions ? J’avoue que ces questions me hantent mais pour l’instant, curieusement, la peur nous unis. Dès que cette peur disparaitra, toutes les querelles intestines réapparaitront. Deby comme tous les autres dictateurs entretient cette peur car elle joue à sa faveur. C’est une règle de base qu’applique à la lettre Bachar Al Assad en Syrie et d’autres dictateurs africains. La peur du chaos unit les peuples.

J’aimerai que tes parents et amis lisent cette lettre car c’est le seul moyen pour moi de témoigner ma compassion. Toutes mes sincères condoléances à tes proches. C’aurait pu être moi, elle, lui et tant d’autres tchadiens. Mais malheureusement c’est toi qui pars le premier. Que Dieu t’accueille dans son vaste paradis et que ton nom soit à jamais gravé parmi ceux qui ont laissé leur sang pour le Tchad. Va en Martyr Hassan Daoud.

De la part de ton ami Sounny qui ne t’a jamais connu, Paix à ton âme.

Sources: Facebook 

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