L’UNSMIL a réussi à mettre sur les rails de nouvelles négociations de sortie de crise, en se basant sur les termes d’un cessez-le-feu négocié entre l’homme fort de l’Est et la cité-État. Mais la démilitarisation de l’axe Syrte-Jufra reste entière.

Un cessez-le-feu permanent à Genève le 23 octobre et une date ferme – le 9 novembre – de lancement des négociations politiques à Tunis : la cheffe de la mission des Nations unies en Libye (UNSMILStéphanie Williams a obtenu deux avancées majeures, à quelques jours de la fin de son mandat le 3 novembre. Mais les obstacles restent nombreux à un accord de paix, de la démilitarisation de l’axe Syrte-Joufra à la place revenant à Khalifa Haftar dans la « nouvelle Libye ».

Un cessez-le-feu, mais pas de retrait

L’accord de Genève est directement issu des travaux de la commission militaire mixte, réunissant cinq représentants militaires de chacun des deux camps, qui travaille depuis trois ans sous l’égide du Caire. Cette « commission 5+5 » n’a pas attendu l’UNSMIL pour obtenir des résultats : plusieurs centaines de prisonniers ont été échangés depuis le début du mois, et le rétablissement des liaisons aériennes entre Benghazi et Tripoli concrétisés dès le 16 octobre. En les parrainant dans la dernière ligne droite, Stéphanie Williams a repris à son compte ces travaux, qui lui échappaient largement. Mais elle a échoué à arracher la démilitarisation de l’axe Syrte-Joufra, priorité absolue de Washington, qui veut en déloger l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar et, surtout, les mercenaires de la firme russe Wagner. Cette question demeure donc entière, même si le 5+5 serait arrivé à un accord tacite : l’ANL quitterait la zone à condition que l’ouest désarme véritablement les milices, comme prévu par l’accord.

Haftar et les Misratis au centre du jeu

Ce processus a de facto remis au centre du jeu Khalifa Haftar et la cité-État de Misurata. L’homme fort de l’Est, boudé par Washington du fait de son rapprochement avec Moscou, et marginalisé depuis qu’il avait dû abandonner toute la Tripolitaine en avril, était revenu dans la partie en s’entendant en septembre avec le numéro deux du Conseil présidentiel de Tripoli, le Misrati Ahmed Miitig, pour débloquer la production pétrolière. Certaines installations du croissant pétrolier, contrôlées par l’ANL, avaient rouvert début octobre. Côté Ouest, la participation aux travaux de la commission 5+5 a été dominée par des militaires de carrière Misrati. La délégation ayant signé l’accord de Genève était ainsi conduite par un Misrati pure souche, le général-major Ahmed Ali Abuu Shahman, ex-commandant de la région centre, qui comprend la cité-État. Les forces de la ville ont longtemps été en première ligne contre Haftar, mais ses puissants milieux d’affaires sont désormais favorables à une solution négociée pour relancer une économie à l’agonie.

Les Frères musulmans bien servis à Tunis

Quant au Forum de dialogue politique libyen, qui a commencé à se réunir par visioconférence avant de démarrer ses travaux à Tunis le 9 novembre, il est déjà sous le feu des critiques. Ses 75 membres ont, d’avance, renoncé à tout futur poste politique. Mais les représentants de Cyrénaïque estiment que les Frères musulmans y sont surreprésentés. Des huit membres du PJC (Parti justice et construction) (dont Abderrazak al-Aradi et Nizar Kawan) à l’homme d’affaires Ibrahim Ali Dabaiba (épaulé par deux salariés de son groupe, Ahmed al-Sharkasi et Khalid Gleo), la confrérie est effectivement plutôt bien servie, à tel point que des représentants de l’Est menacent déjà de boycotter les débats.

Ankara et Moscou toujours sur le pied de guerre

Le retrait prévu des mercenaires étrangers sous trois mois tient aussi de la gageure. Le chef de l’État turc Recep Tayyip Erdogan n’a pas encore débuté la démobilisation des milliers de combattants syriens qu’il a expédiés en Libye, à l’exception de ceux qui ont été envoyés sur le front du Nagorno-Karabakh. De son côté, Vladimir Poutine n’est pas pressé d’ordonner le départ de Wagner – société officiellement privée, mais très liée au Kremlin – de Libye, du moins pas avant la libération de Maxim Shugaley et Samer Sueifan, détenus à Tripoli depuis mai 2019. Ces deux Russes, officiellement en mission de recherche, sont suspectés d’être des agents du renseignement. Le déploiement de Wagner autour de Tripoli aux côtés de l’ANL, à partir de 2019, avait d’ailleurs été en partie motivé par une volonté de les libérer manu militari. Wagner avait toutefois quitté dès septembre le port pétrolier d’Es Sider et a quitté le 24 octobre ceux de Sidra et Ras Lanuf. Ses forces seraient désormais concentrées dans le sud du pays.

Tchadanthropus-tribune avec la Lettre du Continent

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