Depuis une dizaine de jours, la présidence tchadienne s’inquiète de la situation chez son voisin libyen où les revers des troupes du général Haftar risquent de laisser sans emploi plusieurs centaines de combattants hostiles au pouvoir de N’Djamena.

Les déboires militaires du général Khalifa Haftar en Libye font trembler Idriss Déby. L’Agence nationale de sécurité (ANS) et le premier cercle du président sont sur le qui-vive, alors que des départs sporadiques de combattants tchadiens participant aux combats en Tripolitaine ont été signalés depuis une vingtaine de jours.

Repliés par centaines dans le Fezzan

Enrôlés dès 2011 dans les forces de Mouammar Kadhafi pour tenter de mater l’insurrection, plusieurs centaines de combattants sont restés engagés dans le conflit libyen, soit auprès des forces du gouvernement d’union nationale (GUN) de Tripoli, soit auprès de l’Armée nationale libyenne (ANL) du général Haftar. Au moins un demi-millier de ces troupes d’appoint ont pris part à l’offensive lancée en avril 2019 par Haftar pour tenter de s’emparer de la capitale libyenne. Mais les défaites successives de l’ANL, et notamment la perte le 18 mai de la très stratégique base militaire de Watiya dans le nord du pays, puis de l’aéroport international de Tripoli quelques jours plus tard, ont provoqué le reflux de plusieurs dizaines de combattants tchadiens vers le Fezzan, à quelques kilomètres de la frontière entre la Libye et le Tchad.

Le FACT et le CCMSR dans le collimateur

Si le pouvoir s’inquiète, c’est que parmi ces combattants démobilisés figurent des hommes du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) repliés depuis quelques semaines dans les reliefs montagneux de Jabal as Sawda’. Ce groupe est commandé par Mahamat Mahdi Ali, ancien cadre de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) de Mahamat Nouri et farouche opposant au président tchadien. En Libye, le FACT a été tout d’abord enrôlé au côté de la Troisième force misratie (hostile à Haftar) et avait même essuyé les bombardements de l’ANL dans le Fezzan début 2017.

Les sympathisants du Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), qui dispose d’une base arrière dans le Fezzan, inquiètent aussi Idriss Déby. Plusieurs combattants de ce groupe, né en 2016 d’une scission au sein du FACT, ont pris part aux combats aux côtés des forces gouvernementales de Tripoli. Près de 400 d’entre eux avaient ainsi opéré sous le commandement du chef Zintan Oussama al-Jouili, commandant militaire du GUN pour la région ouest. Mais ces derniers se plaignent de ne pas percevoir leur solde depuis plusieurs jours et pourraient aussi déserter. Ils ne sont payés que lorsqu’ils combattent. Or les opérations militaires en Tripolitaine ont largement cessé. Une partie de ces combattants est d’ores et déjà installée au sud de la ville de Sehba.

En février 2019, le CCMSR, dont le secrétaire général Mahamat Hassan Boulmaye a été condamné en juin 2019 par la Cour d’appel de N’Djamena à la prison à vie, avait activement pris part à la colonne armée qui avançait vers la capitale tchadienne avant d’être stoppée net par les frappes des Mirage 2000 français de l’opération Barkhane. Pour mener son incursion depuis le sud libyen, le CCMSR avait à l’époque trouvé comme allié de circonstance l’Union des forces de la résistance (UFR) de Timane Erdimi. Neveu d’Idriss Déby entré en dissidence, ce dernier joue un rôle très actif dans le Fezzan. Exilé au Qatar, il avait notamment poussé les combattants tchadiens à participer aux offensives pour reprendre le croissant pétrolier, aux mains de l’ANL en juin 2018.

Alliance de circonstances

Si Idriss Déby a pris ses distances avec Khalifa Haftar depuis l’offensive sur Tripoli en 2019, les deux hommes ont longtemps fait front commun. Le président avait à l’époque trouvé en Haftar un précieux allié pour l’aider à traquer les groupes de rebelles repliés dans le Sud libyen. L’homme fort de la Cyrénaïque avait même attaqué les bases arrière de l’UFR dans la région, notamment à Umm Al Aranib, à 120 km de Sebha. Une zone sous son contrôle depuis le mois de janvier 2019, mais sur laquelle l’ANL peine à conserver la mainmise.

Une excursion de combattants tchadiens de l’autre côté de la frontière libyenne serait une véritable catastrophe pour Idriss Déby, alors même que la diplomatie française a déjà informé N’Djamena qu’elle ne pourrait intervenir comme elle l’avait fait en février 2019. Mais les combattants pourraient d’ici là retrouver un second souffle auprès des Egyptiens souhaitant former des forces pour contrer toute avancée en Cyrénaïque de la Turquie, qui soutient Tripoli.

Tchadanthropus-tribune avec la lettre du Continent

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