Le fils du général Khalifa Haftar, Belkacem Haftar, joue les missi-dominici à Paris où il a rencontré les premiers lieutenants du clan rival d’Abdelhamid Dabaiba. Révélations sur des pourparlers secrets.

Dans la capitale française, le clan du général Khalifa Haftar mène de secrètes négociations avec le camp rival du premier ministre Abdelhamid Dabaiba. L’homme fort de l’Est, allié au premier ministre élu par la Chambre des représentants de Tobrouk, Fathi Bachagha, a confié cette mission à son fils Belkacem Haftar. Sherpa diplomatique du général, Belkacem Haftar a multiplié depuis la mi-mars de discrets va-et-vient en jet privé à Paris où il séjourne par ailleurs très régulièrement.

Cherche terrain d’entente

Belkacem Haftar s’échine à convaincre l’entourage proche d’Abdelhamid Dabaiba de pousser ce dernier à quitter la primature. Elu en mars 2021 dans le cadre du Libyan Political Dialogue Forum (LPDF) organisé sous les auspices des Nations unies, Abdelhamid Dabaiba refuse de céder la place à Fathi Bachagha. Plusieurs rencontres ont ainsi eu lieu à Paris. Belkacem Haftar s’est entretenu le 25 mars lors d’un discret tête-à-tête avec le plus proche conseiller d’Abdelhamid Dabaiba, Ibrahim Dabaiba. Occupant cette fonction de manière officieuse, ce dernier est le pilier du clan familial qui orbite autour du premier ministre. Ibrahim Dabaiba est le fils du cousin d’Abdelhamid Dabaiba, Ali Ibrahim Dabaiba, un puissant homme d’affaires, originaire de la cité-Etat, aux multiples casquettes : ex-patron de l’Organization for the Development of Administrative Centers (ODAC) et ancien maire de Misrata.

Cinq jours avant cette entrevue, Belkacem Haftar avait également rencontré le 20 mars à Paris une autre pointure du gouvernement, la ministre des affaires étrangères libyenne, Najla al-Mangoush. Un ralliement de cette dernière serait considérable pour Fathi Bachagha. Juriste de formation, Najla al-Mangoush s’est aussi imposée comme une figure de poids du gouvernement de Dabaiba à l’étranger. Si la cheffe de la diplomatie offre aussi l’avantage d’être originaire de l’Est, comme le clan Haftar, les concordances s’arrêtent là. Avec Najla al-Mangoush comme avec Ibrahim Dabaiba – dont elle est une intime –, les discussions entreprises par Belkacem Haftar sont restées au point mort. Mais d’autres rencontres sont toutefois prévues dans les prochaines semaines, toujours dans la capitale française.

Si les relations entre les deux clans sont des plus tendues, ils avaient déjà tenté de trouver un terrain d’entente en novembre dernier. Belkacem Haftar et l’équipe d’Abdelhamid Dabaiba avaient alors pris langue à Abou Dhabi en amont de l’organisation de l’élection prévue en décembre. L’objectif était de trouver un compromis en cas de report. Mai sans succès (AI du 17/11/21).

Faire basculer Ankara

En parallèle des échanges menés à Paris, le clan Haftar a ouvert un canal de discussions avec la Turquie, principal soutien du gouvernement d’Abdelhamid Dabaiba. Le 22 mars, le chef du renseignement turc, Hakan Fidan, s’est ainsi entretenu avec des représentants de Fathi Bachagha, emmenés par l’ex-numéro deux du Conseil présidentiel, Ahmed Miitig (AI du 25/03/22).

Ankara est déjà en position de force en Libye sur tous les plans. Le président Recep Tayyip Erdogan a renforcé la coopération économique et dispose d’un ancrage militaire stratégique. Or, sans le soutien turc, Fathi Bachagha ne peut espérer entrer dans la capitale, tandis que leurs soldats restent déployés dans les bases militaires à Tripoli et Misrata.

Essoufflement de Bachagha

De plus, le premier ministre de Tobrouk s’est engagé à s’installer à Tripoli sans violence. Cette promesse est primordiale pour deux raisons : il ne peut pas renouveler le fiasco de l’offensive manquée sur la capitale du général Khalifa Haftar en février 2019 et il doit éviter de se mettre à dos la communauté internationale, soucieuse de ne pas voir éclater un nouveau conflit armé – et plus encore de ne pas perturber la production pétrolière et gazière libyenne, devenue vitale avec le début de la guerre Russie-Ukraine le 24 février.

Sans compter que son ancrage milicien est plus faible sur le terrain que celui de son adversaire. Abdelhamid Dabaiba a encore récemment renforcé ses liens avec la puissante milice Ghneiwa d’Abdelghani al-Kikli, commandant également le Stability Support Apparatus (SSA), regroupant différentes katibas. Celui-ci s’est d’ailleurs violemment affronté le 5 avril à Tripoli avec la milice Nawasi, qui penche pour Bachagha.

Haftar dans ses petits souliers

Le général et son entourage familial ont aussi leurs propres raisons pour reprendre langue avec Abdelhamid Dabaiba. Au sein de l’alliance qu’il a nouée avec Fathi Bachagha, la position de Khalifa Haftar a été rendue très précaire par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Jusque-là prêts à fermer les yeux sur le soutien russe dont il bénéficiait, en particulier le déploiement des mercenaires de Wagner en soutien à son Armée nationale libyenne (ANL), les Etats-Unis et les Européens considèrent désormais le départ de cette force comme prioritaire. Or les hommes de Wagner restent indispensables à l’ANL, tout comme les avions de combats russes stationnés à Jufra. Par ailleurs, le conflit ukrainien a fait passer au second plan les vives tensions entre la Turquie et plusieurs autres membres de l’OTAN, dont la France.

Africa intelligence

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