Maintes fois différées, les élections générales censées clore une interminable phase de transition et doter le pays d’un gouvernement légitime et unifié sont prévues à la fin de l’année. JA vous présente les candidats phares de la présidentielle du 24 décembre… sous réserve qu’elle se tienne.

Maintes fois annoncée puis repoussée, l’élection présidentielle libyenne censée doter le pays d’une direction à la fois légale et légitime était annoncée pour la fin de l’année. Que ce rendez-vous électoral se tienne à la date prévue ou soient repoussé, il demeure crucial pour l’avenir de la Libye. Et constitue un enjeu géopolitique majeur aux yeux des puissances internationales.

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En 2018, la France avait pesé de tout son poids pour l’organisation des élections avant la fin de l’année. Mais les affrontements entre milices dans la capitale ruineront les espoirs d’Emmanuel Macron. Et le report sine die du scrutin servira de prétexte à l’offensive de Khalifa Haftar sur Tripoli à partir d’avril 2019.

Près de trois ans et une nouvelle guerre civile plus tard, rebelote. À ceci près que le paysage a considérablement changé avec l’arrivée massive de combattants étrangers et l’implication croissante dans le dossier libyen de la Turquie et de la Russie. Lesquelles se satisfont du statu quo et ne sont pas pressées de voir émerger un pouvoir suffisamment fort pour exiger le départ de leurs troupes supplétives.

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Si d’aventure l’élection n’avait pas lieu pour une raison ou une autre – regain de violence, rejet de la loi électorale, campagne impossible –, toutes les options, et surtout les plus périlleuses, seraient ouvertes, de la prolongation du mandat d’un président et d’un gouvernement dont la seule raison d’être était l’organisation des élections… à la reprise du conflit armé. Sans oublier que, même en cas de maintien du scrutin, rien ne garantit que le résultat soit accepté par les perdants.

À ce jour, six personnalités – sur plus d’une trentaine de candidats – se détachent dans la course à la présidence.

Seïf el-Islam, de père en fils

C’est à l’évidence la grande star du scrutin. Après dix ans d’éclipse politique, le fils de Mouammar Kadhafi a déposé, le 14 novembre, sa candidature dans un centre électoral de Sebha, dans le Sud, où il compte de nombreux soutiens.

Il n’en fallait pas plus pour que la Kadhafie se mette en branle : de Sebha à Tobrouk en passant par Baní Walid et Syrte, les partisans des « Verts » ont fêté l’annonce de l’entrée en lice de leur champion à grand renfort de coups de feu et de klaxon.

Le cousin de Mouammar, Mohammed Kadhafi al-Dam, exilé au Caire et qui a pourtant été le rouage principal du ralliement de nombre de kadhafistes à Khalifa Haftar, a immédiatement apporté son soutien à Seïf el-Islam.

Reste que son patronyme et les dix années d’instabilité qui ont suivi la mort de son père constituent les principaux, sinon les seuls arguments de campagne de Seïf el-Islam, dont le programme se résume peu ou prou à une forme de restauration douce.

La longue absence de Seïf el-Islam de la scène politique équivaut à une virginité retrouvée aux yeux de certains Libyens – un sondage le crédite même de 57 % d’opinions favorables dans l’une des trois grandes régions du pays. Exclu de la course à la présidence le 24 novembre en vertu de son statut juridique, il a finalement vu sa candidature validée par la Cour de justice de Sebha.

Si le fils du « Guide » entend a priori respecter le principe de l’élection, beaucoup s’interrogent sur la réalité de ses nouvelles convictions démocratiques. « Ce qui s’est passé en Libye [en 2011] n’était pas une révolution. Vous pouvez parler de guerre civile, ou de jours sombres », a-t-il ainsi analysé dans une interview au New York Times en juillet 2021. On est loin d’une prise de distance avec l’héritage paternel.

Béchir Saleh, la surprise

La candidature de l’ex-directeur de cabinet de Kadhafi, Béchir Saleh, a-t-elle aussi été annulée, avant d’être finalement validée par la Cour de justice de Sebha. D’aucuns ont vu dans son retour en Libye, qui a coïncidé avec l’annonce de la candidature de Seïf el-Islam, un signe de ralliement au fils du « Guide ». En réalité, Béchir Saleh nourrissait aussi des ambitions présidentielles, ce dont il ne s’est jamais caché, notamment dans une interview à JA en 2017.

Exfiltré en France en 2011, contraint ensuite de quitter le pays pour le Niger, puis l’Afrique du Sud et enfin les Émirats arabes unis, l’ex-argentier de Kadhafi a eu le temps de méditer son come-back.

Désormais très lié à Abou Dhabi, qui a probablement financé son retour en Libye, Béchir Saleh a cependant peu de chances de l’emporter. Pour les observateurs, l’objectif de sa candidature est ailleurs : se positionner en vue des législatives et rogner l’électorat de Seïf el-Islam pour favoriser la candidature de Haftar, soutenu par les Émirats arabes unis. Comment dit-on « coup de billard à trois bandes » en darija libyenne ?

Fathi Bachagha, légitimité révolutionnaire

Son étoile a pâli depuis la défaite de sa liste en février 2021, mais il demeure l’un des poids lourds de la scène politique libyenne. Lunettes carrées, rasé de près, Fathi Bachagha est un interlocuteur apprécié des chancelleries occidentales, qui le jugent compétent et sérieux.

Il se positionne comme la principale figure opposée à la fois aux kadhafistes et à Haftar

L’ex-ministre de l’Intérieur, qui a admis dans les colonnes de JA « entretenir de très bonnes relations avec la France », se positionne comme la principale figure opposée à la fois aux kadhafistes et à Haftar, ce qui lui a valu, par le passé, des frictions avec Paris, accusé de soutenir le maréchal pendant son offensive contre Tripoli.

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Doté d’une forte légitimité révolutionnaire, le Misrati a probablement payé son pragmatisme lors du vote de février en s’associant à Aguila Saleh, le président de la Chambre des représentants de Tobrouk (lui aussi candidat à la présidentielle), très impopulaire à l’Ouest.

« Il se veut le représentant du peuple du 17 février [date anniversaire de la révolution de 2011], explique Anas el-Gomati, spécialiste de la Libye. Il a de plus développé un style technocratique et s’est entouré d’une jeune garde brillante constituée de démocrates convaincus. »

Problème : Abdulhamid Dabaiba, le Premier ministre, veut lui aussi incarner un front anti-autoritaire et se pose d’ores et déjà comme son principal rival, dans un style toutefois plus populiste.

Aref Ali Nayed, l’anti-Frères

Parmi les candidats, Aref Ali Nayed fait figure de coureur de fond. Le diplomate vise la fonction suprême depuis des années. Déjà candidat en 2018, il se pose cette fois en réconciliateur. L’ex-ambassadeur de Libye aux Émirats arabes unis, basé à Abou Dhabi, fait valoir ses origines et son parcours entrecroisé entre l’Est et l’Ouest.

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Né à Benghazi, ce professeur de théologie islamique et de philosophie a enseigné à Tripoli. Il s’appuie également sur le réseau qu’il s’est constitué à travers son think tank Libya Institute for Advanced Studies (LIAS) et son institut Kalam Research & Media (KRM) pour rayonner à l’étranger.

Un temps proche de Khalifa Haftar, Aref Ali Nayed a depuis pris ses distances avec le maréchal. Il partage avec ce dernier un rejet des Frères musulmans, avec lesquels il refuse catégoriquement de travailler dans quelque coalition que ce soit. Aref Ali Nayed pilote le mouvement Ihya Libya, fondé en 2017.

Khalifa Haftar, l’homme de l’Est

Le maréchal Haftar a troqué son uniforme contre un costume cravate pour annoncer sa candidature le 16 novembre, sans grande surprise. Le militaire de 77 ans est resté plutôt discret depuis qu’il a remis les commandes de son Armée nationale libyenne (ANL), le 23 septembre, à son bras droit, le général Abdelrazzak el-Nadhouri, comme l’exige la loi électorale pour pouvoir concourir à la présidentielle du 24 décembre.

En avril 2019, Khalifa Haftar avait lancé une offensive militaire contre Tripoli pour prendre le pouvoir, qu’il estimait confisqué par les milices « terroristes ». Chantre de la lutte contre les groupes islamistes, il peut se prévaloir d’avoir expulsé les groupes jihadistes des villes de Benghazi (en 2017) et de Derna (en 2018).

IL A MIS SUR PIED L’AUTORITÉ MILITAIRE D’INVESTISSEMENT, QUI CHAPERONNE LES GRANDS CONTRATS ÉCONOMIQUES DE LA RÉGION

Si Khalifa Haftar est abhorré à l’Ouest, le militaire règne toujours sans partage à l’Est, où il a mis sur pied l’Autorité militaire d’investissement, qui chaperonne les grands contrats économiques de la région.

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De plus, Haftar conserve toujours le contrôle du Croissant pétrolier dans l’Est et maintient une présence dans le Fezzan, où se trouvent les principaux champs de pétrole.

Il dispose aussi à l’étranger d’alliés de taille : les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Russie, dont les hommes de la firme paramilitaire Wagner opèrent toujours sur le terrain.

En cas de défaite, Khalifa Haftar compte reprendre les rênes de l’ANL, bien que celle-ci est vouée à disparaître après les élections dans le cadre de la réunification de l’armée libyenne.

Abdulhamid Dabaiba, la star montante

Il a officiellement déposé sa candidature à la présidentielle le 21 novembre. Malgré les recours dont elle a également fait l’objet, elle a finalement été validée par la Cour d’appel de Tripoli le 1er décembre.

En cause, la loi électorale, adoptée en octobre par le Parlement, qui fixe les critères d’éligibilité, dont l’obligation pour les candidats occupant des postes gouvernementaux et militaires de démissionner trois mois avant le scrutin.

Quoi qu’il en soit, Abdulhamid Dabaiba n’a jamais fait mystère de ses ambitions, et il n’a pas manqué de soigner son image à Tripoli, où ses mesures sociales l’ont rendu très populaire.

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Soutenu par la Turquie, il s’est imposé à l’étranger. Il a ainsi coprésidé, aux côtés du président Mohamed el-Menfi, la Conférence internationale sur la Libye, le 12 novembre, à Paris. Il y était accompagné par les membres de son clan : son gendre Ahmed el-Sharkasi, son beau-frère Ahmed Mustafa Omar el-Karami et son cousin Ibrahim Ali Dabaiba.

Originaire de Misurata, dont il est l’un des puissants hommes d’affaires, Abdulhamid Dabaiba fut le président de la société étatique Lidco sous le règne de Kadhafi. Son autre atout reste sa proximité avec le grand argentier du pays, Sedik el-Kabir. Le gouverneur de la Banque centrale libyenne (BCL) de Tripoli, qui réceptionne les recettes pétrolières, restant le premier « distributeur » du pays.

Jeune Afrique

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