En butte aux avancées sur le terrain des forces du gouvernement d’union nationale et aux coupures des lignes de ravitaillement des alliés de l’Armée nationale libyenne, le général Haftar pourrait faire face à des retournements d’alliance. L’homme fort de l’Est joue la carte politique pour gagner du temps.

L’homme fort de l’Est Khalifa Haftar. ©Reuters Marketplace – Reuters Pictures Archive
Les forces du gouvernement d’union nationale (GUN) ont repris la main sur le front tripolitain depuis le 25 avril, inversant le rapport de force sur le terrain. Elles déploient notamment leur nouvelle stratégie offensive au sud de la capitale. Les affrontements se cristallisent autour de Tarhouna, ville contrôlée par l’Armée nationale libyenne (ANL) à 80 kilomètres au sud-est de Tripoli. Les forces pro-gouvernementales y mènent une campagne d’asphyxie de la zone. Principal objectif : couper les lignes de ravitaillement des forces de Khalifa Haftar, selon nos sources. Lancer une offensive sur Tarhouna serait plus ardu : le terrain est jalonné de collines, offrant peu de marges de manœuvre pour mener un assaut. Et, historiquement pro-Kadhafi, Tarhouna représente un vivier de fervents soutiens à Khalifa Haftar.

Misrata veut rallier les Ourfella

Le GUN mène aussi une opération d’asphyxie économique de Bani Walid. La ville a maintenu une neutralité de façade, bien qu’elle ait mis son aéroport au service de l’ANL, comme le rapportait Africa Intelligence du 11/07/19. Or, historiquement alimentée par Misrata, Bani Walid peine à se ravitailler, faisant face à d’importantes pénuries alimentaires et de carburant. Cette situation explique l’ouverture d’un canal de discussions par le maire de Bani Walid, Salem Alaywan, avec les représentants de la cité-Etat. Accompagné du cheikh Mohamed Barghouti, le maire a mené une délégation pour négocier l’aide auprès de Misrata, le 18 avril. La présence de Mohamed Barghouti, représentant du conseil social des Ourfella, plus grande tribu libyenne, est symbolique. Ce dernier avait multiplié les signes de soutien envers Khalifa Haftar. Mais le ravitaillement de la ville devra se payer au prix fort : Misrata négocie un soutien au GUN en monnaie d’échange.

Haftar menacé d’une sécession zintan à Watiya

Les forces pro-gouvernementales font aussi pression sur la base militaire de Watiya, située en territoire zintan, tribu divisée entre pro-GUN et partisans de Khalifa Haftar et contrôlée par l’ANL. Malgré l’échec cuisant de l’offensive lancée le 4 mai pour prendre Watiya, Haftar pourrait craindre une mutinerie de ses propres troupes. Les combattants sur la base sont majoritairement Zintan. Or ces derniers, selon nos sources, avaient entamé des discussions avec le Zintan Oussama al-Jouili, commandant des opérations militaires du GUN pour l’Ouest libyen.
La stratégie militaire du GUN est mise en musique par les Turcs, véritables game changers sur le terrain. Selon les sources d’Africa Intelligence, près de 1 000 Turcs seraient présents en Libye. Ankara, qui fabrique lui-même ses drones, ne lésine pas dans l’envoi de ses Bayraktar TB-2 malgré les pertes enregistrées depuis son implication en janvier à Tripoli. La Turquie mobilise aussi des combattants syriens, estimés à plusieurs milliers, aux côtés des forces pro-gouvernementales.
De son côté, malgré les livraisons de véhicules de défense anti-aérienne Pantsir-S1 de son allié émirati, Khalifa Haftar a perdu son atout majeur dans le conflit : le contrôle des airs. La puissance de sa force aérienne a été mise à mal par les équipements de défense anti-aérienne et les frégates déployés par les Turcs.

Le coup de poker politique d’Haftar

Face à ces revers, le général Haftar veut reprendre la main sur le plan politique. En annonçant le 27 avril avoir « un mandat populaire pour diriger le pays », le général compte se positionner en interlocuteur unique vis-à-vis du peuple et de la communauté étrangère. Sa volonté de mettre fin à l’accord de Skhirat, signé en 2015 sous l’égide des Nations unies, lui permettrait aussi de jouer la montre : l’action onusienne est réduite à peau de chagrin puisqu’elle peine à remplacer le chef de sa mission en Libye (UNSMIL), Ghassan Salamé, qui a démissionné le 3 mars.

Selon nos sources, cette stratégie, appuyée par les Emirats, n’a pas été coordonnée avec les autres soutiens de Khalifa Haftar, Le Caire et Moscou. Et le général Haftar navigue à vue quant à son plan de création de nouvelles institutions et d’un gouvernement. Ces annonces ont provoqué des tensions avec le président de la Chambre des représentants, Aguila Salah Issa, qui compte préserver son siège à la tête de la seule institution élue du pays. Il avait proposé le 23 avril son propre plan de sortie de crise recommandant la création d’un nouveau Conseil présidentiel réduit. Mais ce programme s’avère ardu à mettre en œuvre : Aguila Salah Issa ne dispose pas de la majorité parlementaire pour le faire voter.

Tchadanthropus-tribune avec la lettre du Continent.

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