Le rival d’Abdülhamid Dabaiba – qui reste le Premier ministre reconnu par la communauté internationale – a publié une tribune sur le site du journal britannique où il s’en prend à la Russie. Avant de rétropédaler. Explications.

La tribune de Fathi Bachagha dans le Times, une fake news ? « La Libye veut se tenir aux côtés de la Grande-Bretagne contre l’agression russe », titrait-il dans sa diatribe à l’égard de la Russie, publiée sur le site du journal britannique, le 3 mai. Le Premier ministre du parlement de Tobrouk n’a pas mâché ses mots à l’égard de Vladimir Poutine.

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Établissant un parallèle entre l’Ukraine et la Libye, il y condamnait le président Poutine pour son implication dans l’arrivée « de milliers de mercenaires de Wagner […] dans [son] pays, laissant derrière eux un sillage de destruction ». Fathi Bachagha y demandait « le soutien de la Grande-Bretagne », expliquant : « Si vous voulez qu’un partenaire en Afrique repousse la Russie, alors mon gouvernement est prêt à travailler avec vous. » Ces mots ont rapidement eu une forte résonance en Libye et à l’étranger.

Double jeu

Mais l’offensive médiatique de Fathi Bachagha, se présentant comme un rempart face à Wagner, n’aura tenu que quelques heures. Le lendemain, il a assuré sur son compte Twitter ne pas être l’auteur du texte, avant de demander au Times d’enquêter sur cette affaire, pour éviter de publier des « fakes news ».

CONTACTÉ PAR JEUNE AFRIQUE, LE PORTE-PAROLE DU TIMES AFFIRME QUE LE JOURNAL « MAINTIENT LA PUBLICATION DE L’ARTICLE »

Ce revirement n’est pourtant pas assumé. De son côté, la rédaction du Times est formelle. Contacté par Jeune Afrique, son porte-parole affirme que le journal britannique « maintient la publication de l’article », et explique que « le staff de Fathi Bachagha a confirmé qu’il est exact ».

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Mais l’équipe de communication du Premier ministre continue de jouer sur les deux tableaux. Elle ne confirme pas que Fathi Bachagha soit l’auteur du texte, bien qu’elle rappelle à demi-mot que la position vis-à-vis de la Russie affichée dans la tribune reste celle du Premier ministre. Et en même temps, elle présume que le Premier ministre a également pu se faire hacker son compte Twitter. Pourtant, trois jours après, le tweet n’a toujours pas été supprimé du compte de Fathi Bachagha et aucun nouveau commentaire n’a été fait à ce sujet.

Opération séduction avortée 

Selon plusieurs observateurs, Fathi Bachagha a dû rétropédaler après des pressions exercées par le clan de Khalifa Haftar, son ex-ennemi, devenu son allié. L’imbroglio résume l’étau dans lequel est pris le Premier ministre de Tobrouk, la Russie étant l’un des parrains du général Haftar.

Moscou appuie le maréchal dans l’est du pays via la société paramilitaire russe Wagner. Grâce à ces mercenaires, celui-ci peut notamment maintenir ses positions dans le stratégique croissant pétrolier et assurer sa sécurité. C’est notamment Wagner qui a bloqué la contre-offensive des forces du Gouvernement d’accord national (GNA) contre Haftar à l’été 2020, empêchant un effondrement probable des forces du maréchal.

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Mais à l’étranger, la connexion moscovite de Fathi Bachagha est moins acceptable depuis l’invasion de la Russie en Ukraine. Par cette tribune, le Premier ministre de Tobrouk pouvait espérer satisfaire les attentes de Washington et de la communauté internationale. Or cette tentative avortée de prendre du champ à l’Ouest illustre les marges de manœuvre restreintes du Premier ministre face à un allié incommodant.

Jeune Afrique

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