Africa Intelligence a pu consulter le rapport d’audit des États membres critiquant sans détour les procédures de recrutement des cabinets de Moussa Faki et Monique Nsanzabaganwa, le président et de la vice-présidente de la Commission de l’UA.
Le bureau de la directrice des ressources humaines de la Commission de l’Union africaine (UA), la Congolaise Nadège Tandu, et celui de la vice-présidente de la Commission chargée notamment des procédures de recrutement, la Rwandaise Monique Nsanzabaganwa, avaient jusqu’au 19 janvier pour apporter leurs réponses au rapport finalisé le 12 janvier par l’Audit Operations Committee de l’institution panafricaine, auquel Africa Intelligence a eu accès.
Aujourd’hui composé d’auditeurs fonctionnaires de l’Égypte (présidence du groupe), de l’Angola, de l’Eswatini, de la Tanzanie, de l’Algérie, du Nigeria, de la Guinée équatoriale, du Maroc, de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique du Sud, l’Audit Operations Committee s’est penché, dans ce rapport intitulé « Audit findings relating to the audit of merit-based recruitment system of the African Union Commission for the period 2021/2023 », sur l’ensemble des recrutements de directeurs effectués entre 2021 et 2023.
Il épingle le cabinet du président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, et celui de sa vice-présidente, Monique Nsanzabaganwa, pour de multiples irrégularités vis-à-vis du Merit Based Recruitment System (MBRS), ce dispositif censé supprimer les biais de recrutement, imposé dans le cadre de la réforme de l’UA impulsée en 2017 par le président rwandais Paul Kagame.
Dans ses réponses aux auditeurs, le cabinet de la vice-présidente fait valoir que toute nomination tient compte du mérite, des quotas (par région ou par genre), et que le président de la Commission peut choisir de nommer le candidat qu’il souhaite parmi les trois sélectionnés à l’issue du processus de recrutement.
Recours administratifs.
Sur 64 pages, le rapport souligne l’inefficacité de la politique de recrutement sur les trois dernières années : seuls 21 % des postes à pourvoir l’ont effectivement été. Le cabinet de la vice-présidente, qui s’en défend, explique que l’année 2021 a été bouleversée par le renouvellement de la Commission, mais que l’accélération des recrutements en 2022 et 2023 a permis de pourvoir 90 % des postes de directeurs et 70 % des postes de chefs de division. Par ailleurs, sept recrutements effectués sur la période 2021-2023 font l’objet de recours administratifs par des candidats non retenus. Six d’entre eux n’ont toujours pas été jugés, alors que certains ont été déposés dès 2022.
Le rapport égrène ce qu’il considère comme des irrégularités émaillant certains des recrutements les plus emblématiques. Il examine notamment le poste clé de directeur de la gouvernance et de la prévention des conflits, pour lequel 643 candidats se sont manifestés et seulement trois sur six des candidats ayant passé les entretiens ont été présélectionnés. Alors que le Nigérian Chukwuemeka Eze est arrivé premier au classement, c’est la Zimbabwéenne Patience Chiradza, en deuxième position, qui a finalement été recrutée après un rapport du cabinet de la vice-présidente, avec l’aval du bureau de Moussa Faki.
Pour justifier la sélection de Patience Chiradza, le panel de recrutement s’est appuyé sur des considérations régionales et de genre, un homme d’Afrique de l’Ouest (le Sierra-Léonais Sarjoh Bah) ayant déjà été recruté dans le même département. Aux membres de l’Audit Operations Committee, qui précisent que les recrutements doivent se faire selon le principe méritocratique, le cabinet de la vice-présidente rétorque que Moussa Faki et son équipe ont toute latitude pour faire leur choix parmi les trois noms proposés.

Argument spécieux

Même situation pour le poste de directeur de l’infrastructure et de l’énergie, pour lequel 373 candidatures ont été reçues et deux finalistes présélectionnés : l’impétrant le moins bien noté, le Tanzanien Kamugisha Kazaura (76,80/100), a été préféré au Marocain Ahmed Bennis (82,80/100). Selon les auditeurs, cette décision du bureau du président se révèle d’autant moins compréhensible que seuls quatre directeurs sont originaires d’Afrique du Nord, alors que neuf directeurs d’Afrique de l’Est, dont la Tanzanie fait partie, étaient en poste au moment du processus de sélection. Pour les auteurs du rapport, invoquer ici le souci d’équilibre géographique s’apparente, en l’espèce, à un argument spécieux.
Le processus de recrutement du directeur de la santé et des affaires humanitaires est, lui aussi, critiqué : après que trois candidatures avaient été transmises au département des ressources humaines – celles de Godfrey Musuka (Zimbabwe, 4,15/5), Jemal Mohammed Ali (Éthiopie, 3,88/5) et Julio Rakotonirina (Madagascar, 3,83/5) –, le candidat zimbabwéen, pourtant le mieux noté, a disparu de la liste envoyée au bureau de Moussa Faki, tandis qu’une autre candidate a été repêchée, la Burundaise Donavine Uwimana (3,79/5). C’est le Malgache, qui n’était pas le mieux noté, qui a finalement été recruté.
Les auditeurs s’interrogent par ailleurs sur trois autres recrutements : celui du directeur du Centre africain d’études et de recherche sur la migration, entre les mains du Sénégalais Ibrahim Amadou Dia ; du directeur du développement économique, de l’intégration régionale et du commerce, occupé par l’Algérien Djamel Ghrib ; et du directeur du protocole, confié au deuxième de la short list, le Soudanais Yousif Elkordofani.

Favoritisme

Quant au choix de la directrice des ressources humaines elle-même, qui s’est fixé sur Nadège Tandu (AI du 21/07/23), il est épinglé pour favoritisme par les auditeurs, qui considèrent que le candidat namibien Russel Mufaya a été écarté sans raison valable. Dans le cadre de la procédure de candidature, Nadège Tandu aurait en outre utilisé son passeport français comme justificatif et n’aurait pas communiqué toutes les pièces validant son expérience professionnelle. Sur ce dossier, un jugement du tribunal de l’UA est attendu dans les prochains jours.
Des critiques similaires sont portées au sujet du processus de recrutement du directeur de la santé, du secrétariat du centre de paix, du directeur du management des conflits, du directeur du management des conférences et des publications et du secrétaire de la Commission, pour lesquels les auditeurs émettent des réserves.
Enfin, le rapport conclut sur le sujet du recrutement du directeur général de la Commission. Ce nouveau poste, imposé par la réforme de Paul Kagame en vue de coordonner le travail entre les commissaires et les bureaux du président et de la vice-présidente, a été pourvu pour la première fois en 2022 avec l’arrivée de l’ambassadeur marocain Fathallah Sijilmassi.
Mais deux éléments sont relevés. D’une part, l’appel à candidatures n’avait été publié sur le site de l’UA qu’un mois auparavant seulement, au lieu des trois réglementaires. D’autre part, selon le rapport d’audit, Fathallah Sijilmassi s’était classé deuxième à l’issue du processus de recrutement, avec une note de 4,24/5, quand un autre candidat, malien, avait obtenu 4,35/5. Si le nom de ce dernier n’est pas spécifié, il s’agissait, selon nos sources, de Nana Oumou Touré.
Pour chacun de ces cas, le bureau de la vice-présidente invoque la totale liberté dont jouit Moussa Faki pour faire son choix parmi les trois candidats proposés, sans autre nécessité de justifier sa décision.

Africa intelligence

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