14 août 2024 #TCHAD #Niger : Comment Tiani accélère la mise en œuvre du pipeline Niger-Tchad
Tandis que ses relations diplomatiques se tendent avec le Bénin et engendrent des querelles pétrolières, le Niger a relancé un projet de pipeline vieux de plus d’une décennie. L’objectif est de raccorder les infrastructures pétrolières à celles établies entre le Tchad et le Cameroun. Coulisses
N’Djamena, plan B du pétrole nigérien ? Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, le bras de fer dans lequel sont engagés Niamey et Cotonou met à mal l’exploitation du gisement pétrolier d’Agadem. Long de 2000 kilomètres et construit par la China National Petroleum Corporation (CNPC), le pipeline entré en service en mai devait acheminer 90 000 bpj d’Agadem au port de Sèmè-Kpodji au Bénin. Mais la fermeture des frontières entre les deux pays, fait perdre gros au Niger qui a beaucoup misé sur ce projet qui, selon ses estimations, devait lui apporter une rente annuelle de 650 millions de dollars.
Face au blocage, Niamey se cherche donc une porte de sortie, et a décidé d’exhumer un autre projet de pipeline discuté dès 2012 entre le Niger et le Tchad. À l’époque, l’objectif était de construire un oléoduc reliant les gisements du sud-est du pays à l’ouest tchadien, et de mutualiser les connaissances et les informations entre les deux pays.
Un accord bilatéral a été signé au mois de septembre 2012 entre le ministre de l’Énergie et du Pétrole tchadien, Brahim Alkhalil Hileou, et son homologue nigérien Foumakoye Gado. En partenariat avec la CNPC, l’accord impliquait la construction, l’exploitation et le raccordement du pipeline. Mais jugé trop coûteux par la partie nigérienne et difficile à mettre en place – à cause de la distance géographique – Niamey a favorisé finalement l’option béninoise.
193 kilomètres à construire
La donne a changé aujourd’hui. À la demande des autorités nigériennes du général Abdourahamane Tiani, une délégation tchadienne de haut rang a été dépêchée à Niamey en juillet, afin de discuter de la relance du projet. Une visite de travail étendue du 10 au 13 juillet. La ministre des Mines et de la Géologie, Ndolenodji Alixe Naïmbaye, accompagnée du directeur général adjoint de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT), Djimram Golsinda Esrom, ont ainsi rencontré le ministre du Pétrole et de l’Énergie nigérien Mahaman Moustapha Barké et le directeur général de la Société nigérienne du Pétrole (SONIDEP). Le 13 juillet, la ministre tchadienne des Mines et de la Géologie était reçue par le Premier ministre nigérien Ali Lamine Zeine.
Si le projet aboutit, l’oléoduc pourrait relier les champs pétroliers d’Agadem, au Niger, au Cameroun, en passant par le Tchad, pour une longueur totale de 922 kilomètres. Un pipeline de quelque 193 kilomètres côté nigérien devrait alors être raccordé à celui déjà existant entre le Tchad et le Cameroun. Cinq scénarios, encore à l’étude, sont sur la table et doivent faire l’objet de discussions.
L’option privilégiée consisterait néanmoins à relier Agadem au port de Kribi en passant par le champ pétrolier de Sédigui au Tchad le long de la frontière sud Nigéro-tchadienne, puis, par la raffinerie de N’djamena et les sites tchadiens de Ronier et Kome, pour arriver dans le pipeline exploité par les sociétés Tchad Oil Transportation Company (Totco) et Cameroon Oil Transportation Company (Cotco) entre le Tchad et le Cameroun.
Cette option prévoit la construction d’un nouveau pipeline de 407 kilomètres de la frontière Nigéro-Tchadienne à la raffinerie de N’Djamena et d’un autre tronçon de 307 kilomètres de la raffinerie au champ de Ronier. Enfin, pour relier les champs pétroliers de Ronier à Komé, l’État tchadien s’engage également à construire un pipeline de 205 km.
Si rien n’indique que la CNPC, qui a investi 4 milliards de dollars dans le pipeline Niger-Bénin, va assurer les travaux de construction du tronçon Niger-Tchad, les autorités nigériennes qui souhaitent qu’Agadem devienne « un centre de contrôle et de veille » de ce projet, se sont engagés devant leurs homologues tchadiens, à engager des négociations avec les chinois.
Un investissement de 852 millions de dollars
Interrogé par Jeune Afrique au sujet de la relance de ce chantier de coopération, le Premier ministre tchadien, Allamaye Halina, affirme qu’il s’agit d’un « vieux projet ». « Initialement, ce pipeline devait passer par le Tchad, l’option béninoise a été retenue au dernier moment, explique le chef du gouvernement. Si aujourd’hui, le Niger décide souverainement de faire passer son pétrole par le Tchad, cela représente une opportunité significative de renforcer notre coopération bilatérale et régionale et de stimuler le développement économique réciproque ».
Pour l’heure, les deux pays en sont encore au stade des négociations. « Rien n’est acté, précise notre interlocuteur. Les discussions se déroulent sur le plan technique ». Mahamat Idriss Déby Itno et Abdourahamane Tiani devront ensuite s’entendre directement pour lancer officiellement le projet.
Estimé à plus de 852 millions de dollars (295 millions pour la construction au Niger, 557 millions au Tchad), le projet ouvrirait au brut nigérien une façade maritime, et donc une porte d’entrée sur le marché international auquel Niamey peine à accéder depuis le coup d’État qui a renversé Mohamed Bazoum, en juillet dernier. L’origine des financements du pipeline n’est pas mentionnée dans le document portant sur la rencontre, auquel Jeune Afrique a eu accès.
Selon nos informations, une rencontre ministérielle était également prévue avec les autorités camerounaises entre le 18 et le 23 juillet. Plusieurs réunions et échanges en visio-conférence doivent encore être planifiés dans les prochaines semaines afin de mener à bien le projet. Un comité technique est attendu le 31 août à N’Djamena pour valider et signer les documents définitifs.
Jeune Afrique