Il y a près de dix-huit mois, l’État cédait 60 % de la société cotonnière nationale au géant singapourien. Depuis, la nouvelle direction a apuré les dettes de l’entreprise et a mis fin à la sinistrose des producteurs.

Tongba Dadina Zoutenet, producteur de coton à Goigoudoum, dans le sud-ouest du pays, est enthousiaste. « Nous avions fini par penser que la filière allait mourir. Mais, avec l’arrivée d’Olam et le paiement de nos arriérés, nous avons retrouvé l’espoir. » Les champs de coton s’étendent à perte de vue le long de la route nationale menant de Pala à Léré, près de la frontière camerounaise.

Ces dernières années, la CotonTchad Société nouvelle (SN), ancien fleuron de l’économie nationale, battait de l’aile. Les surfaces consacrées à la culture du coton se sont raréfiées. La production de coton-graine a été divisée par six en deux ans, pour chuter à 17 000 tonnes récoltées lors de la campagne 2016-2017. Un drame pour la zone méridionale du pays, son « bassin cotonnier », où l’on estime à 4 millions le nombre de personnes vivant directement de la filière.

Bouffé d’oxygène

En avril 2018, l’État a ouvert le capital de la CotonTchad SN. Le géant singapourien Olam a racheté 60 % des parts de la société pour plus de 9 milliards de F CFA (près de 14 millions d’euros), l’État en a gardé 35 %, et 5 % ont été gracieusement cédés aux producteurs.

La cession de la majorité de ses parts à Olam a permis à l’État de renflouer ses caisses et, surtout, de solder le passif de l’entreprise, qui s’élevait à 35 milliards de F CFA au 31 décembre 2017. Cette privatisation, même partielle, pour un secteur si stratégique, a soulevé des inquiétudes, mais, compte tenu du déclin de la société et de la filière, elle a surtout suscité beaucoup d’espoir.

Le gouvernement a annulé les dettes fiscales et demandé à la nouvelle direction de financer les autres créances, qui seront converties en crédit d’impôts.

Résultat, à la fin de juillet 2019, 6,6 milliards de F CFA avaient déjà été versés par Olam dans le bassin cotonnier, en règlement des impayés qui étaient dus par l’État aux producteurs – y compris pour la campagne 2016-2017. Une bouffée d’oxygène, surtout à ce moment de l’année où les campagnes tchadiennes vivent une période de soudure, quand les réserves se tarissent alors qu’on attend toujours la prochaine récolte.LES PAYSANS ONT ATTENDU DEUX ANS AVANT D’ÊTRE RÉMUNÉRÉS

« La sinistrose ambiante a disparu. Avec ce qu’ils ont perçu, les paysans ont de quoi embaucher de la main-d’œuvre pour les travaux champêtres », témoigne le député Néatobeye Le-Nassenguengar, qui a dirigé une mission de sensibilisation pour inciter les agriculteurs à revenir à la culture du coton.

Rembourser des dettes

Un enthousiasme quelque peu tempéré cependant par Tongba Dadina Zoutenet, qui rappelle qu’une grande partie des versements a surtout permis de rembourser des dettes. « Les paysans ont attendu deux ans avant d’être rémunérés et ont été obligés de s’endetter pour faire face à leurs charges. Avec ces paiements, pour le moment, nous avons surtout comblé les trous, explique-t-il. Mais si Olam maintien la dynamique, l’économie locale va changer. »

L’« opération reconquête » engagée par Olam – reconquête des surfaces emblavées, mais aussi des producteurs, qui s’étaient massivement détournés de la filière – semble donc sur les bons rails. L’objectif immédiat est de faire redécoller la production à 180 000 t de coton-graines pour la campagne 2019-2020, avec près de 300 000 ha cultivés.

« Nous pensons remonter assez rapidement à une production annuelle de 300 000 t, au vu de l’engouement que montrent les paysans », estime Ibrahim Malloum, secrétaire général chargé de la commercialisation de la CotonTchad. Une motivation retrouvée d’autant mieux que la nouvelle direction de la société s’est engagée auprès des producteurs à mettre à leur disposition des semences et des engrais, au moment où ils en auront besoin, et à les payer désormais plus rapidement.

Le transport, un enjeu crucial

L’autre défi qui devra être relevé sans attendre est celui du transport de la production depuis les champs jusqu’aux usines. Cela fait des années que les pistes rurales ne sont pas entretenues et que l’ensablement et les nids-de-poule rendent certains villages inaccessibles aux véhicules pendant une partie de l’année.

Bien que l’entretien des routes relève de la responsabilité de l’État, l’entreprise envisage de réparer certains axes à ses frais, mais compte aussi sur les partenaires au développement pour lui donner un coup de pouce. « La Banque mondiale et l’Union européenne ont manifesté leur intérêt pour aider à la réparation de certaines pistes », confirme Ibrahim Malloum.

Enfin, dès la fin de la campagne en cours, la société espère pouvoir relancer son huilerie, dont elle avait suspendu les activités, le volume de coton-graine récolté étant devenu insuffisant. Pour rentabiliser l’huilerie, la CotonTchad entend aussi investir dans l’arachide. « Cela permettra par ailleurs aux paysans d’alterner les types de culture et de gagner en productivité », conclut Ibrahim Malloum.


Filières alternatives

Outre l’arachide, la CotonTchad envisage de développer la filière noix de cajou, des milliers de pieds d’anacardiers poussant déjà dans le bassin cotonnier, « dont on se contente de manger les fruits », relève un agronome. Mais l’intérêt pour la noix étant de plus en plus fort ces dernières années, les paysans s’organisent.

Sous l’impulsion d’un jeune entrepreneur, Mian-hingam Sauria, une coopérative des producteurs d’anacarde du Tchad, regroupant 370 exploitants, s’est constituée pour collecter les noix, qui sont ensuite expédiées au Cameroun et au Nigeria. Olam compte mettre en place une filière de collecte pour les exporter vers le Nigeria, où le groupe dispose d’unités industrielles pour le traitement des noix de cajou.

« Et nous n’excluons pas d’installer une usine au Tchad si la production devient importante », indique Ibrahim Malloum. De la même façon, le groupe singapourien devrait aussi s’intéresser dans le pays à l’essor de la filière sésame, dont il est le premier négociant au niveau mondial.

Tchadanthropus-tribune avec Jeune Afrique.com

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