TRIBUNE – Face à la mauvaise gestion du Covid-19, le directeur des droits de l’homme demande au Chef de l’État de prendre les choses en main au risque de voir la situation s’empirer.

À

Son Excellence Monsieur Idriss Déby Itno, Président de la République, Chef de l’État, Chef du Gouvernement

Objet : Lettre Ouverte

Excellence,

Pour la Première fois de ma vie, je prends ma plume pour m’adresser à vous. Comme on le dit souvent, à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. J’ai choisi cette forme épistolaire pour mieux vous atteindre parce que je sais que vous suivez les réseaux sociaux et les Services spéciaux aussi les suivent.

Avant toute chose, permettez-moi de vous souhaiter Ramadan Karim Moubarak. Je saisis cette occasion pour vous présenter mes sincères et franches gratitudes pour votre réussite lors de l’opération « Colère de Bohoma ». Comme tous les Tchadiens, j’étais particulièrement fier de notre armée, de nos soldats, et de vous, le Chef Suprême de cette armée. En tant qu’ancien journaliste de guerre, coordinateur du Collectif de Soutien aux Forces Armées Tchadiennes en Intervention au Mali (CS-FATIM) je sais évaluer le degré de votre implication et la qualité de votre commandement.

 

Merci Excellence !

Monsieur le Président de la République,
Vous vous en doutez que je ne vous écris pas seulement pour les remerciements. Non, bien sûr. Je vous écris aujourd’hui pour partager avec vous et avec nos compatriotes mes préoccupations par rapport à la riposte gouvernementale contre le Covid-19.

Excellence,

En tant que coordinateur de la Cellule de Communication de votre campagne de 2016 ( j’étais placé directement sous l’autorité de votre porte-parole Mahamat Hissène), je me considère entièrement comptable de votre réussite comme de votre échec. C’est pour cette raison que je vous écris aujourd’hui en tant que citoyen, mais aussi en tant que cadre du parti au pouvoir.

Excellence,

Ce midi, je me suis rendu à la morgue de l’Hôpital Général de Référence Nationale (HGRN). J’étais allé constater de visu ce qui se passe là-bas (reflexe de journaliste). Ce que j’ai vu m’a complétement bouleversé. D’abord, avant de me décider d’y aller, j’étais alerté par un concitoyen dont la famille était obligée d’aller à l’hôpital la Renaissance pour chercher une équipe spécialisée pour la désinfection des corps des personnes mortes de Covid-19. l’Hôpital Général de Référence Nationale, le plus grand hôpital du Tchad, dirigé par un Professeur de rang magistral, Vice-Président de la Cellule scientifique de lutte contre le Covid-19, ne dispose pas d’une telle équipe. J’étais abasourdi par cette découverte. Ensuite, l’unique équipe logée à l’hôpital de la Renaissance n’a pas un véhicule de déplacement. A quoi servent les dizaines (pour ne pas dire les centaines) d’ambulances achetées et livrées pompeusement ? J’aimerais bien que les autorités sanitaires nous répondent. J’espère aussi que la désinfection ne soit pas payante, vu que c’est la famille même qui fait déplacer l’équipe.

Le plus choquant pour moi se situe au niveau de la manipulation des corps. Après l’opération de désinfection, un gendarme en faction fait appelle à cinq membres de la famille du défunt ou défunte pour venir porter le corps dans le cercueil et l’amener à la maison ou au cimetière.

Les personnes désignées pour porter les corps ne sont pas protégées. Certaines d’entre elles portent des « masques » qui, en réalité, ne sont que des cache-yeux. Une fois le corps mis dans le cercueil et fermé, celui-ci est remis à la famille comme d’habitude pour être entouré des membres de famille sans aucune protection et emmené au cimetière ou à la maison selon les cas.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Ce que je ne vous ai pas dit, jusque-là, c’est que les corps de ces personnes ont mis plusieurs jours à la morgue en dehors des casiers frigorifiques. Ainsi, ces corps sont en début de décomposition. Sans être un spécialiste de la santé, je peux affirmer qu’un corps qui se décompose laisse couler des liquides qui sont potentiellement (un euphémisme) infectieux. Encore que, je suis convaincu que la désinfection n’est pas faite à l’intérieur du corps. D’ailleurs, à la télévision, on voit que les personnes qui manipulent ces corps sont habillées comme si elles marchaient sur la lune. En plus, les cercueils fabriqués en face du Camp GMIP ne sont absolument pas étanches. Vous imaginez donc le risque auquel tous les gens qui entourent le cercueil sont exposés ? Pour les Musulmans, ce corps est exposé devant un parterre de personnes pour une prière funèbre, sans cercueil, et les gens manipulent le corps à mains nues. Ensuite, ces personnes saluent toute l’assistance pour la présentation de condoléances.

Excellence monsieur le Président,

Je voudrais, pour finir, vous demander de vérifier par vous-même la situation à Farcha. Il semblerait que les appareils d’oxygénation ne fonctionnent pas. La capacité d’accueil est déjà arrivée dans sa phase critique. A l’hôpital de la Renaissance, il n’y aurait plus de place en réanimation.

Le péril est dans notre maison. On doit tous retrousser les manches pour faire face à cela. Je ne veux pas vous demander de venir en première ligne comme pour la lutte contre Boko Haram, mais je veux que vous donniez des orientations claires, précises et nettes à des cadres honnêtes, loyaux et dévoués pour mener ce combat qui risque de nous faire beaucoup plus mal que Boko-Haram.

Il faut aussi attirer l’attention des Forces de Défense et de Sécurité, qui sont pour l’heure assez laxistes, dans la répression des violations des consignes des autorités sanitaires. Il faut aussi les doter d’un arsenal juridique clair, avec des sanctions précises pour ne pas faire dans l’arbitraire.

Je m’excuse d’avoir été long et d’avoir enfreint les règles administratives du parti et de l’administration pour m’adresser directement à vous, l’urgence sanitaire oblige.

Votre dévoué

N’Djaména, le 30 Avril 2020

Abdel-Nasser Mahamat Ali Garboa
Directeur des Droits de l’Homme,
Membre du Conseil National du Salut,
Ancien Journaliste/Reporter de Guerre,
Citoyen engagé dans la lutte contre le COVID-19

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