J’ai longtemps hésité avant d’adresser cette missive à mes chers compatriotes jeunes de la communauté Zaghawa (aidés par leurs valets de service), dont une majorité, défends l’idée que la dénonciation du caractère ethnique des structures du pouvoir MPS relève d’une haine de leur communauté, une communauté qui représente au bas mot 1 % des Tchadiens.

Toutefois, il y a une nécessité absolue de clore ce débat et de mettre les points sur les « i » pour aider, ceux qui veulent et/ou qui peuvent comprendre, la nature de la nouvelle lutte citoyenne que nous menons, avec beaucoup de camarades et qui est partagé, je le dirais sans prétention, par la majorité des Tchadiens.

Vivant dans une bulle, vous ne ressentez pas les cris du pays profond et de sa jeunesse. Ceux qui vous font miroiter le vivre ensemble par hypocrisie ne vous aident pas, ils vous enfoncent. Le Tchad, notre pays en commun, en 2020 c’est cela : 80 % de pauvres, une jeunesse frappée par le chômage de masse, une économie du pays mis en coupe réglée par le pouvoir au service de votre communauté pour se maintenir au pouvoir : les marchés publics, les régies financières, l’essentiel de l’armée, de la police et des administrations chargés de récolter les différentes redevances.

Le pétrole de Doba a été une grande occasion manquée et a conduit à l’endettement criminel de l’État, c’est notre génération qui payera ces conneries. À la misère du bas peuple, cela ajoute de la frustration aux élites et à la jeunesse éduquée, dont les meilleurs sont poussés à l’exil. Aujourd’hui 80 % des jeunes qui peuvent avoir l’opportunité de quitter le pays, le feront à la première occasion.

Est-ce que la majorité de ceux qui dénoncent cette impasse, qui risque de conduire à la guerre civile, a de la haine ? Je ne me ridiculiserais pas à apporter des réponses, parce que cela ne servira à rien. Mais de la frustration, de l’amertume, de la misère et une violence terrible cette gouvernance le créé et l’entretien. Vos provocations et votre sectarisme vulgaire et tribal ajoutent de la colère et développent toute sorte de clichés, certains je l’avoue fausses et contreproductives surtout dans la construction de ce Tchad tant espéré. Prenez le temps, sans réaction spontanée et sectaire, de prendre le véritable pouls du pays et d’essayer de comprendre ce que pensent les Tchadiens quand ils ne peuvent s’exprimer tout haut. Personne ne vous dénie l’attachement à votre communauté, ça serait malhonnête.

Malgré l’urbanisation et les brassages, le Tchad reste un pays conservateur, rural, pieux et où l’appartenance à l’ethnie une idée dominante chez beaucoup d’entre nous : Sara, Kanembou, Toubou, Arabe ou Hadjaraï, on est tous d’abord enfant de nos communautés.

À titre d’exemple, je suis, sans ethnocentrisme, autant attaché que vous à ma communauté. Mon schéma mental est façonné par ma petite enfance de berger au nord Kanem. Je suis venu en ville à six ans pour être scolarisé. Je codirige Toubou Média, Ga-Média, une dizaine de groupes de réflexions moins formels. Mon admiration pour Habré est sans borne même si je soutiens ceux qui réclament de la lumière sur sa gouvernance. Je suis attaché au BET et au grand Kanem, à ses peuples, à son histoire. Je me sens plus proche de Baradine Berdeï, frère du BET, qu’un autre compatriote de Kobé. Je suis sensible à la souffrance de ma communauté qu’elle soit libyenne ou nigérienne et inquiète de son devenir.

J’ai soutenu et je soutiendrais toutes les rébellions armées actuelles ou à venir. J’ai mis en place la stratégie de communication stratégique du Comité d’Auto-Défense de Miski jusqu’à imposer le vocabulaire à la presse nationale et internationale et avec ses dirigeants le travail de lobbying auprès des services secrets et institutions occidentales. Et je le ferais demain si c’était à refaire.

J’assume TOUT, à 29 ans, il est trop tard de faire des calculs et regretter ses choix. Ma scolarité dans les écoles catholiques de Sarh, de Moundou et évangéliques de Kelo m’a permis de connaitre et apprécier mes autres compatriotes. Enfant de la capitale, je suis N’Djamenois pur jus, un « Djiddo » qui a vécu les brassages. Mes années d’étudiant en Algérie et en France m’ont donné la chance de rencontrer d’autres compatriotes qui m’ont aidé à voir mon pays autrement et forgé la nécessité de se battre ensemble.

Mais contrairement à l’idéologie que vous défendez (nous contre les autres), est-ce que notre logique de lutte se fera au détriment de nos compatriotes ? Non. Est-ce par patriotisme ? Non. Tout simplement par bon sens. Aucune communauté, aussi puissante, et unit soit-elle ne pourra, après Deby, s’imposer à ce peuple qui a retenu dans le sang les leçons de l’Histoire. Les Tchadiens sont éduqués, les villes se sont agrandies, la culture politique et citoyenne s’est développée. Je crois passionnément qu’une communauté de destin permettra de trouver les médiations nécessaires à la construction inéluctable de la nation tchadienne. Ce beau pays ne mérite pas d’être un butin de guerre pour une seule ethnie. Le Tchad, du BET au sud tropical en passant par le lac Tchad au Ouaddaï Géographique et le grand Guéra est riche, grand et il y a des opportunités pour tout le monde. Et la majorité des jeunes Tchadiens engagés sont dans mon cas.

Gardez pour une fois vos idées arrêtées et je vous mets au défi de trouver, je dis bien trouver, deux jeunes Tchadiens engagés qui contrediront ce texte. Vous comprendrez que vous ratez le train de l’Histoire en vous faisant berner par des individus farfelus.

Enfin, préférez le terrain du débat d’idée, les petites menaces, les chantages et les attaques fantaisistes sont d’abord ridicules et alimentent ensuite un sentiment de haine, non pas dans le milieu de la lutte citoyenne, mais dans leur soutien et leur communauté. Croyez-le, ceux qui ont de la haine ne s’expriment pas et ceux qui ont des « agendas cachés » ne le feront jamais savoir. Les gens n’ont plus peur, croyez-moi, rien ne fera flancher désormais la jeunesse tchadienne engagée.

Avez-vous vu il y a 15 ans, des jeunes tchadiens engagés ? Aujourd’hui, ils sont des milliers. Pour 100 messages d’attaques et de menaces, nous recevons de milliers de messages de sympathies et de soutiens. Sortez de votre carcan et ensemble construisons le Tchad nouveau. Le régime Kadhafi et celui de Saddam Hissein se sont effondrés après 40 ans de règne sans partage. Deby partira avant son quarantième anniversaire, mais nous serons là, incha Allah avec vous, à faire l’inventaire et à essayer partir sur de nouvelles bases.

Un autre Tchad est possible, nécessaire. Mais cela se fera en nous disant la vérité. Aucune nation ne s’est bâtie sur le mensonge. 

Charfadine Galmaye Salimi,

Bordeaux, le 04 juin 2020

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