La Haute autorité des médias et de l’audiovisuelle (HAMA) et la presse privée sont à couteaux tirés. Le conflit porte sur la qualité de qui est journaliste et qui ne l’est pas. Le président de la Hama a ses critères propres. Selon lui, il doit assainir la profession. La HAMA et les journalistes iront-ils jusqu’au bout de la logique intellectuelle ?

Pour débarrasser le milieu de la presse des « indésirables » qui sont, toujours selon le patron de la Hama, une menace pour la profession, il faut que la HAMA pousse plus loin son raisonnement. Les responsables des organes de presse publique sont des instituteurs, des officiers de l’armée et même de simple plantons qui ont été propulsés directeurs des stations régionales. La presse tchadienne est au creux de la vague.

La multiplication des titres indépendants pose problème à l’organe de régulation qui voudrait contrôler tous ces titres comme le faisait les états totalitaires au siècle dernier. Le ton, les lignes éditoriales et l’indépendance de plusieurs organes mettent en difficulté le régulateur. D’où cette volonté de la Hama de revenir à l’époque de la voix unique, du ton monocorde et de la ligne édulcorée.

Un débat qui va emporter ou la Hama ou emporter la liberté d’expression. Il faut le reconnaître, la querelle a le mérite de placer au cœur du débat la question de l’indépendance de la presse et de la qualité du contenu de la presse tchadienne. Les élections pointent à l’horizon et celui qui contrôle le débat public et l’information est sûr de manipuler aussi bien les masses que le résultat des urnes. La presse indépendante a tendance à crier sur les toits les trucages et les détournements des votes. M. Dieudonné Djonabaye en sait quelque chose.

La presse et la vie démocratique au Tchad

En trente ans de vie « démocratique », il est tout à l’honneur de la Hama de chercher à recadrer la presse qui est le baromètre de la démocratie. Mais la démarche que l’organe de régulation a empruntée renforce la résistance des journalistes qui dénoncent un règlement de compte et une sorte de crucifixion pour faire plaisir à des commanditaires politiques qui considèrent la presse comme leur bête noire.

La presse tchadienne a fait ses preuves. Tout particulièrement la presse privée qui a impulsé la démocratie en prenant activement part au processus de démocratisation du pays. Sans la presse privée qui a véritablement éclos au début des années 90, le régime MPS aurait été considéré comme le régime défunt de Hissein Habré. Les dérives et les excès ont été décriés par la presse privée pendant que la presse publique tressait des lauriers aux dirigeants despotes qui n’ont jamais évolué.

Glorieuse époque que celle-là où les journalistes de la presse privée étaient traqués comme des criminels par la police politique. Les journaux comme Contact aujourd’hui disparu, N’Djaména Hebdo, La Vérité qui a aussi disparu et d’autres encore ont obligé le nouveau pouvoir à refreiner ses ardeurs et à se « civiliser ». Ce ne sont pas les politiciens qui ont obliger le pouvoir MPS à accepter la liberté d’expression et à libéraliser les médias. Ce sont les journalistes qui étaient à l’avant-garde de la bataille pour la démocratie. Il est curieux que ce soit l’un de ses pionniers de la presse libre que veuille enterrer cette difficile conquête. Le canard boiteux de la presse tchadienne est sans nul doute la presse publique qui n’a jamais cherché à s’émanciper de la tutelle administrative de l’Etat pour être au service de l’information des citoyens.

La nécessité de la professionnalisation de la presse tchadienne

La professionnalisation de la presse tchadienne est une nécessité impérieuse. Le bon sens voudrait que ceux dont la principale mission est d’informer soient formés aux techniques de la communication et de l’information. Il est généralement admis que le bon sens est la chose la plus répandue. Ce qui nous amène à dire que la Hama devrait faire preuve de ce même bon sens dans l’administration de la presse et d’éviter de montrer sa volonté affichée de faire des exemples par une posture qui n’est ni pédagogique ni dans ses prérogatives.

Car il faut le dire pour le déplorer, la querelle entre la Hama et la presse tchadienne est une querelle sans fondement. La presse tchadienne est en ce moment au creux de la vague. Les tenants de l’orthodoxie sont des journalistes des organes publics qui ont été formés pour revenir travailler pour le compte de celui qui les a formés. On comprend leur frustration quand ils lisent ou écoutent des inepties proférées par quelques personnes sans qualité qui se prévalent du titre qu’ils ont trimé pour obtenir.

Les tenants de l’orthodoxie ont eux-mêmes laissé le champ libre et comme la nature a horreur du vide, ceux qui croient que la liberté d’expression n’appartient pas seulement aux politiciens ont occupé le terrain. L’opinion publique tchadienne n’était plus la préoccupation des fonctionnaires journalistes professionnels qui ont cessé d’informer sans concession. Les journalistes non professionnels ont comblé le vide en informant, dénonçant et éduquant la population sur ses droits et ses devoirs.

La HAMA sait que le baromètre de la liberté de la presse n’est pas établi à partir des médias publics. C’est pourquoi, au lieu de faire un drame d’une simple question de responsabilité sociale, la HAMA devrait considérer les bénéfices que la presse privée représente pour l’encrage de la démocratie plutôt que la vanité des titres académiques qui n’ont que le mérite de procurer de l’argent à son détenteur qui ne sert pas véritablement l’opinion publique.

La plupart des fonctionnaires journalistes professionnels qui, après la formation en journalisme, ont signé un contrat de travail avec l’Etat sont aujourd’hui des spécialistes des portraits du chef de l’Etat et des comptes rendus des activités gouvernementales. Ils sont confinés à des tâches de propagande et de diffusion d’informations qui ne reflètent que le point de vue de leur employeur.

Ils ne peuvent pas critiquer ou dénoncer leur employeur au risque d’être considéré comme des ennemis de l’Etat. Leurs carrières administratives sont tributaires de leur hiérarchie qui leur ordonne d’exécuter sans rechigner des missions qui peuvent parfois porter atteinte à la déontologie et ils ne peuvent invoquer la clause de conscience. Les journalistes fonctionnaires ont depuis longtemps investis le champ politique pour devenir des directeurs et des ministres. Le président de la Hama en est le parfait exemple. Mahamat Hissein, qui est aujourd’hui un fervent militant du parti au pouvoir, est l’un des trois journalistes formés qui ont exercé comme journaliste indépendant. Si l’on n’y prend garde, la presse tchadienne va disparaître, emportée par des querelles intestines entretenues par des considérations d’intérêts politiques plutôt que par le rayonnement de la profession. Il faut trouver une voie intermédiaire pour rendre son rayonnement à la presse tchadienne sans jeter aux rébus 30 années de sacrifices et d’exploits dont le régime se vante à l’étranger.

Ceux qui ont osé ont-ils mal informé l’opinion publique ?

En dehors de Mahamat Hissein qui a créé le journal Le Progrès, de Saleh Kebzabo qui a créé N’Djaména Hebdo et de Koumbo Singa Gali qui a créé L’Observateur, tous ceux qui sont revenus au Tchad avec un diplôme en journalisme ont intégré la fonction publique où ils avaient la garantie d’un salaire permanent. La presse privée ou le journalisme indépendant est tellement risqué que ceux qui défendent bec et ongles la profession ont refusé de s’y aventurer.

Les titres dont fourmille la presse tchadienne sont majoritairement l’œuvre de courageux entrepreneurs, on peut les appeler des pionniers, qui ont bravé la misère de la presse, surtout de la presse privée pour informer contradictoirement les tchadiens. Le débat public ne serait pas ce qu’il est sans ces organes créés par ces personnes qui sont taxées par la Hama d’usurpateurs de titre.

Retirez tous ces titres qui sont florilèges du paysage médiatique tchadien et vous n’entendrez plus que les reportages sur les voyages du chef de l’Etat et de son épouse que diffusent d’une voix monocorde les fonctionnaires journalistes professionnels de la radio et de la télévision nationale. Interdisez tous les journaux privés et vous ne lirez plus que les articles élogieux sur le régime qui sont publiés par l’Agence tchadienne de presse.

Plutôt que de décrier la presse privée et les journalistes qui travaillent dans ces organes privés au prétexte qu’ils ne sont pas des journalistes formés, la Hama serait bien inspirée de les encourager à rechercher des formations pour leur personnel afin de doter le paysage médiatique tchadien d’organes d’informations bien outillés et à la tonalité variée. Il est important que la Hama s’intéresse à la question de la professionnalisation de la presse tchadienne. Mais cela ne doit pas prendre le pas sur la liberté d’expression, le droit à l’information et à la liberté de diffuser les idées par voie de presse.

Le modèle que la Hama tente de mettre en place est celui que l’éducation nationale pratique dans la gouvernance des écoles privées. Le fondateur d’une école a l’obligation de confier la direction pédagogique de l’école à un professionnel de l’éducation nationale. Tant que le programme éducatif est conforme et garantie par le professionnel, le fondateur peut confier les tâches administratives comme la comptabilité et les finances à d’autres spécialistes pour assurer à l’établissement scolaire un fonctionnement et une bonne gouvernance.

Tout le monde est d’accord que la presse tchadienne doit connaître une seconde régénération. La démocratie tchadienne a 30 ans et la presse indépendante à le même âge. Le temps est venu pour la presse de prendre de la hauteur et se débarrasser de l’amateurisme pour informer les tchadiens sur les véritables enjeux de la société moderne qui se construit lentement, patiemment mais certainement.

Autant la presse publique au service de la propagande politique doit être débarrassé de ces journalistes formés qui ont embrassé ce métier pour gagner leur pitance, autant la presse privée doit accepter de se conformer au devoir de faire appel à des professionnels et d’exiger que toute personne qui exprime le désir de devenir journaliste soit former en techniques de journalisme.

M. EWEN

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