L’ethnie devrait être comprise comme une source de richesse culturelle et non un refuge pour s’octroyer des faveurs indues.

Plus un pays se développe, moins sa population deviendrait attachée à la fibre ethnique. C’est la logique de la vie. Plus un pays se développe, plus ses sociétés évolueraient vers un meilleur niveau de vie et donc leurs besoins deviendraient de plus en plus croissants et exigeants. L’individualisme prendrait ainsi de plus en plus de l’importance à tel point que les individus auraient du mal à répondre convenablement ou du moins comme à l’accoutumée à l’appel du communautarisme. Les besoins nouveaux des réalités nouvelles qu’ils vivent les préoccuperaient plus que toutes autres considérations même d’ordre communautaire. Dans cette quête permanente de la satisfaction personnelle, de nouvelles alliances se constitueraient, se déferaient ou se recréeraient à la faveur des circonstances qui s’imposeraient. La pression des besoins du moment laisserait peu de marge au désir d’accomplir le devoir vis-à-vis de sa communauté notamment une participation assez régulière aux activités sociales de celle-ci. Outre la communauté, les anciennes connaissances en subiraient le même sort. Par exemple rendre visite ou répondre régulièrement aux invitations des anciens amis pour des activités sociales deviendraient de moins en moins prioritaires. La priorité serait plus dictée, malgré tout, par la force de la nouvelle réalité qui est la recherche de la satisfaction personnelle. Même si chacun tenterait d’afficher un attachement apparent à la fibre communautaire, personne ne pourrait se soustraire à cette exigence du temps nouveau. Celle de se préoccuper d’abord du bien-être de sa petite famille ou de sa propre personne. Prêcher le contraire friserait l’hypocrisie et la malhonnêteté. Cette nouvelle donne pourrait pour autant ne pas se traduire par une rupture brutale et totale avec les anciennes habitudes. Même si le cœur pourrait continuer à battre et se vouloir attentif à l’appel de la communauté ethnique ou des anciennes connaissances, plus on avance dans le dédale du développement de notre pays, la nostalgie du passé s’estomperait d’elle-même. Et de nouvelles réalités surgiraient et viendraient prendre place dans nos cœurs de manière à effriter encore davantage les résidus des anciennes habitudes chères à la communauté ethnique ou aux anciens amis. Néanmoins quelques membres de la communauté ou de l’ancienne connaissance pourraient survivre à cette épreuve d’un temps nouveau. Par exemple, seraient probablement démarqués et appelés dans le nouveau cercle restreint d’amis, les heureux élus de la communauté ou de l’ancienne connaissance qui réussiraient à s’adapter au nouveau contexte et continueraient à partager un intérêt commun avec l’individu en question.

Cette logique nous conduirait à insinuer que l’ethnie ou l’ancienne connaissance aurait moins pesé lorsqu’il s’agit d’effectuer un choix rationnel devant la demande des nouveaux besoins de sa propre personne ou de sa petite famille. Autrement dit ni l’amitié ni l’ethnie ne serait suffisamment et nécessairement un salut sur le long terme. Beaucoup d’entre nous avions entendu parler ou étions souvent témoins des cas d’individus ayant tourné le dos à leurs anciens amis ou des personnes socialement bien nanties mais ne portant aucune attention aux misères parfois de leurs parents les plus proches. De ce point de vue, placer toute sa confiance à un être humain susceptible de changer de sentiment ne pourrait être une garantie à long terme. Le salut pourrait se trouver dans l’Etat, puisque celui-ci n’a pas de sentiment pour changer.   

Suivant notre logique, nous voyons que la quête pour les besoins « nouveaux » préoccuperait l’individu plus que toute autre considération. Il se verrait plus occuper à chercher à satisfaire ses besoins « nouveaux » que de répondre de manière régulière à l’exigence du communautarisme.

De ce qui précède, on voit que le communautarisme et l’ethnisme résisteraient difficilement à la réalité d’un pays émergent où l’individu serait sous la pression constante des besoins nouveaux à satisfaire.

Inversement, l’attachement à la communauté ethnique pour ne pas dire le repli identitaire pourrait fournir des ingrédients « empoisonnés » susceptibles d’hypothéquer notre marche vers l’émergence, puisque ces ingrédients « empoisonnés » pourraient affaiblir les institutions étatiques. L’une des expressions qui rendraient le mieux ces ingrédients « empoisonnés » est la complaisance ou le népotisme. Accorder une faveur indue relavant d’un bien commun à un proche parent qui n’a pas qualité d’en jouir est un exemple de la manifestation d’un attachement à la communauté au détriment de la république. Or, la réussite matérielle d’un proche aurait moins de chance de faire des émules positives sur l’ensemble des membres de l’ethnie encore moins du clan. Par contre, le développement du pays a plus de chance d’avoir une incidence positive sur la vie de tout le monde. La réussite personnelle étant du domaine du privé, le bénéficiaire peut ne pas le distribuer à tous les membres de la communauté. Par contre si le bénéficiaire était le Tchad, les dividendes se répercuteraient sur tout le monde, car il s’agit ici de la réussite d’un pays qui est la « chose commune » à tout le monde.

De ce point de vue, notre salut se trouverait davantage dans la réussite de la « chose commune » que dans la gloire d’un individu, fut-il un proche. Nous aurions ainsi tous intérêt à jouer notre partition, chacun dans son coin, afin d’apporter le support nécessaire à notre pays à réussir son développement. Ce support suppose que chacun pose l’acte rationnel au profit du pays au lieu de se laisser guider par des considérations ethniques ou communautaires. Il est souhaitable que cet acte rationnel se manifesterait à tous les niveaux en commençant par le recrutement ; parce qu’il s’agit ici de confier la gestion de notre « chose commune »  à quelque niveau que ce soit, à de mains sûres et expertes. A qui appartiennent ces mains devrait peu nous importer. L’essentiel serait qu’elles soient retenues sur la base de leur compétence et leur intégrité et non sur des considérations ethniques ou communautaires. En agissant de la sorte, chacun de nous serait non seulement en train d’exercer sa copropriété sur ce bien commun mais aussi participer à parfaire ce bien pour son propre intérêt. Les retombées d’un Tchad développé toucheraient tous les citoyens indépendamment de leurs sensibilités sociales. Chacun aurait plus intérêt à veiller au grain à la prospérité de la « chose commune » et décourager tous les facteurs susceptibles de constituer une entorse au développement de celle-ci.

L’une des raisons qui encourageraient le communautarisme ou l’ethnisme dans la société serait la faiblesse des institutions étatiques. Dès lors que l’individu commence à ne plus avoir foi en des institutions publiques, il chercherait refuge auprès de la communauté ou de son ethnie. L’autre raison plausible serait la carence des messages (en matière de vivre-ensemble) dans les différentes structures de socialisation de nos concitoyens. Au lieu de promouvoir le vivre-ensemble entre les concitoyens, nos échanges dans nos lieux de socialisations tendent à valoriser le communautarisme et l’ethnisme à outrance de la société.

Nous aborderons ces deux aspects au cours de nos prochaines publications.

Moustapha Abakar Malloumi

Ecrivain

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