Excellence, Monsieur le Président de la République,

Votre Message à la Nation, à l’occasion du Nouvel An, a été porté aux quatre coins et recoins du Tchad grâce aux médias. Vous avez dit que « l’année 2021 s’annonce sous le signe des élections » et que ces « prochaines opérations sont importantes et nécessitent la pleine implication de tous les citoyens et de tous les acteurs concernés ». Ce qui est rassurant. Mais la réalité dans l’espace médiatique démontre le contraire. Les médias privés sont en danger et évoluent sous une menace sans cesse permanente de la part des responsables de la Haute Autorité des Media et de l’Audiovisuel (HAMA) qui, avec l’allure des consommateurs de la viande de brousse, ne sont favorables qu’aux journalistes qui savent tresser les lauriers à Sa Majesté.

Maréchal du Tchad, en 2020, la liberté de la presse a été mise à rude épreuve avec la fermeture de douze (12) journaux et la mise en demeure gratuite de plusieurs autres titres. Le président de la HAMA, Dieudonné Djonabaye informe que leurs directeurs de publication n’ont pas de diplômes requis pour diriger des journaux. Il justifie sa décision par la non-conformité des responsables de ces médias privés à la nouvelle loi adoptée en 2018.  Cette loi qui tient en joue les journalistes du secteur privé, mentionnes-en son article 17 que « tout organe ou périodique doit avoir un Directeur de publication et un Rédacteur en chef, tous deux formés en journalisme avec Bac+3 au moins ». Ce qui est contraire à la définition même du journalisme. En réalité, en dehors de la compétence, aucun critère de qualification ou de diplôme n’est défini pour diriger un organe de presse. Nous ne refusons pas de nous soumettre à la loi de la République, mais nous disons que même si la HAMA cherche à appliquer à tout prix cette loi liberticide, elle devrait au moins respecter le principe universel de la non-rétroactivité de la loi. La loi dispose pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif. Mais contre toute attente, Dieudonné Djonabaye et sa bande s’insurgent contre certains directeurs de publication et promoteurs des entreprises de médias privés. Leurs menaces s’apparentent à des règlements de compte ; puisqu’elles ne tiennent pas compte des impératifs de durée et d’expérience. En effet, certains d’entre ces directeurs de publication visés pratiquent le journalisme depuis une vingtaine d’années ! A partir de leurs expériences de terrain, ils ont encadré et formé de nombreux jeunes diplômés en journalisme qui atterrissent dans les rédactions pour des stages. C’est une loi non écrite connue de tous en journalisme.

« Le journalisme suppose la formation continue »

Maréchal Idriss Déby Itno, pour être précis au sujet du statut du journaliste, il est universellement reconnu que : « est journaliste professionnel, toute personne qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée dans une entreprise de presse ». Au Tchad, la Carte d’identité du journaliste professionnel (décret n°00299 du 18 mars 2020) est délivrée autant à ceux qui détiennent un diplôme d’une école de journalisme qu’aux détenteurs de diplômes de l’enseignement supérieur ayant au moins deux (2) ans d’expériences dans un organe de presse. Aussi, il est reconnu, à travers le monde, qu’en dehors des diplômés des écoles de journalisme, des formations continues sont dispensées aux journalistes en activité, quel que soit leur statut. Au Tchad, le GRET (Groupe de recherche et d’échanges technologiques) et d’autres institutions ont toujours organisé des formations en faveur des hommes des médias. Les responsables des médias privés ont suivi différentes formations dans le but d’acquérir ou de perfectionner leurs techniques pour exercer le métier de journaliste. Ce qui constitue déjà un plus. Compte tenu de cet état des lieux, il ne devrait plus se poser le problème de formation. Voilà pourquoi, il est légitime de se demander : pourquoi Dieudonné Djonabaye s’acharne-t-il sur les hommes de médias, et plus précisément les patrons de la presse privée ? Celui-ci tente de justifier ses décisions par les recommandations des États généraux de la communication du Tchad de 2009. Ce qui n’est pas vrai. Car les Actes de cette grande messe des hommes des médias sont consignés dans un document disponible dans nos bibliothèques.

« La HAMA, Dieudonné Djonabaye et le virus de la censure »

Voilà pourquoi, Excellence Monsieur le Président de la République, nous nous permettons de mettre à votre connaissance la portée politique de ces décisions injustes dont les entrepreneurs de la presse privée sont victimes. Depuis bientôt une année, à la précarité des médias, s’est ajoutée la pandémie de la covid-19 qui a frappé de manière vertigineuse l’économie des médias privés. Il n’était pas indiqué en ce temps de la pandémie que la HAMA secoue la presse de cette façon. Qu’il nous soit permis aussi de relever qu’en cette période où le Tchad se prépare aux échéances électorales, nous craignons que les décisions de la HAMA aient des impacts négatifs sur le processus de paix (en cours), cher à Votre Excellence. « Le vivre-ensemble et l’harmonie communautaire » dont vous faites allusion dans votre Message à la Nation, ne seront que de vains mots tant que Dieudonné Djonabaye et sa bande sont toujours aux commandes. Car les victimes de cette campagne contre la presse privée sauront créer, dans les jours à venir, de nouvelles voies pour se faire entendre dans l’espace public. Innocent Ebodé, un journaliste Camerounais qui connait bien le Tchad décrit cette situation de manière précise : « Bientôt, les salles de rédaction seront elles aussi vides. Les journalistes seront contraints d’aller explorer d’autres horizons moins stressants pour gagner leur pitance ».

« Le bâillonnement de la presse, un mal pour le processus démocratique »

Monsieur le Président de la République, depuis 1990, vous aviez toujours voulu l’épanouissement des médias à travers la floraison de titres ; une réalité qui manifeste la liberté d’expression et d’opinion au pays de Toumaï. Sans ce pluralisme, Dieudonné Djonabaye n’aurait pas eu l’espace pour exercer comme journaliste au Tchad. Les médias privés dans leur ensemble, ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel, contraignant les citoyens, les agents de l’État et d’autres administrateurs à respecter les normes sociétales. Autant, ils jouent un rôle dans la gouvernance d’entreprise, autant ils sont utiles pour le processus de la démocratisation de la vie publique au Tchad. Mais la menace qui pèse actuellement sur la presse privée risque d’écorner l’image de notre pays sur le plan international. Votre Excellence ne devrait pas accepter une telle situation, vous qui considérez depuis toujours la presse comme un important levier du processus démocratique. Sous le régime de Hissène Habré, l’usage intensif des médias a permis d’atteindre le summum de la pensée unique et du lavage de cerveaux. Aucune voix discordante ne pouvait se permettre d’interférer dans la gestion de la chose publique.

Depuis 1990, la liberté de presse n’a pas été fondamentalement remise en cause, même si, les journalistes Tchadiens ont connu des vicissitudes dans l’exercice de leur métier. Il a fallu la nomination en 2017 de Dieudonné Djonabaye à la tête du Haut Conseil de la Communication (actuel HAMA) pour que votre discours programme du 04 décembre 1990 soit remis en cause. A l’aube de la présidentielle, l’épée de Damoclès pèse sur de nombreux titres de la presse privée. Pourtant, il est connu de tous : on ne peut accompagner le pays vers l’unité, la réconciliation nationale et dans la consolidation du processus de démocratie sans l’implication de tous. La chasse aux hommes des médias qui ont joué un rôle d’avant-garde dans la naissance et l’épanouissement d’une presse plurielle constituera un obstacle de plus pour l’épanouissement de notre espace médiatique.

« Campagne de musèlement de la presse, une menace à la paix sociale »

A l’heure actuelle, la HAMA est devenue un chien hargneux à l’égard des journalistes tchadiens de la presse privée. On se demande, si M. Dieudonné Djonabaye aura le pouvoir de recruter des Directeurs de publication pour nos journaux, lui qui s’arroge la décision de limoger les responsables de la presse écrite ?

La campagne de musèlement lancée par le président de la HAMA vient saboter le développement du secteur des médias et remet en cause les efforts des partenaires au développement qui appuient les médias tchadiens à travers la formation continue.

Comment le Tchad peut-il œuvrer et aspirer à l’intégration sous régionale sans la participation d’une presse libre et plurielle ? Comment pourra-t-on écarter les menaces sur la paix sociale, lever les entraves à l’unité nationale sans les médias privés ? Comment véhiculer les valeurs qui vous sont chères telles que la paix et la sécurité, le développement durable, l’intégration sous régionale, la bonne gouvernance, la démocratie, les droits de l’homme, etc. Maréchal du Tchad, vous êtes le premier Chef d’État du Tchad à avoir inauguré l’heure du pluralisme, marqué au début des années 1990 par l’avènement des journaux privés. Lisez “Radioscopie des médias’’ d’Abdoulaye Ngardiguina, Directeur de la communication à la Présidence de la République pour apprécier la valeur de la pluralité de la presse au Tchad. Mais, ces acquis sont déstructurés ou mieux, exposés à un « suicide collectif ». Et ce sont des centaines de jeunes qui seront exposés au chômage, rejoignant des milliers d’autres qui tournent les pouces à longueur de journée sous les arbres. Sans oublier ceux qui se transforment en zaraguina pour déposséder nos concitoyens de leurs engins et biens.

« La presse suffoque sous les coûts d’impression prohibitifs ! »

Malgré la faiblesse économique de nos organes de presse privés, nous offrons la possibilité d’exercer aux jeunes diplômés sans emploi. Ce qui fait comprendre à un certain nombre d’entre eux que la Fonction publique n’est pas la seule issue pour une insertion sociale. Il ne reste qu’à les encourager pour une bonne pratique professionnelle en soutenant l’effort de nos médias pour qu’ils deviennent de véritables entreprises de presse. Il faudrait, plutôt, exiger aux Directeurs des journaux privés d’être responsables vis-à-vis du public et non leur exiger des diplômes de licence en journalisme. Cette loi taillée sur mesure n’a pas d’autres finalités que de tuer dans l’œuf nos médias privés qui sont déjà affaiblis par la crise financière et la maladie à coronavirus. Sachant que le contexte tchadien est marqué par la faiblesse du marché publicitaire, la baisse considérable de la vente au numéro, le très faible tirage (entre 500 et 1000 exemplaires) à cause du coût exorbitant des impressions, la HAMA ne devrait pas suspendre les journaux à capitaux privés. La HAMA devrait plutôt travailler pour améliorer ce climat délétère et non faire la chasse aux patrons de presse.

« Les politiques concernant les secteurs liés aux médias »

Il est connu de tous que les jeunes tchadiens qui sont formés en journalisme considèrent nos rédactions comme des passerelles pour bénéficier de nos expériences de terrain et se faire un carnet d’adresses afin d’échouer dans les ONG et les agences onusiennes. Les entrepreneurs des journaux privés savent que ceux qui travaillent dans leurs entreprises ne vivent que des expédients et ne bénéficient pas d’une protection sociale. Mais, tous rêvent d’un lendemain meilleur. Pour l’instant, c’est au prix de mille sacrifices que les organes de presse survivent et arrivent à régler les factures des impressions et de leurs loyers. Nous ne sommes pas contre les diplômés en journalisme, mais nous disons qu’ils doivent faire leur preuve pour reprendre progressivement les commandes.

Cela est possible à partir d’un encadrement et non par un coup de boutoir. Au lieu de s’ennuyer comme un rat mort, Dieudonné Djonabaye devrait chercher à faire sien le programme politique du gouvernement de la 4ème République concernant les secteurs liés aux médias. La presse privée tchadienne compte dans ses rangs, des dirigeants d’organes responsables qui n’ont besoin que d’un climat favorable pour diffuser des informations émancipatrices.

« La révision de la loi n°031, l’urgence de la situation »

Excellence, Monsieur le Président de la République, les médias, qu’ils soient du public ou du privé sont au service de la nation tchadienne. Ils sont les principales sources d’accès des citoyens à l’information. Au nom de l’intérêt général et pour le bien de notre jeune démocratie, nous demandons votre intervention. La loi n°31, portant Ratification de l’Ordonnance n°025/PR/2018 du 29 Juin 2018, portant Régime de la Presse écrite et des Media électroniques au Tchad porte gravement atteinte à la liberté de la presse. Elle risque de crisper l’environnement politique et social en cette période où le Tchad se prépare à l’organisation des élections à partir d’avril 2021. Sa révision semble être la voie privilégiée pour garantir au Tchad la liberté et l’indépendance des médias. C’est de cette manière seulement que la presse privée peut accompagner le gouvernement dans le processus de la démocratisation en véhiculant les informations qui reflètent les changements qui s’opèrent et les attentes du peuple tchadien dans la compréhension du monde.

N’Djaména, 05 janvier 2021,

Déli Sainzoumi Nestor, promoteur de média et auteur,

Email : delinestor@yahoo.fr

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