Le réveil fut brutal. Les autorités tchadiennes réalisent finalement que les 20 milliards de dollars promis pour le PND à Paris ne sont en réalité que des promesses. Et pour reprendre une expression courante en politique, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. L’expression est d’Henri Queuille, homme politique français de la Troisième République plusieurs fois Président du Conseil. On le voit bien, l’expression semble être d’actualité en politique Tchadienne.

 

La jubilation et la ferveur qui ont suivi la fin de cette conférence de financement est en train de faire peu à peu place au désenchantement. Pour cause, les investisseurs qui ont promis 20 milliards de dollars au Tchad tardent à tenir leurs engagements. Et le gouvernement tchadien, artisan du PND, n’arrive pas à mobiliser les fonds promis faute de disposer de projets viables et d’un climat sain des affaires. Climat dû, bien entendu, à la fébrilité de l’espace politique au Tchad. Le gouvernement tchadien, dans sa recherche des ressources faciles, a organisé la conférence de Paris sans pouvoir mettre en œuvre, en amont, les reformes sociopolitiques et économiques nécessaires ; ni d’ailleurs, avoir à assainir l’environnement des affaires. Ces deux exigences apparaissant, clairement, comme seuls gages pour l’attrait des investisseurs. Le dernier rapport DOING BUSINESS 2018 de la banque mondiale mesurant la règlementation des affaires et leur application effective classe le Tchad a la 180e place sur 190 pays. Un tel positionnement passe pour être très incommodant pour un potentiel investisseur étranger. Partant, ce rapport annuel de la banque mondiale qui sert de boussole aux grands groupes investisseurs renseigne ces derniers sur le climat général en termes de création d’entreprise, la protection des investisseurs étrangers, le règlement de l’insolvabilité, le raccordement a l’électricité et sur bien d’autres indicateurs dans un pays donné. Le Tchad faisant partie des mauvais élèves dans ces domaines se distingue aussi par sa mauvaise volonté d’appliquer les recommandations inhérentes à ce rapport. Pour espérer contrer cette mauvaise fortune, le Chef du gouvernement tchadien, en l’occurrence monsieur Pahimi Padacke Albert, a rencontré un groupe de partenaires financiers ayant pris part à la fameuse Table ronde de Paris pour inciter ces derniers à tenir les engagements qu’ils avaient pris en Septembre 2018 car, estime-t-il, le Tchad était désormais prêt pour la phase exécutoire du PND.

 

A la date, seul le Groupe français Duval a signé un mémorandum d’entente avec le groupe tchadien Al Manna pour concrétiser la part de son engagement lors de la Table ronde de Paris. Aujourd’hui, quatre mois après la conférence sur le PND en terre étrangère, l’espoir des autorités tchadiennes s’amenuise. Ngueto Tiraina Yambaye, le ministre du plan et de l’économie, l’artisan principal du PND, a purement et simplement été demis du gouvernement lors du dernier remaniement ministériel. Cet énième remaniement est symptomatique d’une instabilité gouvernementale au Tchad. Ce qui a pour conséquence logique, de renforcer le doute dans l’esprit de ces investisseurs en dépit toutefois de leur engagement préalables pour le PND. Par ailleurs, un autre fait contingent vient, malheureusement, de clairement plomber l’aspiration du Tchad quant à la mise en œuvre de son plan phare. Il s’agit de la mise sous tutelle, par le Royaume Saoudien, du Groupe Ben Laden et l’arrestation de son Président Bakr Bin Laden pour une fraude fiscale de presque 100 milliards de dollars. Le Groupe Ben Laden s’était engagé à investir près de 6 milliards de dollars au Tchad, soit 30% des 20 milliards promis à Paris faisant de ce Groupe la plus grosse part des promesses faites. On comprend, dès-lors, comment une telle occurrence peut constituer un véritable séisme dans la perspective globale du PND. Conçu préalablement pour lever quelques 7 milliards de dollars, la moisson lors de cette table ronde tenue à Paris a, de manière inattendue, dépassé les attentes des architectes tchadiens dudit Plan.

 

Les investisseurs se sont engagés à investir 20 milliards de dollars. Mais il y a un grand fossé entre une promesse et sa réalisation. Comme pour faire la réplique à Henri Queuille pour qui les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, un dicton arabe dispose que : « les promesses faites de nuit sont de beurre, et fondent au soleil ». Au delà du succès du marketing sur les atouts du Tchad à Paris, le climat sociopolitique et économique est aujourd’hui l’un des plus instables et donc peu attrayant pour tout investisseur sérieux. La frontière avec la Lybie est aujourd’hui une poudrière prête à menacer le pouvoir de Ndjamena. Plus sensible encore sur le flanc de la sécurité internationale, le groupe terroriste Boko Haram paralyse une région entière ainsi que la frontière avec le Nigeria et le Niger avec un impact déterminant sur les échanges transfrontaliers. Pardessus tout, La situation politique intérieure, très peu reluisante, se caractérise par l’intimidation, les arrestations arbitraires d’hommes politiques et des leaders de la société civile. Les syndicats de différentes organisations professionnelles et autres groupements ne sont pas épargnés ; fonctionnaires, transporteurs, consommateurs, étudiants entrent régulièrement en grève, paralysant l’administration, les transports, les entreprises, bref tout le pays. Et la série de sabrage dans les salaires des fonctionnaires dont la dernière date de ce mois de janvier 2018 n’augure pas de lendemains de repos pour les forces de l’ordre au Tchad.

 

Les syndicats et la rue menacent d’exploser. Et comme si cela ne suffisait pas, au lieu d’une offensive agressive des cadres tchadiens pour mobiliser les fonds promis, on assiste plutôt à une guerre des « clans » et des réseaux pour se positionner dans le futur comité de gestion des fonds du PND. La vraie bataille, en principe, devrait être d’une part, de renforcer la lutte contre la corruption et d’autre part de susciter l’apaisement du climat social et politique ainsi que la mise en œuvre rigoureuse et effective de la règlementation sur les affaires pour rassurer les potentiels investisseurs. De 2003 à 2014, la gestion de la manne pétrolière a été une véritable catastrophe. En 2014, la mauvaise négociation, avec Glencore, du financement pour la reprise des parts de Chevron est perçue aujourd’hui comme un déluge pour l’économie tchadienne. En 2017 jusqu’à, le gouvernement tchadien s’est révélé être incapable d’aller chercher des fonds d’investissement qui lui ont été pourtant promis par des investisseurs publics et privés. Que peut-on, en conséquence de cause, attendre de plus du gouvernement tchadien même avec un projet aussi ambitieux que constitue le PND ?

 

OUSMANE HAMAY

Hamilton

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