Les événements militaires qui se sont passés, le 23 mars dernier, dans le Kanem, qui font aujourd’hui l’objet de controverses, ont soulevé un vent puant de nationalisme étriqué, teinté de tribalisme, dont les effluves nauséabonds continuent encore à embaumer l’atmosphère politique du pays. En effet, après l’annonce de plus d’une centaine de soldats tchadiens assassinés, nombreux sont les voix qui se sont levées pour exprimer leur solidarité aux troupes de Déby, brocardées, pour la circonstance, de « vaillantes forces nationales » et d’autres périphrases du même goût leur conférant la mission de protéger les populations. On en a même entendu traiter de « frères », de « dignes fils du Tchad » les généraux et les officiers de l’armée, principale ossature de la dictature actuelle qui tient le pays sous son talon de fer depuis trente ans.

A part le pouvoir qui prétend que c’est Boko-Haram qui a été à l’origine des crimes commis au sein de l’armée tchadienne, nul ne peut dire avec certitude ce qui s’est réellement passé le 23 mars. Cependant, même si c’étaient les hordes islamistes barbares de cette organisation, cela justifierait-il qu’on glorifier l’armée tchadienne, qu’on lui tisse des lauriers, alors que c’est sur elle que s’appuient, de tout temps, toutes les dictatures qui se succèdent dans le pays, avec leurs lots de crimes, d’injustices, d’inégalités de toutes sortes, dont les principales victimes sont les masses populaires ? Loin s’en faut ! Et pour cause !

 Le Tchad, comme pays, l’État actuel, son armée, sont des purs produits de l’impérialisme français, conçus pour défendre les intérêts de celui-ci et ceux de ses valets locaux….

L’histoire des société humaines nous apprend que l’Etat, qui n’a pas toujours existé, est apparu, après la naissance de l’agriculture et de la propriété privée, comme un instrument au service d’une classe sociale qui impose sa domination sur une autre : celle des maîtres sur les esclaves, celle de la noblesse et le clergé sur les serfs, les commerçants bourgeois, les artisans, les compagnons, celle de la bourgeoisie sur les prolétaires et les paysans pauvres, confirmant ainsi la thèse d’Engels, selon laquelle  « L’Etat, c’est des bandes d’hommes armés au service de la propriété ».

Aussi, l’évolution historique de la société tchadienne, dans les conditions particulières du colonialisme français, n’a-t-elle pas fait exception à la règle ! En effet, le Tchad, en tant que pays, son État, les différents démembrements de celui-ci, sont tous des purs produits de l’impérialisme français. C’est du dépeçage du continent africain par la France et l’Angleterre notamment, à la fin du 19e siècle, qu’est né le pays, construction artificielle, faite de toutes pièces, sur les sites historiques des anciens royaumes d’antan, en fonction des intérêts du colonialisme français. C’est de là également que tire ses origines l’État actuel, comme un instrument de domination du pays par la France, en vue d’y défendre ses intérêts multiples, économiques comme stratégiques, dans un cadre pour le moins dictatorial, une sorte d’apartheid local, où les populations n’avaient aucun droit et étaient soumises à des travaux forcés.

Le 11 août 1960, c’est ce même État, avec son armée, son administration, son système judiciaire, que l’impérialisme français a légué au personnel politique local qu’il avait d’abord formé,  puis associé à la gestion des affaires publiques, comme conseillers, maires, députés, grâce notamment à la loi cadre de 1956, dans le but de faire de ces derniers les dépositaires des aspirations des populations, pour les porter au pouvoir, le moment venu, afin qu’ils défendent ses intérêts, ceux de ses firmes commerciales, implantées dans le pays pendant la période coloniale, – la SCOA, la CFAO, la NSCKN, la Société cotonnière -, mais aussi, ceux des différents hommes d’affaires d’origines diverses, tchadienne, grecque, arménienne, libanaise, soudanaise et autres, qui avaient prospéré sous l’ombre des trusts français. Ainsi était l’indépendance factice, proclamée par André Malraux, l’auteur de l’Espoir, La Condition Humaine, Les Conquérants, etc., qui a porté au pouvoir les dirigeants du PPT RDA, sous l’égide de François Tombalbaye.

Conçu exclusivement pour défendre les intérêts de l’impérialisme français et de ses valets locaux, dès sa naissance, ce nouvel État s’est doté d’une armée constituée de soldats recrutés pendant la période coloniale, qui, sous le drapeau français, avaient participé à la seconde guerre mondiale ou fait les guerres coloniales de la France contre d’autres peuples qui luttaient pour s’émanciper de son joug. De par à la fois ses origines même et le rôle à elle assigné, dès le début, cette armée s’est affirmée donc comme l’ossature principale du nouvel État, dont elle défendait la politique.

L’armée, bras protecteur de la dictature sous Tombalbaye…

Ainsi, quand, l’indépendance à peine proclamée, Tombalbaye a décidé d’imposer le parti unique afin d’étouffer la colère populaire, née du fait que la souveraineté formelle n’avait pas fondamentalement changé la vie des masses opprimées, qui en attendaient de meilleures conditions de vie, c’est sur cette armée qu’il s’est appuyé pour mettre fin aux libertés démocratiques, acquis des luttes anticolonialistes menées tout au long des années 47-50. On l’a vu notamment lors des événements du 16 septembre 1963 à Fort-Lamy : lorsque les responsables politiques de l’opposition et leurs partisans sont descendus massivement dans la rue pour défendre les libertés essentielles, c’est cette nouvelle armée dite nationale qui a organisé la répression, bastonnant, assassinant, emprisonnant tous ceux qui protestaient contre la perspective du parti unique.

Au cours de ces événements, lors des rafles et des fouilles organisées dans les quartiers populaires de la capitale pour faire la chasse aux opposants et récupérer d’éventuelles armes, les forces de l’ordre tchadiennes étaient soutenues par les troupes françaises stationnées au camp Koufra. Cette intervention de l’armée dans l’arène politique pour imposer la dictature du parti unique, avec la bénédiction d’impérialisme français, a ainsi ouvert une nouvelle page de sa présence, de façon constante, dans l’histoire politique du pays, comme la principale ossature des toutes les dictatures qui s’y sont succédé jusqu’alors.

Pendant tout le règne dictatorial de Tombalbaye, la mission assignée à cette armée était surtout de mettre tout le pays sous la chape de plomb d’une dictature féroce, qui, en plus des forces de l’ordre classiques, s’appuyait également sur une garde prétorienne, la CTS (Compagnie Tchadienne de Sécurité), formée essentiellement par des soldats issus de la zone méridionale, sur le modèle des tontons macoutes de Duvalier, en Haïti – dont s’inspireraient, plus tard, Hissein Habré et Idriss Déby. Ainsi, l’armée a étouffé toute forme de contestation, couvert et justifié toutes les injustices et les inégalités, dont toutes les masses populaires étaient victimes. A la fin du régime de Tombalbaye, lourd était le bilan des crimes et autres forfaitures commis directement ou couverts par elle, notamment dans la lutte contre le Frolinat, avec le soutien permanent de l’impérialisme français : des villages brûlés, rasés de la carte du pays, exactions, rackets des populations, emprisonnements arbitraires, assassinats d’opposants politiques, tels Ibrahim Abatcha, Outel Bono,  châtiments corporels publics, accompagnés de meurtres, comme ceux auxquels a donné lieu la politique réactionnaire de l’authenticité, « le yondo », mais surtout une exploitation éhontée des masses populaires, saignées à blanc par les firmes commerciales françaises, les unités industrielles nationales, la bourgeoisie locale et la culture du coton, imposée pour enrichir la famille Boussac en France, au détriment des paysans pauvres de la zone méridionale, transformés quasiment en esclaves, parfois chicotés, pour produire cette matière.

Sous le CSM, la même armée, les mêmes hommes, le même rôle….

       Après quinze ans de règne dictatorial, sous le parapluie de la France et de l’armée, Tombalbaye a été lâché par ses maîtres de Paris, parce que devenu impopulaire, donc gênant : le 13 avril 1975, c’est l’armée, sur laquelle il s’était appuyé pour imposer sa dictature, qui l’a renversé et assassiné, sans que les troupes françaises stationnées dans le pays, qui l’avaient soutenu, protégé, des années durant, n’aient levé le petit doigt !

Ayant cette fois les rênes du pouvoir entre ses mains, l’armée s’est dotée d’une direction politique, le CSM (Conseil Supérieur Militaire), avec à sa tête le général Malloum, fraîchement sorti des geôles de Tombalbaye. Hommes du sérail, qui, des années durant, avaient loyalement servi le régime dictatorial déchu, les dirigeants du CSM n’ont, pour l’essentiel, rien changé : ils ont continué à protéger l’ordre social dictatorial imposé par l’impérialisme français en réprimant toute forme de contestation, en faisant la guerre notamment aux différents groupes rebelles issus de la dégénérescence du Frolinat en un conglomérat de bandes armées aussi réactionnaires les unes que les autres : en 1976, par exemple, après une incursion des forces du CCFAN (Conseil de Commandement des Forces armées du Nord), la bande armée ethnique d’Hissein Habré, dans la ville de Faya, les troupes tchadiennes, soutenues par des militaires français, ont procédé à un nettoyage systématique des hameaux, des palmeraies et des alentours de la ville, brûlant des habitations,  tuant aveuglément des dizaines de personnes, etc.

Au final, bien qu’ils aient fait tomber Tombalbaye, les dirigeants du CSM – les caciques de l’armée, les Malloum, Kamougué, Odingar, Djimet Mamari, mais aussi, des jeunes cadres formés dans les années 70 -, sont restés fidèles à leur rôle initial, celui des gardiens de l’ordre social en vigueur, contre les aspirations des masses populaires à de meilleures conditions de vie et aux libertés essentielles.

       Sous la dictature d’Hissein Habré, la même armée recomposée, en plus de la DDS…

       Tout au long des années 78-82, marquées notamment par la loi des bandes armées, mais aussi l’échec des accords de Khartoum, symbolisé par la guerre civile de N’Djaména, en février 1979, entre les partisans du CSM et ceux du CCFAN, on a assisté une décomposition de l’État qui, à son tour, a entraîné celle de l’armée : celle-ci s’est trouvée divisée à cause de ses responsables, comme de ses troupes, qui s’alignaient sur les bandes armées se réclamant de leurs ethnies ou leurs régions. L »entente superficielle entre les différents chefs de guerre, suite aux nombreuses réunions qui avaient donné naissance au GUNT (Gouvernement d’Union Nationale du Tchad), dirigé par Goukouni n’a pas fait long feu non plus : elle a éclaté à cause des contradictions entre les différents politiciens qui l’avaient concoctée et créé les conditions de la deuxième guerre de N’Djaména, entre, d’un côté, les les partisans de Goukouni et, de l’autre, ceux d’Hissein Habré.

       Ce n’est qu’en 1982, quand l’impérialisme français, soutenu par les États-Unis, a mis tous les moyens possibles pour imposer Hissein Habré seul à la tête de l’État, que l’armée a retrouvé son unité, grâce notamment au ralliement de ses anciens chefs au nouveau régime, les Djogo, Kamougué, de ses jeunes cadres, mais aussi, de certains chefs de guerre, dont les combattants, comme ceux des FAN, ont été intégrés dans ses rangs.

       Propulsé à la tête de l’État par la France, Hissein Habré, qui avait maille à partir avec différents rivaux, dont son ancien compagnon, Goukouni, a créé les conditions politiques permettant à l’armée d’afficher au grand jour son visage de garant de l’ordre en vigueur, mais surtout, d’un maillon indispensable, intimement intégré dans l’État. L’ancien geôlier de Mme Claustre a, en effet, ouvertement associé la hiérarchie militaire, acquise à se cause, à la gestion des affaires politiques du pays : la plupart des hauts gradés de l’armée sont devenus ainsi des dignitaires politiques du pouvoir. Entre autres, c’était le cas d’Idriss Déby, chef d’état-major de la nouvelle armée recomposée, mais aussi, membre de la direction du CCFAN, d’abord, et, ensuite, de l’UNIR, le parti unique de l’époque, en tant que secrétaire chargé de la sécurité.

Ainsi, participant aux orientations politiques du régime, l’armée est devenue, plus qu’hier, le principal pilier et protecteur l’ordre dictatorial mis en place… Aussi, huit ans durant, a-t-elle organisé ou couvert les crimes et autres forfaitures commis sous le pouvoir d’Hissein Habré, soutenu, comme ses prédécesseurs, par l’impérialisme français : pillages des deniers de l’État, vols des biens publics et privés, demi-salaires imposés aux fonctionnaire en guise de participation aux frais de guerre, mais aussi, assassinats d’opposants politiques, répressions massives nourries d’une volonté d’épuration ethnique, comme celles subies par les Hadjaraï, les Zaghawa ou celle qui s’est abattue sur la zone méridionale, en 1984, entrée dans l’histoire sous le vocable de « septembre noir », endeuillant des centaines de familles dans cette région, et, au-dessus de tout cela, la DDS et ses crimes, bien sûr, symbole de toutes les horreurs, lieu de tortures diverses, d’où, des années durant, peu de Tchadiens sont sortis vivants, avec le bilan que l’on sait!

Voilà l’œuvre à laquelle l’armée tchadienne a consciemment participé sous la dictature d’Hissein Habré, qui la juge autant que son chef lui-même ! En effet, plus que ceux d’un homme, Hissein Habré, ces crimes odieux sont surtout ceux de l’État qu’il a dirigé huit ans durant, donc, également, de son armée, des chefs de celle-ci, des principaux dignitaires de l’UNIR, mais aussi, de la France et des États-Unis, qui auraient dû, tous, être appelés à la barre à Dakar pour rendre compte des forfaitures auxquelles ils avaient participé ou qu’ils avaient couvertes d’un silence complice !

Sous la dictature du MPS, la même armée, les mêmes hommes, les mêmes mœurs…

       Arrivé, lui aussi, au pouvoir, le 1er décembre 1990, avec la bénédiction de l’impérialisme français, qui avait décidé de faire tomber Hissein Habré, comme il l’avait fait, des années auparavant, avec Tombalbaye, Malloum et Goukouni, Idriss Déby n’a, lui non plus, rien changé quant au rôle de l’État et de son armée : dès leur arrivée au pouvoir, les dirigeants actuels du MPS ont pris pour leur propre compte tout l’appareil d’État légué par leur ancien compagnon. Ils ont associé à la gestion des affaires tous les collaborateurs du dictateur déchu, des généraux aux gardiens des prisons et autres tortionnaires, qu’ils connaissaient bien, avec lesquels ils avaient travaillé durant huit ans.

Aussi, entre l’ancien régime et le pouvoir actuel, n’y a-t-il, en réalité, aucune différence de fond. Pour l’essentiel, il s’agit du même État dictatorial, avec quasiment les mêmes visages, les mêmes hommes et les mêmes mœurs ! Le multipartisme qu’Idriss Déby Itno a consenti à instaurer, sous la pression de la France notamment, n’est qu’un leurre : derrière les oripeaux pseudo démocratiques, se terre le même pouvoir d’antan, sous un nouvel habillage, certes, mais, qui n’a pas changé de nature. Il s’est juste mieux équipé avec l’argent du pétrole pour mieux continuer son rôle classique de défenseur des intérêts de l’impérialisme français et ceux de la bourgeoisie locale : s’appuyant, comme hier, sur la même armée, il emprisonne, interdit toute manifestation, écrase ainsi sous sa férule les plus élémentaires des libertés, assassine, utilise l’ethnisme, le régionalisme, le népotisme, le clientélisme au point de les transformer en méthodes de gouvernement et veille notamment sur l’exploitation des ressources humaines et naturelles du pays au profit des riches, le pillage des deniers publics, mais aussi, un rigorisme religieux nauséabond, le tout, sous le parapluie de l’impérialisme français, qui intervient régulièrement pour défendre cet ordre social inique, comme aux heures sombres de la période du parti unique sous Hissein Habré !

Pour les masses opprimées, l’ennemi est à l’intérieur : c’est l’État actuel, son armée, ses différents démembres….

Ainsi, bras armé d’un État conçu, dès ses origines, comme un instrument de domination du pays par l’impérialisme français, légué ensuite aux valets locaux de celui-ci, afin de continuer l’œuvre d’exploitation du pays au profit des trusts de la bourgeoisie mondiale et leurs différents larbins nationaux, l’armée tchadienne ne pourrait être considérée comme un boucler protégeant les masses populaires ! Elle l’a amplement démontré tout au long de l’histoire politique du pays : de Tombalbaye à Idriss Déby Itno, en passant par Malloum, Goukouni, Habré, quel que soit le régime en vigueur, de façon constante, elle s’est affirmée comme la principale ossature des dictatures qui s’y sont succédé, garantissant l’ordre fondé sur l’exploitation des couches opprimées, participant aux meurtres, assassinats, emprisonnements et autres forfaitures dont celles-ci sont victimes ou les protégeant.

S’il en est ainsi, c’est parce que la hiérarchie de cette armée, ses généraux, ses officiers et sous-officiers notamment, sont intiment intégrés dans l’État, liés à lui. Comme les politiciens à la tête de celui-ci, ils appartiennent à la classe des bourgeois et autre privilégiés locaux qui, vivent des miettes qui tombent de l’exploitation des masses opprimées par les trusts, du pillage des deniers publics et privés, sous le regard complice de l’impérialisme français, dont ils défendent les intérêts contre ceux des couches populaires, étranglées par la misère et privées des libertés élémentaires ! Voilà qui explique que, aujourd’hui, c’est cette armée qui veille sur la politique de la dictature du MPS, défend l’ordre social actuel, un monde profondément inégalitaire, injuste, où une petite minorité de bourgeois, parasites, et les trusts, dont ils sont les valets, exploitent, pillent, à ciel ouvert, les ressources tant humaines que naturelles du pays et condamnent l’écrasante majorité de la population à la misère, aux maladies, que l’on peut souvent soigner rien qu’avec de l’eau potable ! Voilà qui explique aussi que c’est elle qui protège les responsables de l’administration de cet État, les gouverneurs, les préfets, les chefs traditionnels, mais aussi ses propres dignitaires, généraux, officiers, sous-officiers, qui vivent sur le dos des populations comme des sangsues, leur faisant subir divers abus et exactions, les spoliant de leurs terres, de leur bétail et autres biens, en toute impunité ! Voilà qui explique pourquoi elle couvre la justice, en faveur des plus riches, y compris les voleurs, mais, discriminatoire et féroce envers les pauvres et leurs enfants, exhibés à la télévision comme un butin de guerre contre l’insécurité, même s’ils volent un pain tout simplement parce qu’ils ont faim !  Voilà également pourquoi elle ferme les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme, les emprisonnements arbitraires, le tripatouillage de la constitution qui a permis à Déby de rempiler pour troisième mandat et de s’éterniser au pouvoir, les fraudes électorales, les assassinats, si elle ne les commet pas elle-même !

Pour les masses populaires, de toutes les ethnies, de toutes les régions, de toutes les religions, le responsable des souffrances, de la misère et de la dictature qui les étranglent et les empêchent de vivre dans des conditions dignes de notre époque, n’est donc pas à l’extérieur. Il est à l’intérieur : c’est l’État tchadien, au service de l’impérialisme français et de la bourgeoisie locale, qui s’appuie sur cette armée, bras protecteur de l’ordre social inique, injuste, qui veut que, en ville comme en province, l’immense majorité des couches populaires ait du mal à se nourrir, se soigner, s’éduquer, se loger, etc, sans, par ailleurs, jouir des moindres libertés élémentaires, alors que la société n’a jamais été aussi riche qu ‘aujourd’hui !

       L’émancipation des travailleurs et de l’ensemble des opprimés de la misère et de la dictature passera par la destruction de cet État, de son armée, de sa police….

Ainsi, le moins que l’on puisse dire est que la logique de ceux qui célèbrent l’armée tchadienne, traitent ses officiers et sous-officiers de « frères », de « dignes fils du Tchad » et appellent à une union sacrée autour d’elle, a toutes les allures d’une imposture ! En effet, ces gens-là voudraient nous faire croire que l’État actuel serait un appareil, en lévitation, au-dessus des classes sociales, au service de tous les Tchadiens, qu’ils soient riches ou pauvres. Selon eux, il y aurait un Tchad éternel, avec un intérêt général, commun à tout le monde, incarné par l’État actuel, que nous devrions tous protéger. Mais derrière cette logique se cache, en réalité, une contrevérité, un piège : par le biais d’un nationalisme étriqué, ces politiciens cherchent à faire oublier aux masses populaires les origines réelles des conditions désastreuses de leur existence et à renforcer leurs chaînes derrière les vrais responsables de leur situation d’opprimées, que sont justement l’État actuel et son armée, qui défend sa politique. Car, quel intérêt commun y a-t-il entre nos bourgeois, milliardaires et millionnaires, civils et galonnés, larbins des trusts implantés dans le pays et les masses opprimées saignées à blanc, étranglées par la misère, écrasées sous le talon de fer d’une dictature féroce ? Quel intérêt commun entre la minorité de parasites, qui profitent, se gavent et la majorité des couches populaires, qui galèrent, triment, en bavent ? Quel intérêt commun entre ceux qui utilisent de l’eau potable pour laver leurs voitures de luxe, arroser leurs jardins, remplir leurs piscines, louent des chambres à 50 000 f CFA la nuit dans les hôtels huppés de N’Djaména, vont se faire soigner à l’étranger et les millions de pauvres condamnés à boire l’eau infectée et boueuse des marigots, des puits, des rivières, à ne manger qu’une fois par jour, à mourir dans les recoins de leurs quartiers, de leurs villages, faute de moyens de s’acheter une simple nivaquine ? Quel intérêt commun entre les enfants pourris de nos bourgeois, qui se payent des week-ends arrosés à Dubaï ou organisent des fêtes au cours desquelles ils se font une concurrence à coups de liasses d’argent au point d’en tapisser le sol et ceux des familles déshéritées, notamment celles des zones abandonnées comme le Kanem ou le BET, qui, par grappes, de façon massive, tentent d’émigrer, de fuir la galère et le désespoir et que, paradoxalement, le pouvoir traque, arrête et emprisonne tout simplement pour avoir osé penser s’émanciper de la prison de misère dans laquelle il les enferme, eux et leurs parents ? Aucun ! Absolument aucun !

       Par conséquent, les masses populaires, victimes de cet ordre social inique, sur lequel veille l’armée tchadienne, n’auraient aucun intérêt à considérer celle-ci comme la leur, ses généraux, ses officiers, comme leurs « frères »! Ceux-ci sont plutôt leurs bourreaux, qui n’hésiteront pas à tirer froidement sur elles, si, demain, elle se révoltent, s’insurgent contre la dictature du MPS et, par des luttes d’envergure, cherchent une issue à leurs conditions d’opprimés ! Ce n’est donc pas, comme le réclament certains, en réformant cette armée ou en en changeant la composition pour la rendre, semble-t-il, « républicaine », qu’elle pourrait être proche des aspirations des couches populaires à une vie meilleure et aux libertés essentielles. Sous la domination de l’impérialisme international, quels que soient le régime et la forme de l’État, ce que certains appellent pompeusement « une armée républicaine », c’est juste une armée au service des riches. On le voit, par exemple, avec l’armée française, qui défend les intérêts de la bourgeoisie française, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, notamment dans le pré-carré français où, comme au Tchad, elle ne soutient pas seulement les dictatures locales, mais les remplace les unes après les autres et les impose, en fonction des intérêts du moment de l’impérialisme français. Aucune réforme, aucun nouvel habillage quelconque, donc, ne pourra conduire l’armée actuelle à défendre les masses opprimées parce que tels ne sont ni sa nature, ni son but, ni les intérêts à elle assignés, qu’elle défend : son rôle, c’est de veiller sur l’ordre social actuel fondé sur les intérêts des riches contre les aspirations des masses opprimées à une vie meilleure ! Et elle le fait en bonne conscience !

Alors oui, l’intérêt des travailleurs et de l’ensemble des couches populaires n’est pas de faire confiance à l’armée tchadienne pour qu’elle les protège, ni de s’unir avec ses généraux, ses officiers, ses sous-officiers. L’intérêt des masses opprimées, de toutes les ethnies, toutes les régions, toutes les religions, est dan

s leur propre union, comme une classe sociale à part, celle des pauvres ayant les mêmes aspirations parce que subissant la même misère et la même dictature, sur lesquelles veille cette armée. Seule cette unité indispensable pourra leur permettre de se battre collectivement contre la politique du pouvoir MPS au nom de leur droit à la vie et aux libertés essentielles.

La lutte contre les forces de Boko-Haram ou une autre bande armée, nées de la barbarie générale provoquée par le capitalisme dans les conditions historiques particulières du continent africain, ne pourrait, ni ne devrait, en aucun cas, évacuer les divergences politiques de fond, ni occulter les rapports sociaux existants au Tchad. Ainsi, la guerre que les masses opprimées devraient mener, c’est d’abord celle contre la dictature, la misère, les maladies et toutes les privations que leur imposent Idriss Déby et son armée. C’est de façon qu’elles pourront faire reculer le pouvoir, accéder à de meilleures conditions de vie et aux libertés essentielles. Mais, c’est de cette façon aussi qu’elles pourront couper l’herbe sous les pieds de toutes les bandes armées, quelles qu’elles soient, qui poussent sur le terreau de la misère résultant de la politique appliquée par le pouvoir du MPS depuis trente ans : en s’unissant, en luttant ensemble pour leur droit à la vie, les travailleurs et l’ensemble des opprimés pourront non seulement améliorer leurs conditions de vie générales, mais aussi, celles, particulières, des populations des zones abandonnées, comme le Kanem ou le BET, et donner ainsi aux jeunes de ces régions une autre perspectives, un autre sens à leur existence, que le sort d’être de la chair à canon qu’utilise Boko-Haram ou une autre bande armée, dont ils rejoignent les rangs plus par désespoir qu’autre chose.

Par ailleurs, le jour où les masses populaires auront l’ambition de se débarrasser définitivement de l’exploitation, de la misère et de la dictature, elles devront agir comme l’a fait la bourgeoisie elle-même contre le système féodal, quand, révolutionnaire, elle voulait transformer le monde en fonction de ses intérêts : elles ne devraient pas se contenter de faire tomber le dictateur en place, mais, elles devraient changer radicalement la société, en détruisant l’État en vigueur, son armée, sa police, son administration, sa justice, en expropriant les riches, dans le but d’imposer un pouvoir dirigé par elles-mêmes, dans une société fondée sur la mise en commun des richesses, la démocratie la plus large qui soit, avec autant de partis, de syndicats, d’associations qu’on voudra, dont le moteur ne sera plus la loi de l’argent, mais, la satisfaction des besoins collectifs de tous! Mais, pour réaliser cette perspective-là, il faudrait d’abord que les travailleurs et l’ensemble des opprimés se dotent d’un parti politique révolutionnaire, qui leur soit propre, indépendant des organisations politiques bourgeoises. C’est la seule arme que leur offre l’histoire, qui puisse leur servir de boussole, pour se lancer à la conquête du pouvoir politique !

                                   Ali Mohamed Abali Marangabi

                                   abali_icho@yahoo.fr

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