Quoiqu’annoncé avec tambours et trompettes, comme une potion magique pouvant guérir le pays de tous ses maux, dont souffrent notamment les masses opprimées, le deuxième forum organisé par le MPS et ses alliés n’a posé aucun des problèmes réels auxquels celles-ci sont confrontées. En effet, pendant quatre jours, les quelque 6oo participants à ce forum n’ont parlé que des choses comme la forme de l’État, ses institutions, le fameux serment confessionnel et autres balivernes, à mille lieues des préoccupations des couches populaires, étranglées par de multiples problèmes et écrasées sous le talon de fer d’une dictature féroce !

Contrairement à ce que les responsables du MPS veulent nous faire croire, les préoccupations essentielles des masses opprimées n’ont rien à voir avec des réformes institutionnelles. Loin s’en faut ! En effet, la question que se posent, quotidiennement, les couches populaires n’est pas de savoir s’il est bon ou non d’avoir une primature ou un sénat, mais, comment faire pour apporter de quoi manger à la maison, nourrir sa famille, assurer sa pitance ? Comment se soigner, soi-même et les siens, éduquer ses enfants dans de bonnes conditions, avoir un bon travail, avec un bon salaire, accéder à de l’eau potable, à un logement décent, à l’électricité, jouir des libertés essentielles, etc ?

Voilà un florilège de quelques-unes des préoccupations essentielles des masses opprimées ! Mais ces problèmes-là, – la misère, l’exploitation, les maladies, les inégalités, les injustices, la dictature-, ne tombent du ciel ! C’est l’État actuel qui en est le principal responsable : ils sont les conséquences de la politique qu’il applique et des intérêts, à lui assignés, qu’il défend, au profit des riches, nationaux ou non, mais, au détriment des besoins collectifs de la nation opprimée ! Ainsi, quelles que soient les parures que les responsables du MPS veulent faire porter au pouvoir actuel pour le rendre plus beau que nature, cela n’est qu’une opération de diversion qui ne change ni sa nature profonde, ni sa politique et, par conséquent, rien dans les conditions de vie des couches populaires, pour qui ce sera toujours la misère, les maladies et le règne permanent de l’arbitraire, érigé en méthode de gouvernement, comme on l’a vu déjà après le premier forum de 2018 !

Les masses opprimées ne peuvent compter que sur elles-mêmes et sur leurs luttes…

Dans ces conditions, pour l’amélioration de leurs conditions de vie et l’accession aux libertés essentielles, les masses opprimées n’ont pas d’autre choix que de compter que sur elles-mêmes et sur leurs luttes, avec leurs propres armes : la mobilisation, la grève, les manifestations, la rue! Car, seule une riposte collective des travailleurs et de l’ensemble des opprimés du pays pourrait permettre de tracer le chemin vers un avenir meilleur !

S’il y avait dans le pays un parti révolutionnaire, défendant exclusivement les intérêts des travailleurs et des couches populaires contre ceux de la bourgeoisie locale, des trusts et de l’impérialisme français, ce serait à lui que reviendrait la tâche de construire méthodiquement cette riposte collective-là. Mais, en l’absence d’un tel parti, qui fait cruellement défaut de nos jours, ce serait logique que ce soit à la plate-forme revendicative, formée autour de l’UST, la structure syndicale la plus importante et la plus combative du pays, de porter cette perspective, si ses dirigeants en avaient l’ambition.

Le choix des travailleurs d’organiser et de piloter la riposte collective n’est évidemment pas fortuit : ces derniers constituent la principale force du pays ! A cause de leur position au cœur de l’économie et de l’administration, ils jouent un rôle fondamental dans tout ce qui fait marcher la société. Ce sont eux qui font fonctionner les secteurs industriels : la Coton Tchad, les sites pétroliers, la Brasserie, la SONACIM, la STE, la CST, la SNE, la STE, la Poste, la Téléphonie, mais aussi les banques, les assurances, l’hôtellerie, le bâtiment, le transport, etc. Dans l’administration également, rien ne se fait sans leur force de travail ou leur intelligence : l’Éducation, la Santé, la Culture, la justice, la Communication, tous les secteurs publics essentiels ne fonctionnent que grâce à eux. Ils sont la sève, la source nourricière, dont dépend toute l’organisation social

Ce rôle particulier, nécessaire, que les travailleurs, du public comme du privé, jouent, sur toute l’étendue du pays, leur confère une force colossale dont ne dispose aucune autre classe sociale. Par conséquent, s’ils en ont l’ambition, ils pourraient s’en servir pour fédérer toutes les colères qui couvent dans le pays contre la politique d’Idriss Déby Itno afin de construire une riposte collective de l’ensemble des opprimés en vue d’imposer à la dictature les aspirations populaires à une vie digne de notre époque et aux libertés essentielles, en bloquant, paralysant tout le pays, au moyen d’une grève générale soutenue par des manifestations.

Quelle stratégie ? Quel programme pour construire cette riposte collective ?

Si les dirigeants de la plate-forme syndicale avaient l’ambition de construire cette riposte collective, ils devraient discuter avec toutes les organisations syndicales, mais aussi, celles des droits de l’homme, les partis politiques de l’opposition, les associations des femmes, des étudiants, des élèves, des retraités, des vacataires et autres contractuels, etc, en vue de constituer avec eux un programme, sous la forme d’un plan d’urgence, d’intérêt public, comprenant les exigences essentielles des masses laborieuses, aussi bien face à la cherté de la vie qu’à la dictature, pouvant fédérer tout le monde dans un mouvement de tous ensemble contre le régime du MPS.

Quelles revendications proposer aux travailleurs du pays, du public comme du privé, mais aussi, aux vacataires, aux retraités, aux chômeurs, etc ?

Si, sous la pression des luttes syndicales, nous constatons que le pouvoir a fini par reculer et accepter d’arrêter de couper les salaires des travailleurs, dans les faits, il n’en est rien, en réalité. On le voit notamment dans le dernier mouvement social de trois jours de grève dans l’Éducation, Mais, même si Idriss Déby payait la totalité des salaires, le compte n’y serait pas !

En effet, de la première goutte du pétrole jusqu’aujourd’hui, il y a eu beaucoup d’argent engrangé dans le pays, dont les trusts du pétrole sont les principaux bénéficiaires. Mais, ceux-ci en ont aussi laissé des miettes importantes à l’État tchadien. Idriss Déby s’en est servi pour équiper militairement sa dictature, mais également promouvoir une minorité de parasites bourgeois, qu’il a aidés à devenir des milliardaires grâce au détournement des fonds publics et à la surfacturation. Or, dans le partage de la cagnotte revenue au Tchad, les travailleurs, qui sont à l’origine de la création de ces richesses, n’en ont rien eu : le pouvoir s’est juste contenté de leur offrir des primes et des indemnités – qu’il a coupées ensuite, durant des mois, après la chute du prix du pétrole sur le marché mondial-, au lieu d’augmenter leurs salaires, comme il l’a fait avec les émoluments des députés, par exemple.

Les travailleurs sont donc les seuls à être doublement perdants dans cette affaire, d’autant plus que la cherté de la vie a augmenté vertigineusement. Dans ces conditions, vu que le prix du baril du pétrole et sa production ont augmenté, pour rattraper ce qu’ils ont perdu, il serait fort juste que la plate-forme propose aux autres syndicats de revendiquer ensemble une augmentation substantielle, d’au moins 50 000fr, de tous les salaires, tant dans le public que dans le privé, car, il est difficile de vivre aujourd’hui avec un Smig de 60 000 f CFA ou même un revenu de 100 000 Fr. Pour lutter ensemble contre la cherté de la vie, dont les masses opprimées sont les principales victimes, elle devrait revendiquer aussi une augmentation des allocations de chômage, des pensions de retraite, le paiement des arriérés des salaires des fonctionnaires, l’embauche de tous les contractuels et des précaires dans les secteurs publics essentiels, l’Éducation, la Santé, notamment, une baisse importante des prix des produits et des articles de première nécessité, de l’eau, de l’électricité, du pétrole, de l’essence, du gaz, du transport, des impôts, des loyers, l’instauration de l’échelle mobile des salaires, – chaque fois que les prix des produits indispensables augmentent, les salaires font de même, ils augmentent aussi, proportionnellement -, la gratuité effective de l’éducation et des soins dans le public, un revenu minimum pour tous ceux qui ne bénéficient d’aucune ressource, un fonds de soutien aux personnes âgées n’ayant aucune retraite, la création d’un service de transport public, la construction de logements sociaux, etc,.

aux organisations des droits de l’homme et aux partis politiques…

Depuis la chute du régime d’Hissein Habré et l’instauration du multipartisme, sous la pression de l’impérialisme français, les libertés essentielles auxquelles aspirent les masses populaires n’existent que dans des textes et non dans la vie réelle. Nous assistons plutôt à une fiction de démocratie, un ersatz de celle-ci, derrière lesquels se cache la même dictature d’antan, qui continue à maintenir le pays sous sa férule. On le voit notamment avec les arrestations arbitraires, mais aussi, le fait que, au bout de trente ans bientôt, le régime n’a toléré aucune manifestation, en plus de la misère de plus en plus croissante dans laquelle la société s’enfonce.

L’homme ne vivant pas que de pain, le programme d’intérêt public piloté par les travailleurs devrait comprendre aussi des revendications politiques, conformes aux aspirations populaires face à la dictature : la plate-forme aurait donc intérêt à proposer aux organisations des droits de l’homme et aux partis politiques de lutter ensemble contre les poursuites pour un délit d’opinion, pour le respect du vote des populations en changeant profondément les structures chargées de l’organisation des élections et de la proclamation de leurs résultats, pour la défense et la jouissance effective des droits démocratiques élémentaires, de réunion, d’expression, d’organisation, de manifestation, sans aucune menace ni entrave de la part du pouvoir, pour la rupture du cordon ombilical qui lie exclusivement la presse publique, la radio, la télévision notamment, au pouvoir du MPS, en vue de l’émancipation des de ces structures du joug de celui-ci et de l’instauration d’une expression libre de toutes les sensibilités au sein de l’ONAMA, etc…

Évidemment, dans ce combat commun, il est hors de question que les travailleurs se fondent dans les partis politiques ou laissent ceux-ci prendre la direction de la riposte collective : s’il est nécessaire qu’ils luttent ensemble pour ces revendications qui leur sont communes, chacun devrait rester sous son drapeau parce qu’ils n’ont pas le même agenda. En effet, pour les partis bourgeois de l’opposition, la démocratie est une fin en soi, mais, pour les travailleurs, elle n’est qu’un moyen pouvant leur permettre de s’organiser pour défendre collectivement leurs intérêts spécifiques, tant sociaux que politiques : s’exprimer, faire des grèves, manifester, s’organiser pour se doter d’un parti politique qui soit le leur propre, en vue de se lancer un jour à la conquête du pouvoir dans le but de transformer radicalement la société en fonction des intérêts des larges couches populaires.

… aux élèves, aux étudiants…

Notre bourgeoisie, grande comme petite, est venue tardivement sur la scène de l’histoire, comme un pur produit du colonialisme français, d’abord, et un valet des puissances impérialistes, notamment de la France, ensuite. Aussi est-elle poltronne, incapable même de réaliser ses propres tâches démocratiques, comme instaurer les libertés essentielles ou moderniser la société en vulgarisant la science, les connaissances modernes, en en finissant aussi avec les structures féodales, les mœurs rétrogrades, barbares, héritées du passé, l’oppression de la femme notamment. Par conséquent, c’est aussi aux travailleurs et autres opprimés qu’il appartient de se charger de ces tâches-là et de les réaliser par leurs combats.

Ainsi, dans le cadre de la mobilisation générale de tous les opprimés du pays, les travailleurs devraient-ils proposer également : des revendications communes aux étudiants et aux élèves. En effet, vu les difficultés énormes que rencontrent ces derniers au cours du processus de leur éducation, la plate-forme aurait aussi intérêt à leur proposer des revendications communes à défendre ensemble, comme l’instauration d’une bourse, un droit pour tout étudiant, la formation d’un personnel hautement qualifié pour les établissements publics, la création de bibliothèques dans ces derniers, de cantines scolaires gratuites, la multiplication des aires et salles de sport, la construction de médiathèques, d’écoles et de salles de cinéma dans les quartiers populaires, la création de conservatoires de musique, la gratuité effective de l’éducation, mais aussi, de la santé, etc.

… aux femmes…

L’émancipation de notre société sera d’abord celle de la femme ou ne sera pas ! Par conséquent, la plate-forme devrait proposer également aux organisations des femmes une lutte commune, hardie, contre leur oppression, comprenant l’interdiction réelle du mariage des filles mineures, de la dote, qui ressemble à un prix d’achat de celles-ci, de la polygamie, – symbole officiel de l’oppression de la femme -, de la coutume qui permet à un père de donner sa fille en aumône, tel un mouton, une révolution agraire profonde afin que les paysannes soient propriétaires des terres qu’elles cultivent, l’instauration d’un Code familial progressiste, donnant aux femmes les mêmes droits que les hommes face à l’héritage, à la garde des enfants, au divorce, l’octroi d’une pension à la femme divorcée si c’est à elle que revient la garde les enfants, un revenu minimum pour les femmes et les mères isolées, l’interdiction de la coutume qui veut qu’une femme épouse, malgré elle, le frère de son mari défunt ou un membre de la famille de celui-ci, lui revenant ainsi tel un objet dont il hérite, la parité totale dans toutes les institutions publiques et les partis politiques, l’harmonisation des droits sur le lieu du travail- toute femme qui a le même diplôme ou remplit la même responsabilité qu’un homme doit avoir le même salaire que lui, la mixité des femmes et des hommes, des filles et des garçons, dans les espaces publics, la construction de centres de formation professionnelle destinés à donner aux femmes une spécialisation dans plusieurs domaines afin qu’elles aient une qualification en vue d’un métier, la création par l’État de crèches, de garderies, pour détacher les femmes du lourd fardeau relatif à la maternité, mais aussi de maquis géants, de restaurants publics, dans les centres administratifs, les zones industrielles et tous les quartiers des grandes villes, avec un personnel qualifié, où tous ceux qui travaillent, tant dans le public que dans le privé, peuvent venir se restaurer grâce à des tickets payés par leurs employeurs, afin que les femmes s’émancipent des tâches ménagères, notamment du devoir de faire la cuisine, et consacrent leur temps libre à leur formation culturelle ou à leurs loisirs.

… à toutes les victimes du caractère arriéré du pays…

Dans le cadre du combat nécessaire à mener pour la modernisation du pays, la plate-forme devrait aussi proposer à tous les opprimés une vaste campagne d’alphabétisation au profit des adultes et des jeunes déscolarisés, femmes et hommes, filles et garçons, en vue de leur permettre d’être autonomes et capables de remplir les tâches administratives élémentaires, l’abolition des chefferies traditionnelles, ces structures féodales, anachroniques, sur lesquelles s’appuient toutes les dictatures en vue de leur maintien, la fin des tribunaux coutumiers, l’instauration d’une justice publique, moderne, unique pour tous, pour toutes les femmes et tous les hommes, égaux en droit, une justice libérée des coutumes et autres considérations religieuses, la rupture des relations entre les pouvoirs publics et les associations religieuses, – la religion devant relever du domaine du privé et de l’associatif : elle n’a pas à se mêler des affaires publiques -, le contrôle stricte de toutes les universités et écoles religieuses, quelles qu’elles soient, au niveau du contenu leur enseignement notamment, pour voir s’il est conforme au caractère laïc de l’Etat, une vaste propagande contre toute forme d’obscurantisme, qui endort la conscience des travailleurs, prêche le culte du chef, l’adaptation à l’ordre établi, avec ses inégalités, ses injustices, mais aussi, contre le nationalisme, le tribalisme, le régionalisme, la misogynie, la division en castes, toutes ces choses dont les politiciens bourgeois se servent pour opposer les opprimés les uns aux autres, pour les diviser, afin de mieux les dominer, pour les empêcher de prendre conscience du fait qu’ils constituent une seule et même classe, à part, celle des pauvres, qui ont les mêmes intérêts, quelles que soient leur culture, leur religion, leur région ou leur nation, parce qu’ils subissent tous la même exploitation, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes inégalités, la même dictature, imposées par le même Etat et le même patronat, au service des riches, etc…

Opposer à la politique du pouvoir, responsable de l’impasse actuelle, une perspective fondée sur les revendications communes aux masses populaires, de toutes les ethnies, de toutes les régions et de toutes les religions, afin de les rassembler autour de la défense collective de leur droit à la vie, tel est l’objectif de la riposte collective des travailleurs et de l’ensemble des opprimés ! C’est cette perspective seule qui pourrait permettre à ces derniers de faire irruption dans les sphères politiques où se décident les choix les concernant au premier chef et d’imposer eux-mêmes, par leurs luttes, les changements nécessaires conformes à leurs aspirations, tant politiques que sociales.

Par conséquent, quels qu’ils soient, – syndicalistes, militants des organisations de la société civile défendant les droits de l’homme, des partis politiques, des associations des femmes, des étudiants, des élèves et d’autres-, tous ceux qui sont réellement révoltés par la situation actuelle, aspirent à ce que les choses changent vraiment, ne voudraient pas que la société continue à sombrer dans la déchéance et la dictature, devraient tout faire pour aider les travailleurs et l’ensemble des opprimés à construire cette riposte collective, seul moyen pour sortir de l’impasse actuelle et tracer le chemin vers un avenir meilleur !

Ali Mohamed Abali Marangabi

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