Fondé sur les principes démocratiques, le Tchad est une République souveraine (article 1) dans laquelle la souveraineté appartient au peuple (article 3). Cette reconnaissance est la conséquence directe de la consécration constitutionnelle de l’élection comme condition sine qua non d’accession à la fonction du président de la République. Celle indirecte portant sur la voie non-élective, et exceptionnellement admise, n’est que le reflet d’un indéniable reniement des éventualités (vacance de la Présidence de la République ou d’empêchement définitif) dans la vie du président de la République (article 82).
Cela est, faut-il le rappeler, subordonné à une double condition. La première est celle de la saisine de la cour suprême que nul n’est habilité à le faire que le parlement. Lui aussi, s’il n’est réuni qu’en congrès. Dans ce cas, et seulement, la cour suprême statuera pour constater la vacance de la Présidence de la République ou d’empêchement définitif; et c’est la seconde condition. Si la décision de la cour suprême confirme le motif pour lequel elle est saisie, alors elle tâchera d’investir le président du Sénat des attributs du président de la République. A défaut, au premier vice-président du Sénat (alinéa 2 de l’article 82).
Lorsqu’alors, suivant cette logique, la cour suprême s’aperçoit que les autorités ci-dessus désignées faisaient défaut du fait d’un vide institutionnel, elle se fondera cependant sur l’article 240 qui prévoit du  »comble au manquement ». Il dispose que : « jusqu’à la mise en place des nouvelles institutions, celles en place continuent d’exercer leurs fonctions et attributions conformément aux lois et règlements en vigueur ». En se fondant sur ces dispositions, la cour suprême s’autorisera d’user des dispositions de la constitution du 04 mai 2018 pour dire le droit. Sont ainsi à l’honneur à ce renvoi constitutionnel, les dispositions contenues dans l’article 81 qui reconnaissent un exercice provisoire de la fonction du président de la République « par le Président de l’Assemblée Nationale et, en cas d’empêchement de ce dernier, par le 1er Vice-président ».
En consacrant les dispositions de l’article 240, il y’a lieu de reconnaitre la sagesse au constituant tchadien qui n’est persuadé à une effectivité immédiate de ce qui, probablement sera la toute première expérience du Tchad. Procédant ainsi, il répond adéquatement aux exigences de l’article 5 de la CADEG de l’UA selon lesquelles « Les Etats parties prennent les mesures appropriées afin d’assurer le respect de l’ordre constitutionnel, en particulier le transfert constitutionnel du pouvoir ». Cela va toutefois dire qu’outre la forme décrite, le reste ne pouvant être taxée que d’inconstitutionnalité.
Ainsi, la question fondamentale que l’on se pose est celle de savoir : la situation du Tchad s’analyse-t-elle juridiquement à l’aune et à la limite des articles 82 et suivants de la constitution ?
Face à cette question, le juriste ne doit donc pas faire une analyse s’inscrivant dans le parcellarisme au risque d’afficher son dilettantisme en sciences juridiques. C’est pour dire que, l’analyse juridique d’une telle situation ne doit pas se limiter sur quelques énoncés constitutionnels. Car, aussi déroutante qu’elle pourra l’être, une telle analyse ne peut être que paralytique. Qu’a-t-on donc à retenir à l’égard de son auteur si ce n’est que la mauvaise foi d’un scientiste à vouloir user des sciences pour dire ce qu’il veut et non ce que veulent les sciences ? Il est digne de se laisser emporter par le vouloir scientifique plutôt que par le sien (purement subjectif dois-je le dire). Il n’y a rien de subjectivité en l’espèce, car l’on sait d’avance que le courage d’un juriste pour s’affirmer est lié à sa capacité de se justifier.
Analyser juridiquement la situation du Tchad invite avant tout à usité la constitution dans son ensemble ensuite, déchiffrer les différentes dispositions qui peuvent s’y appliquer au contexte et, enfin, repartir ces dernières entre elles.
La situation du Tchad, en effet, si elle nécessite une analyse fondée sur la constitution, celle-ci n’est l’unique instrument juridique d’analyse pour être exclusive. Elle invite aussi d’autres normes (qui apparaissent en faisant la répartition) l’ayant peu ou prou influencé (ou du moins ayant de rapport avec elle). Cet état de choses a engendré, dans la doctrine juridique, ce qu’on appelle l’internationalisation des constitutions que, malheureusement, pas mal de juristes ignorent sa connaissance ; et ce, jusqu’à ce jour. Dès lors, pour y procéder, il ne faudra pas se borner sur la constitution en ayant à l’esprit l’idée de sa suprématie. Cette dernière que nul ne contestait est de nos jours mitigée. Sous l’angle interniste, il est incontestablement vrai que la constitution impose sa suprématie sur les textes qui lui sont en infra. Mais, sous l’angle internationaliste, il est tout à fait le contraire. Car, la constitution redevient une norme inferieure par rapport aux normes internationales. A cet égard, la reconnaissance du concept de supra constitutionnalité (externe) est une évidence. Pour preuve, l’article 236 de la constitution du 04 mai 2018 révisée « Les Traités ou Accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois nationales, sous réserve pour chaque Accord ou Traité de son application par l’autre partie. » en est une parfaite illustration.
Au-delà des dispositions de l’article susvisé, l’idée de supra constitutionnalité ou encore de l’internationalisation des constitutions s’aperçoit à la lumière du préambule de la constitution du 04 mai révisée lorsque le peuple tchadien affirme que : nous « Proclamons notre attachement à la cause de l’Unité Africaine et notre engagement à tout mettre en œuvre pour réaliser l’intégration sous-régionale et régionale (préambule de la constitution). Ici, l’Unité africaine renvoi indirectement à l’institution qui s’y en charge et, qui l’est, évidemment, l’Union africaine (article 3 point a de l’acte constitutif). Cependant, la cause de celle-ci s’il faut rechercher n’est que la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent (article 3 point f de l’acte constitutif). La question qui se pose est alors comment y arriver ? C’est donc une question du chemin (à emprunter) et que, l’UA n’a pas trouver de meilleur que la démocratie.
Après sept ans d’expériences et d’insuccès démocratique, elle décide de prendre de nouvelles mesures pour consolider paix. Elle estime cependant « que les changements anticonstitutionnels sont parfois l’aboutissement d’une crise politique et institutionnelle liée au non-respect de ces valeurs et principes communs de gouvernance démocratique. ». (Déclaration sur le cadre pour une réaction de l’OUA face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement).
Avant de capter le concept changement anticonstitutionnel de gouvernement, il y’a lieu de souligner le mot « parfois » qui revêt pour le juriste un intérêt capital. Il nous amène (en qualité de juriste) à cautionner dans le lexique juridique les termes « certain » et « probable ». Le premier fait immédiatement grief alors que le second ne peut le faire que dans une certaine mesure. Ce « parfois » se reconnait dans le second et qui désigne que le changement anticonstitutionnel n’est impérativement l’aboutissement à une crise politique. Il ne peut l’être que probablement. Dans ce cas, si un changement constitutionnel l’y soit (une crise politique) et celui non constitutionnel ne l’y sera pas, il est bien clair que l’UA admet ce dernier. Car, L’objectif recherché étant la paix.
Revenant au concept changement anticonstitutionnel de gouvernement, il faut savoir qu’il est une propriété terminologique de l’UA. Il ne peut, cependant, avoir autre sens que celui donné par l’UA. Pour cette dernière,
« 1.Tout putsch ou coup d’Etat contre un gouvernement démocratiquement élu ;
2. Toute intervention de mercenaires pour renverser un gouvernement démocratiquement élu ;
3. Toute intervention de groupes dissidents armés ou de mouvements rebelles pour renverser un gouvernement démocratiquement élu ;
4. Tout refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières ;
5. Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique » sont autant de moyens que leur utilisation constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement. Pour apprécier ce concept à la lumière de la situation du Tchad, aucun des cinq cas cités ne pouvant faire office.
Au regard de tout ce qui précède, la décision de l’UA relative à la situation du Tchad est juridiquement fondée et, par conséquent, salutaire.

Par ABDRAMANE MAHAMAT-ZENE KOUKOU

Doctorant en Droit Public International et Communautaire

Université de Dschang

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