Abakar manany sans langue de bois.

Ethnicisme mortifère, népotisme généralisé, corruption institutionnalisée, guerre permanente… L’ancien diplomate Abakar Manany liste les maux dont souffre, selon lui, son pays.

Tribune. Soixante ans après son indépendance, mon pays, immense et brillant, s’est détourné de ses promesses. En 1990, l’arrivée au pouvoir par les armes de l’actuel président, Idriss Déby, avait installé l’attente d’un changement. Déjà alors, le Tchad souffrait – et depuis longtemps – d’un sous-développement endémique. Pourtant, depuis trente ans, le pourrissement s’accentue, de la région des Lacs aux frontières avec la Libye et le Soudan.

Bien sûr, nous saluons l’engagement des Français, premiers partenaires des peuples de la région contre le terrorisme, et des autres dont nous dépendons encore pour notre sécurité. Cette entraide est dans la continuité de l’histoire, car il ne faut pas oublier que les Tchadiens furent le premier peuple d’Afrique francophone à rejoindre la lutte de la Résistance contre le nazisme sous l’égide du gouverneur Félix Eboué, neuf jours après l’appel du général de Gaulle. Mais si la France a bel et bien vocation à continuer d’accompagner le développement de notre jeune nation, la situation sociale et institutionnelle inquiétante ne doit pas échapper à son regard.

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Soixante ans après la signature de l’indépendance, le pays apparaît plus divisé que jamais : ethnicisme mortifère, népotisme généralisé, bilinguisme inachevé, corruption institutionnalisée, exil des jeunes, diaspora marginalisée, guerre permanente contre l’autre et contre nous-mêmes… L’année 2019 a été marquée par un record de violences, notamment autour du lac Tchad. Dans cette région comme dans les zones aurifères du Tibesti et du Batha, les populations sont déplacées et s’insurgent contre des expropriations qui font le lit des différentes factions terroristes de la région.

Prisons secrètes.

Comble du cynisme, cet anniversaire sera l’occasion pour le régime tchadien d’introniser Déby comme premier maréchal du Tchad. Non content d’être l’un des plus anciens chefs d’Etat à la tête d’un pays africain, non content d’avoir fait supprimer le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de justice et le poste de premier ministre, le voilà en passe de rejoindre les Mobutu et Idi Amin Dada, pour ne citer que nos propres démons africains.

L’hebdomadaire britannique The Economist place le Tchad aux côtés de la Corée du Nord et de la Syrie parmi les cinq pays les plus autoritaires de la planète. Pour quel résultat économique et social ? L’ONG Transparency International compte le Tchad parmi les cinq pays les plus corrompus au monde, tandis que Reporters sans frontières (RSF) le considère comme l’un des pires censeurs à l’heure où les coupures d’accès à Internet se multiplient.

C’est un pays où les opposants disparaissent pendant les élections. Comme en 2008, quand Ibni Oumar Mahamat Saleh a été assassiné ; cela avait fait l’objet d’une enquête parlementaire dirigée par le sénateur français Jean-Pierre Sueur. Et l’impunité conduit à la récidive, comme cette année avec l’arrestation de Mahamat Nour Ibedou, secrétaire général de la Convention tchadienne de défense des droits de l’homme (CTDDH), ou l’enlèvement de Baradine Berdei Targuio, président de l’Organisation tchadienne des droits humains (OTDH)… Combien d’autres encore croupissent dans les prisons secrètes du régime, récemment dévoilées par la CTDDH ?

Or et pétrole

Notre indice de développement humain (IDH) est le troisième plus faible au monde. Alphabétisation, scolarisation, vaccination, malnutrition, insalubrité… La situation est extrêmement grave. L’eau potable et l’électricité restent des mirages pour trop de citoyens, la faim et la misère rongent trop d’estomacs, comme l’indiquent les organismes de l’ONU, et ce alors que le pétrole coule à flots et que l’or continue d’être exploité, envers et contre les populations locales. Comme ailleurs au Sahel, la mauvaise gouvernance est le péché originel dont pâtissent le plus les populations.

Aussi alarmant que terrible, ce constat ne devrait pourtant pas décourager les Tchadiens qui veulent préparer une alternative positive et pacifique. La jeunesse, majoritaire dans notre pays où l’âge médian est de 14 ans, oblige à regarder autrement l’avenir. L’engagement pour l’écologie de cette jeunesse sera déterminant. Et c’est essentiel, car le Tchad est le premier pays sur la liste de l’indice de vulnérabilité aux changements climatiques.

Soixante ans après le 11 août 1960, la question de l’indépendance est donc toujours d’actualité. Notre peuple doit continuer de se prendre en main, avec l’aide de ses partenaires historiques. Le vivre-ensemble, la justice et l’Etat de droit doivent reprendre corps au Tchad. Pour cela, utilisons cette deuxième naissance pour renouer au plus vite avec la démocratie.

Abakar Manany est un chef d’entreprise et ancien diplomate tchadien.
Abakar Manany

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