29 novembre 2021 #TCHAD #Opinion Libre : Sur quelles bases juridiques se fondent les avocats d’Esso pour demander à la justice une indemnisation pour des pertes dues aux périodes de grève observées par les employés ?
Les affaires judiciaires sont souvent surprenantes, certaines sont rocambolesques et d’autres sont incompréhensibles même pour les juristes. Parfois, il y a raison d’être surpris jusqu’à s’interroger pour savoir par quel miracle certaines affaires parviennent à atterrir sur la table du juge.
En principe, l’avocat ne doit pas être une passoire. Au-delà de son rôle de défense, il doit jouer également son rôle primordial du conseil. Il est apte à analyser une situation juridique et juger en même temps sa nécessité et sa pertinence d’aller loin ou non.
En effet, l’affaire opposant la société pétrolière Esso et ses anciens employés m’a interpellée dans ce sens. C’est une histoire de grève. Les employés ont donné un préavis de grève à l’issue duquel une période de grève a été observée. Ainsi, la société chiffre la perte de ses chiffres d’affaires concernant la période des grèves et saisie la justice pour condamner les employés de l’indemniser par conséquent (Affaires en cours, source presse).
Je m’interroge sur ce que dit la législation tchadienne sur le droit de grève et la sanction réservée à l’employé en cas de violation ?
Au Tchad le droit de grève est un droit fondamental constitutionnellement protégé. L’article 30 de la constitution du Tchad de 2020 dispose en son alinéa 1 : » Le droit de grève est reconnu » et en alinéa 2 : » il s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Les mêmes termes sont repris dans la nouvelle charte qui régit la transition depuis 20 avril 2021, notamment en son article 34 alinéa 3. Ces dispositions constitutionnelles consacrent le droit de grève et le place au sommet de la hiérarchie des normes.
Comme suggère la constitution, le législateur a défini le cadre d’exercice de droit de grève par une loi. Les différentes dispositions se trouvent dans le code de travail du Tchad.
En effet, le code confirme le droit de grève à tous les salariés dans son article 456 et il fixe les conditions de son exercice dans les articles allant de 457 à 461. Par ailleurs, le code prévoit également un article très important qui détermine les sanctions en cas de violation de ces dispositions par l’Employeur ou par l’employé ; c’est l’art.455(b). Celui-ci prévoit pour les travailleurs la perte du droit à l’indemnité de préavis pour rupture de contrat en cas de violation des dispositions encadrant le droit de grève. Le code du travail du Tchad ne prévoit aucune autre sanction pour l’employé en cas de violation de droit de grève que celle fixée dans cet article. Donc, selon le droit tchadien, l’employeur ne peut demander aucune indemnisation pour perte des chiffres d’affaires.
Dans le cas d’espèce, cette action en indemnisation pour perte des chiffres d’affaires intentée par les avocats de la société Esso contre les ex employés de celle-ci, est une aberration. Elle est dépourvue de base légale. Une demande qui se fonde sur aucune base juridique, ni sur aucun principe. Elle porte indirectement atteinte même au principe du droit de grève.
Si l’employé devait à chaque grève rembourser les pertes des chiffres d’affaires de l’employeur, serait-il possible aujourd’hui de parler encore du droit de grève ?